Au pied de la préfecture de Paris et d’Ile-de-France, dans le XVe arrondissement, un bus dépose une centaine de sans-papiers, pour la plupart tchadiens et soudanais. Tous occupent un squat à Saint-Denis, un immeuble de trois étages à l’abandon. Sidibe, 22 ans, y est depuis un mois. Le Guinéen n’arrive pas à dormir. «Tout me pèse, mais le logement, c’est mon problème numéro 1. C’est dégueulasse, humide, il y a des herbes. On dort à quinze dans la pièce, le chauffage fonctionne mal.»

Comme Sidibe, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées vendredi après-midi pour demander la réquisition de logements inutilisés sur Paris. Outre des migrants sans-papiers et sans domicile fixe, des mères de famille mal logées ou menacées d’expulsion ont aussi répondu à l’appel des associations Droit au logement (DAL), Utopia 56 ou encore de la Coordination des sans-papiers de Paris (CSP 75)

Paris, le 11, décembre 2020. Sidibé, 22 ans, pendant un assemblement de Sans-Papiers devant la préfecture

Sidibe, 22 ans, qui occupe un squat à saint Denis est venu manifester au pied de la préfecture de Paris. Photo Denis Allard pour Libération

En revanche, les personnes expulsées du campement de Saint-Denis le 17 novembre, ou évacuées de la place de la République le 23 novembre, étaient rares à la manifestation. «500 personnes sont à la rue sèche (n'alternant pas entre la rue, des centres, chez des connaissances, ndlr). Mais très peu se sont déplacés aujourd’hui, ils sont épuisés», explique Kerill Theurillat, 25 ans, coordinateur de l’antenne Utopia 56 de Paris. En France, le Fondation Abbé Pierre estime à 300 000 le nombre de personnes sans domicile fixe et à 3,9 millions de personnes les mal-logés.

La dignité par le logement

Originaire de Côte d’Ivoire, Oumou, 44 ans, n’en peut plus d’enchaîner les foyers de femmes. «J’en suis à mon troisième depuis mon arrivée en France il y a six ans. On est deux dans une chambre prévue pour une personne. Nos lits sont à moins d’un mètre l’un de l’autre.» Le plus dur, pour cette aide à domicile pour personnes âgées, «ne pas pouvoir cuisiner dans mon logement. C’est interdit».

Paris, le 11, décembre 2020. Oumou, 44 ans, pendant un assemblement de Sans-Papiers devant la préfecture

Oumou, 44 ans, n'en peut plus d'enchainer les foyers. Photo Denis Allard pour Libération

Bchira aimerait aussi un logement pour retrouver sa dignité. Cette Tunisienne de 41 ans diplômée d’un master en histoire, arrivée il y a cinq ans en France, se dit psychologiquement à bout. «C’est violent. Rien que 7m2, ce serait déjà un espace pour moi.» Elle loge chez plusieurs amis différents en Seine-Saint-Denis, sauf trois soirs par semaine, où l’aide à domicile reste chez son employeur.

«La honte doit changer de camp»

Retrouver un logement peut changer la vie. Achraf, 25 ans, est venu soutenir la manifestation. L’an dernier, sa mère frappait à la porte du DAL après un licenciement. Faute de moyens suffisants, cette femme de ménage a dû déménager dans un studio de 30m2, avec sa fille, atteinte d'un handicap moteur, et son bébé. Achraf est alors parti chez des amis pour ne pas aggraver le surpeuplement du studio.

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Le DAL a depuis aidé sa mère à trouver un trois-pièces décent à Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) L’étudiant en droit ne comprend pas «comment la France peut être la cinquième puissance mondiale, et que les promesses d’Emmanuel Macron sur le logement ne donnent rien. La honte doit changer de camp».

Paris, le 11, décembre 2020. Achraf, 25 ans, pendant un rassemblement de Sans-Papiers devant la préfecture

Achraf, 25 ans, étudiant en droit, ne comprend pas que les promesses de Macron pour le logment ne donnent rien. Photo Denis Allard pour Libération

Crise économique, crise du logement

Pour certains, les menaces d’expulsion planent à l’issue de la trêve hivernale, le 31 mars. A côté de la poussette de son fils de deux ans, Fatima, 33 ans, tient à être ici. Elle vit à Bobigny avec son mari, sans-papiers également, venu d’Algérie, et leurs quatre enfants. Le RSA de Fatima ne suffit pas à payer les 1 100 euros de loyer mensuel. «J’ai peur de devoir appeler le 115», lâche-t'elle.

Paris, le 11, décembre 2020. Fatima, 33 ans, pendant un rassemblement de Sans-Papiers devant la préfecture

Fatima, 33 ans, vit à Bobigny. Elle est venue soutenir les manifestants sans-papiers. Photo Denis Allard pour Libération

Samsarah, 28 ans, n’en dort plus la nuit. «J’ai reçu le jugement d’expulsion, on doit partir en mars.» Cette mère célibataire de trois enfants en bas âge, ne peut plus assumer les 1 200 euros de loyer à Clignancourt depuis que son conjoint l’a quittée. A la recherche d’un emploi, elle ne reçoit aucune aide financière de la part de ce dernier. «J’ai peur que ma fille, qui travaille super bien à l’école, ne puisse plus faire ses devoirs si on n’a plus de maison», confie-t-elle.

Sept immeubles, de quoi loger 1 300 personnes

«Crise grave du logement. Crise sanitaire. Et hiver.» Selon Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole du DAL, la situation justifie l’application de la loi de réquisition de logements vacants ou inoccupés «pour les sans-abri, mais aussi les mal-logés et les menacés d’expulsion». Le DAL invoque les articles L641-3 et L345-2 et 3 du code de la construction et de l’habitation et qui, selon lui, aurait permis le logement de «100 000 personnes dans des logements réquisitionnés» depuis 1945.

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Au total, la délégation a demandé la réquisition de sept immeubles vides, qui pourraient abriter, selon le DAL, quelque 1 300 personnes. «Un dans le VIIIe arrondissement, près de la gare Saint-Lazare. Vide depuis vingt ans, il appartient à un groupe financier étranger. Deux immeubles appartenant à la RIVP, la Régie immobilière de la ville de Paris, dans le XIIIe. Un bâtiment de la BNP boulevard Haussmann. Et trois dépendant de l’Etat, une partie inutilisée de l’Hôtel-Dieu (AP-HP), le Val-de-Grâce, vide à 90%, et l’ancienne Documentation, quai Voltaire dans le VIIe arrondissement.» Les associations enverront, sur demande de la préfecture, les 370 formulaires en recommandé. «On espère une réponse d’ici dix jours.»

Miren Garaicoechea