Le virus de la fièvre jaune (sous sa forme de virion, avant qu’il ait contaminé une cellule), vu au microscope électronique (grossissement ×234’000). Cependant, on ne savait toujours pas précisément ce qu’étaient réellement les virus. Suspects d’être tous mauvaisC’est seulement en 1957 que le biologiste français André Lwoff établit une définition[17] claire et moderne du « virus » : - Les virus sont composés de protéines et d’acides nucléiques, du « code génétique » encodé soit sous forme d’ADN (comme la varicelle ou la variole) soit sous forme d’ARN (comme le VIH ou le Covid-19), mais jamais les deux ;
- Les virus sont des parasites qui pénètrent des cellules « hôtes » ;
- Les virus utilisent ensuite le métabolisme de cette cellule, c’est-à-dire la manière dont elle se nourrit, respire, se transforme, pour se reproduire (on dit se « répliquer ») et éventuellement aller contaminer d’autres cellules ;
On n’a donc réellement commencé à comprendre les virus qu’il y a 60 ans environ. Et on ne les a découvert qu’à cause de leur dangerosité, parce qu’ils pouvaient tuer des gens. On en a donc d’abord déduit que tous les virus étaient pathogènes… On a reproduit la même erreur qu’avec les bactéries. Pourtant, sur les ~5’000 espèces de virus recensées à ce jour seules 129 espèces sont pathogènes pour les humains[18]. En fait la grande majorité des virus sont essentiels à la vie et bons pour votre santé ! Vous êtes à 8% d’origine viraleDepuis 2003 seulement et la fin du séquençage du génome humain, nous savons que 98’000 éléments et fragments génétiques[19] du génome humain proviennent de virus. Ces 8% de gènes d’origine virale sont appelés par les biologistes des « rétrovirus endogènes humains » (HERV)[20] . Ils représentent bien plus que les 1,2% de vos gènes qui « codent » des protéines, les seuls dont on sait précisément à quoi ils servent dans le métabolisme humain. Les virus ont façonné l’HumanitéNos ancêtres ont été infectés par ces « rétrovirus endogènes humains », qui auraient directement contaminé les cellules germinales chargées de former les spermatozoïdes et les ovules. Les modifications génétiques se sont ainsi transmises à leurs descendants. Vous, moi, nous sommes tous, du point de vue de l’évolution, les descendants d’un virus. Et on sait aujourd’hui que ces modifications de séquences de notre ADN ont contribué à « améliorer » l’Humanité, à la rendre plus fertile… et plus résistante. Prenez la famille des HERV-H (pardon pour le terme technique). C’est une famille de virus endogènes dont seuls les primates sont porteurs. Une étude de 2018 montre que ces virus HERV-H aideraient au développement de l’embryon[21], puis des cellules du cœur[22]. Les chercheurs soupçonnent même qu’ils pourraient avoir un rôle dans le développement ou non de maladies cardiovasculaires ! Et ce n’est pas tout : - Un rétrovirus de la famille HERV-E aurait converti un de nos gènes chargé de produire l’amylase qui nous sert à digérer le sucre dans notre pancréas, en une version spéciale pour nos glandes salivaires… Grâce à ce virus, notre salive permet de prédigérer le sucre, et de mieux ressentir le goût des nourritures sucrées !
- Le rétrovirus HERV-H aurait transmis un bout de son code génétique qui permet à une femme enceinte de secréter les protéines qui connectent l’embryon du bébé à naître au placenta[23]!
- Un autre HERV jouerait un rôle essentiel dans la formation des spermatozoïdes chez les hommes. Son intégration au génome humain aurait permis d’augmenter la fertilité de l’espèce humaine[24]!
- Des chercheurs estiment même que le sexe de l’enfant à naître dépendrait de l’activation ou non d’un virus fossile présent dans nos gènes depuis plus d’un million d’années[25]!
Les virus améliorent votre immunitéUne autre famille de ces rétrovirus, les HERV-K, permettraient à l’embryon de fabriquer des protéines virales qui le protègent contre les autres virus pathogènes[26] dès les premiers jours qui suivent sa conception, avant même d’être en mesure de développer des anticorps… Même les « méchants » virus seraient en fait, en grande partie, un mal nécessaire. Le virus de l’herpès, par exemple, aurait des bienfaits insoupçonnés, lorsqu’il est présent sous forme latente dans votre organisme sans provoquer de symptômes. Il aiderait vos globules blancs à identifier les cellules cancéreuses et les cellules infectées par d’autres virus pathogènes[27], en lui transmettant certains antigènes ! Les infections virales à un jeune âge, même si elles causent de petites maladies, seraient indispensables au bon développement du système immunitaire[28]. A l’âge adulte, votre système immunitaire est en réalité continuellement stimulé à bas bruit par de petites quantités de virus. Ce qui lui permettrait de développer une résistance plus forte face à d’autres virus extérieurs plus virulents[29], révèlent aujourd’hui les chercheurs. Des virus utilisés comme antibiotiques ?!Enfin, toute une famille de virus dits « bactériophages » ou « phages » découverte en 1917 pourrait même être utilisée pour lutter combattre les « mauvaises » bactéries et servir d’alternative aux antibiotiques ! Ce sont des « armes de destruction massive de la bactérie », explique le Pr Frédéric Laurent, chef du service bactériologie de l'Hôpital de la Croix-Rousse à Lyon[30]. Ils sont utilisés en Europe de l’Est depuis la Guerre froide, mais ont été délaissés en Occident au profit des antibiotiques classiques, à base de bactéries. L’apparition de « super-bactéries » résistantes aux antibiotiques a fait reconsidérer l’intérêt de ces « phages ». L’an dernier, Isabelle Holdaway, une adolescente britannique de 17 ans a ainsi été sauvée d’une infection dramatique de ses poumons. Alors qu’elle était sur le point de mourir et que les antibiotiques s’avéraient inefficaces, sa mère a suggéré aux médecins d’utiliser des phages après avoir lu des articles à ce sujet sur Internet[31] ! « C’est un miracle de la médecine ! », s’est exclamée la mère en pleurs quand Isabelle s’est rétablie. C’était le premier usage officiel de ces virus en Occident. Les autorités de santé française se sont engagées l’an dernier à investir dans la recherche sur ces virus[32], qui pourraient par exemple soigner les staphylocoques dorés. Mais devinez quoi : comme les phages sont « naturels », ils ne sont pas brevetables ! Les laboratoires pharmaceutiques n’investissent donc pas dans ces traitements pourtant prometteurs ! Enfin sachez que d’autres virus pourraient même être utilisés en thérapie génique dans le traitement des cancers, en les utilisant pour transférer de « bons » gènes dans les cellules des malades[33]. Les virus luttent contre le réchauffement climatiqueNon seulement la grande majorité des virus sont bons pour nous, mais ils sont bons aussi pour la planète. On sait depuis seulement 20 ans que l'océan est un gigantesque réservoir de virus[34]. Étirés et mis bout à bout, les virus marins formeraient une ligne s'étendant au-delà des 60 galaxies les plus proches. Ils sont essentiels à la vie des océans. Chaque jour, les virus marins tuent 20% de toute la biomasse marine, principalement des planctons. En tuant les espèces trop abondantes, ils évitent leur prolifération excessive et permettent à des espèces rares de survivre. Leurs gènes sont ainsi sauvegardés, ce qui favorise la biodiversité marine et l’équilibre de la population de plancton. Un rôle vital pour vous et moi car le plancton, ce n'est pas seulement le repas des baleines, c'est aussi 50% de l'oxygène que nous respirons. Les virus marins engloutissent en plus des quantités importantes de dioxyde de carbone captées par le plancton et d’autres organismes vivants dans les profondeurs de l’océan. Ce gaz à effet de serre ne retourne plus dans l’atmosphère. Et les planctons contribuent ainsi directement à lutter contre le réchauffement climatique[35] ! Mais alors, les virus sont-ils « vivants » ?Devant tant de mécanismes fabuleux qui favorisent la vie, on peut se demander si, finalement, les virus ne sont pas vivants ? La question divise les biologistes depuis des siècles. Qu’est-ce qui est vivant ? Vous me direz sans doute « ce qui respire », « ce qui bouge », « ce qui est conscient », « ce qui est doué de volonté », « ce qui interagit avec son environnement » ... Les virus se reproduisent, évoluent, mais, contrairement aux bactéries, ils n’ont pas de métabolisme et sont incapables de produire leur propre énergie. Pour cela, ils ont besoin d’une cellule hôte. C’est pourquoi pour une majorité de biologistes, ils sont simplement des unités matérielles inertes. Mais d’autres biologistes ne sont pas d’accord avec cette définition et avancent l’hypothèse que les virus constitueraient plutôt… une autre lignée du vivant[36] ! Les virus sont avant tout des messagersVivants ou pas, du point de vue de la biologie, les virus sont avant tout des « messagers » qui transmettent des messages importants aux cellules vivantes et permettent la dissémination d’innovations génétiques. Tout autant qu’il peut vous rendre malade, ce message peut vous aider à combattre les maladies. Ces messagers ont été là bien avant nous, seront sans doute là bien après nous, et obéissent à des lois écologiques, mathématiques, environnementales qu’on commence à peine à comprendre. À mesure qu’on découvre les mécanismes géniaux qui régulent notre microbiote, on ne peut que rester songeur devant le nombre de découvertes fascinantes qui nous attendent sur le rôle du virome, l’équivalent viral du microbiote, sur notre santé. Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises… Depuis 2003, des chercheurs ont découvert dans le sol gelé de Sibérie de mystérieux « virus géants », comme le « Mimivirus » ou le « Mollivirus sibericum », dont la taille égale et parfois dépasse celle des bactéries ! Là encore, ces virus géants pâtissent d’une mauvaise image et les scientifiques se méfient d’avance de leur dangerosité[37]. On ignore pourtant leur rôle et le « message » qu’ils contiennent. La fonte du sol gelé sibérien en cours à cause du réchauffement climatique nous révèlera bientôt ce message… Qu’essaie de nous dire le Covid-19 ?En méditation ou en sophrologie, les enseignants invitent souvent leurs élèves à ne considérer leurs émotions, leurs pensées, la douleur même physique, que comme cela : une information. Et si le Covid-19 n’était lui aussi que cela : une information ? Une information parfois cruelle, injuste, absurde, révoltante sans doute, dans le cas de virus mortels. Mais une information tout de même. S’il pouvait nous parler, qu’essaierait-t-il de nous dire ? Voici pour ma part les « messages » que j’aimerais retenir de ce virus : - Recentrons-nous sur l’essentiel
Prenons d’abord soin de notre bien-être physique et psychique, pour être en mesure de prendre soin de nos proches, avant de nous préoccuper de l’état du monde : « charité ordonnée commence par soi-même » ! - Prenons conscience de nos interdépendances
Il n’y a pas nous, les humains, d’un côté, et tout le reste de l’autre. Nous avons des liens étroits et encore en grande partie insoupçonnés et imprévisibles avec les virus et les bactéries, mais aussi avec les autres animaux… qu’ils soient pangolins, chauve-souris ou visons… Mais aussi – cela va de soi ! - avec les agriculteurs qui nous nourrissent, les médecins qui nous soignent, nos commerçants de quartier… - Revenons à un rythme qui respecte la biodiversité
Les épidémiologistes nous expliquent qu’un virus devient « épidémique » ou « pandémique » à cause de notre proximité de plus en plus grande avec des animaux sauvages, réservoirs de virus, qui n’ont jamais eu vocation à vivre à nos côtés. Cette promiscuité est favorisée par l’élevage intensif, la déforestation, la destruction et la pollution de l’habitat naturel de ces animaux, l’intensification illimitée des échanges entre humains… Et si, du point de vue du virus, le virus, c’était… nous ? Après tout, le comportement humain y ressemble beaucoup : nous colonisons la planète et nous multiplions en détruisant notre environnement d’accueil, puis nous migrons quand celui-ci ne nous permet plus de survivre. A mon sens, il n’y a pas de culpabilité à tirer de notre impact sur la planète, mais une prise de conscience à développer : comment continuer à vivre, bouger, manger, sans mettre en danger les autres espèces vivantes, sous toutes leurs formes ? Le Covid-19 nous enseigne que respecter les habitats naturels, c’est prendre soin de notre santé. - Cessons de concevoir la médecine comme une « guerre »
Nous ne pouvons pas et ne devrions pas vouloir éradiquer les virus en menant contre eux une guerre nucléaire, à base de médicaments toujours plus sophistiqués et d’hygiène toujours plus draconienne. Nous devrions plutôt apprendre à vivre de mieux en mieux à leurs côtés. Mieux les comprendre, c’est mieux comprendre notre environnement, nos origines, notre santé… Et surtout cela ouvre des perspectives de thérapies plus douces, plus subtiles, qui rétablissent l’équilibre naturel entre les virus, les bactéries et les cellules qui vivent en nous. Les virus ne sont pas systématiquement des ennemis à anéantir : ils nous rendent bien des services dans l’ombre. Même les virus pathogènes, une fois « neutralisés », nous sont profitables : ils ont renforcé notre système immunitaire, et… ils nous ont donné l’envie et le courage de guérir, en nous rappelant la valeur de la santé. La prochaine fois que vous vous remettez sans dommage d’un rhume, ou qu’une personne de votre entourage met au monde un bébé en bonne santé, songez que vous avez peut-être un virus ancestral à remercier ! - Dépasser les limites de notre système de santé
L’ONU et différents organismes indépendants ont, dernièrement, établi « l’impréparation » de nos gouvernements et de nos gouvernants à la crise que nous traversons. Ceux-ci ont apporté des réponses souvent inadaptées, et presque toujours improvisées, à chaque étape de cette pandémie. Et le pire, c’est que cela continue. La précipitation avec laquelle on entend vacciner des millions de citoyens au moyen de produits sur lesquels nous disposons d’un recul de deux ou trois mois grand maximum ( ! ) est insensée. Ce virus révèle les fractures, les souffrances et les dysfonctionnements profonds de nos sociétés. Nous savions que nos hôpitaux étaient en piteux état, que les anciens étaient trop souvent laissés à l’abandon dans les Ehpad, que la santé mentale des jeunes et des précaires se dégradait… Aujourd’hui, plus personne ne peut l’ignorer. Sans aller jusqu’à prétendre « aimer le Covid-19 », j’aime à penser que nous avons là d’importantes leçons à déchiffrer, et une belle opportunité de « remettre l’église au milieu du village ». Puissent l’année prochaine, et les suivantes, nous le permettre ! Portez-vous bien, Rodolphe |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire