En français, gare à la confusion des genres : le bac n’est point la BAC, même si les deux contrôlent vos papiers. L’un vous prépare au poste que vous exercerez dans votre vie ; l’autre vous envoie au poste pour y passer la nuit. Les deux milieux néanmoins se confondent quand l’écrivain Sylvie Germain se fait insulter par des milliers d’élèves de première.
Un texte de la romancière, tiré de son ouvrage Jours de colère (Gallimard), leur avait été proposé à l’écrit de l’épreuve de français. Le titre reflétait leur humeur. Incapables d’analyser l’extrait, les candidats se vengèrent sur les réseaux sociaux. La femme de lettres y fut lynchée, les messages orduriers allant jusqu’aux menaces de mort.
Cette affaire s’ajoutait à une autre épreuve de français : des lycéens du bac pro étaient restés cois devant le sujet : « selon vous, le jeu est-il toujours ludique ? » Ignorant le sens de l'adjectif, bon nombre rendirent une copie blanche ou firent un hors-sujet. Et sans honte le confessèrent sur les réseaux sociaux. Au passage, ludique aurait été remplacé par fun, ils auraient tous compris.
Sans les nouveaux media, on n’aurait jamais su que des légions de cerveaux s’étaient retrouvés techniquement bloqués pour si peu. Depuis toujours, des candidats pestent devant un sujet d’examen. Voyant leur travail ruiné et leurs illusions piégées, combien ruminaient en silence ? C’est qu’aucune plateforme n’hébergeait leur amertume pour la transformer en rage. Du reste, Sylvie Germain étant vivante, s’y attaquer a un sens.
Cependant, il y a aussi lieu d’y voir ce qu’on appelle un symptôme générationnel. « La langue n’aurait posé aucun problème aux lycéens des années soixante », note Patrice Plunkett sur son blog. Mais, ajoute le journaliste, « elle n’est plus comprise ni admise par le public d’Instagram et de TikTok ». L’ignorance engendre l’impuissance et débouche sur la violence : « C’est grave, relève Sylvie Germain, que des élèves qui arrivent vers la fin de leur scolarité puissent montrer autant d’immaturité, et de haine de la langue, de l’effort de réflexion autant que d’imagination, et également si peu de curiosité, d’ouverture d’esprit ». D’autant, ajoute l’écrivain, que « le passage à analyser n’était pas délirant, (…) mais certains se contentent d’un vocabulaire si réduit, (…) que tout écrit un peu élaboré leur est un défi, un outrage. »
C’est ce que j’appellerais la banlieuisation des mentalités : une forme d’allergie à tout ce qui n’est pas soi et que légitiment Instagram et TikTok. La banlieue désigne un lieu de relégation où la pensée, prise dans une bulle, se rétrécit, devient imperméable aux univers qu’elle ne côtoie qu’en s’y heurtant. La bulle rend étanche à toute proposition extérieure, alors que la littérature oblige à se transporter dans la pensée d’autrui. N’y rien comprendre, ne pas vouloir y accéder et honnir le travail de l’auteur signifie qu’on préfère le confort de sa prison ou qu'on ne peut pas en sortir.
Se sentant exclus par leur ignorance, « ils se clament victimes (...) et désignent comme persécuteurs ceux-là mêmes qu’ils injurient et menacent », observe Sylvie Germain. On pourrait parler de « l'inversion du stigmate » : la personne finit par se reconnaître dans ce qui la déprécie et en vient à le revendiquer, en faire un élément de son identité. Cette situation, Madeleine de Jessey l'attribue sans surprise aux affres de l'école. L'agrégée de lettres classiques souligne que « l'absence de lecture et la complicité de l'Éducation nationale sont les principales responsables de cet effondrement de la maîtrise du français ».
Mais d'où vient cette complicité ?
D'abord, ce qui compte, ce sont les maths. En France, tout ne s'effondre pas. On peut avoir zéro partout ; si on a 20 en maths, on sera toujours sélectionné. Par calcul, les élèves bossent les matières désignées depuis longtemps comme utiles. Même si, paradoxalement, le nouveau bac redresse la cote des notes de français, cette matière à penser est délaissée, en particulier depuis l'agitation de 68. L’effondrement de la maîtrise de la langue résulte d’un choix. Insistons sur cette notion d'utilité si présente chez nos contemporains hantés par l'idée de devoir « se vendre » sur le marché du travail. Et là, on comprend avec Nicolas Sarkozy que la Princesse de Clèves ne sert à rien.
Là-dessus, Internet révolutionne l’accès à la culture générale, ce qui pousse à externaliser les sciences molles. Combien d'exposés plagient Wikipédia... En clair, plus on démocratise la culture, moins on la rend attrayante. La profusion de l'offre produit l'indifférence et l'insignifiance. Naguère, la pénurie créait le désir et la valeur. L’info facile tue le premier et galvaude la seconde.
C'est vrai en littérature comme en géographie. Les deux font rêver, les lignes d'un récit comme les cartes d'un atlas. Google Earth ne raconte rien.
Le texte de Sylvie Germain parle d'ailleurs du Morvan. Pour comprendre son texte, il fallait situer les forêts de ce pays sauvage à l'âme desquelles sont façonnés ses personnages.
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