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N’en déplaise à Pétain et Macron, le 1er mai n’est pas la fête du travail mais des luttes sociales
Pancarte vue le 1er mai 2018 à Paris (photo de Jeanne Menjoulet | Attribution-NoDerivs 2.0 Generic (CC BY-ND 2.0)
Dans une vidéo hallucinante diffusée par l’Élysée, le président de la République nous souhaite un bon 1ermai, en ayant une pensée « pour les organisations syndicales », « pour les travailleuses, les travailleurs de notre pays ». Proclamant que « c’est grâce au travail que la nation tient », il appelle à « retrouver dès que possible les 1er Mai joyeux, chamailleurs parfois, qui font notre nation », et encense le muguet. Pense-t-il aux tirs de grenades lacrymogènes sur le cortège syndical de l’année passée, ou aux violences policières symbolisées par l’affaire Benalla ? Derrière le ton infantilisant propre à Emmanuel Macron, cette vidéo indique bien les symboliques contradictoires derrière la journée du 1er Mai. Décryptage.
Quand a-t-on commencé à fêter le premier jour du mois de mai ? Pour en retracer l’origine, il faut remonter au mouvement ouvrier américain du XIXe siècle, alors très puissant. En 1886 a lieu une grande campagne pour limiter le temps de travail à huit heures par jour. Lors d’un meeting devant une usine de Chicago, la police tue un ouvrier, entraînant une série de manifestations et d’affrontements qui culminera avec l’exécution de cinq anarchistes suite à une parodie de procès (des grands patrons sont conviés à assister à la mise à mort), qui seront d’ailleurs réhabilités par la justice en 1893. Ces cinq « martyrs de Haymarket » deviendront le symbole des luttes ouvrières réprimées.
À l’initiative de socialistes révolutionnaires français, la Seconde internationale (association de partis socialistes et ouvriers) décide dès juillet 1889 de faire de chaque premier jour de mai une date célébrée par les travailleurs du monde entier, symbolisant leur unité, leur intérêt commun au changement social et leur condition d’exploités. Anarchistes, socialistes et communistes parviendront effectivement à faire de cette date une fête mondiale dans la première moitié du vingtième siècle.
Mais pour les classes dominantes, cette journée rappelle douloureusement leur rôle parasitaire, et leur besoin de réprimer les luttes sociales pour préserver un ordre injuste. Il faut donc à tout prix changer le sens de cette fête populaire. En France, la tentative la plus réussie est celle… de Pétain, qui durant la période de l’Occupation, va faire du 1er Mai une inoffensive « fête du travail » comme valeur abstraite et partagée, et non plus de celles et ceux qui travaillent réellement. Il remplace aussi les fleurs rouges portées ce jour-là par le muguet blanc, symbole royaliste. Le gouvernement pétainiste n’aura pas été une simple parenthèse dans l’histoire française. Il aura laissé un grand nombre de lois, de décrets et de traditions : la fonction de PDG, la Police nationale, et ce premier Mai vidé de son sens. Qui ne sera pas remis en cause à la Libération !
Il faut dire que les partis et syndicats issus du mouvement ouvrier, petit à petit intégrés dans les institutions républicaines à partir de la fin des années 1950, vont accepter cette fête vaguement revendicative et pacifique. La vente de muguet et les déambulations rituelles remplacent dans l’imaginaire collectif la solidarité et les émeutes ouvrières. Les gouvernants s’en réjouissent. La tradition pétainiste se retrouve de manière particulièrement forte chez Nicolas Sarkozy, qui en 2012 appelle à fêter le « vrai travail » et à remplacer le drapeau rouge par le drapeau tricolore. Sans succès.
À partir du mouvement contre la Loi Travail, la fin des années 2010 constitue au contraire un retour passionnant et passionné aux origines combatives du premier Mai. Les défilés parisiens doivent de nouveau affronter les forces de police pour pouvoir manifester, et les grandes luttes contre les réformes d’austérité puis autour du mouvement des gilets Jaunes redonnent un sens à la solidarité de classe. Il en va de même ailleurs dans le monde, avec un retour en force de cette journée, des États-Unis à l’Inde et du Maroc à la Grèce.
Ce 1er mai 2020 est bien sûr particulier. Le confinement bloque la plupart des initiatives habituelles : les rassemblements restent interdits. Mais la mise en lumière du travail vital des prolétaires de la santé, de l’agroalimentaire, de la grande distribution ou de la collecte des déchets redonne son sens à la journée. Pas celui d’unité nationale abstraite qu’aimerait y voir Emmanuel Macron, mais celui du combat quotidien d’une majorité d’hommes et de femmes faisant tourner la société, contrairement aux dirigeants. Espérons des lendemains de mai qui, à défaut de chanter, soient « chamailleurs ».
Quelques manifestants étaient présents le 1er mai 2020 à Paris, mais ils se sont rapidement fait réprimer par la police (capture d’écran d’une vidéo publiée sur twitter par le journaliste Charles Baudry)
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