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jeudi 4 avril 2019

Sentinelle face aux gilets jaunes et le traumatisme de la grève de 1948 _ le 21.03.2019



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POLITIQUE
21/03/2019 12:13 CET |

Sentinelle face aux gilets jaunes et le traumatisme de la grève de 1948


En pleine naissance de la Guerre froide, l'armée avait été mobilisée pour écraser la révolte des mineurs. Bilan: 6 morts et des milliers de blessés.



Par Geoffroy Clavel

En 1948, le gouvernement avait mobilisé l'armée pour venir à bout de la révolte des mineurs. Un traumatisme dans la mémoire communiste et ouvrière.


POLITIQUE - En choisissant de recourir à l'armée pour soulager les forces de police mobilisées contre les casseurs en marge des manifestations des gilets jaunes, le gouvernement s'est une nouvelle fois mis à dos la totalité des oppositions politiques. De la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon au Rassemblement national de Marine Le Pen en passant par le Parti socialiste d'Olivier Faure et, c'est plus rare, Les Républicains de Laurent Wauquiez, tous dénoncent en choeur, depuis ce mercredi 20 mars, une décision "funeste" et surtout dangereuse.
Au-delà du symbole de solliciter l'opération Sentinelle, dédiée à la lutte anti-terroriste, dans le cadre d'un conflit social, tous redoutent que le recours à des militaires, non formés au maintien de l'ordre, débouche sur des ripostes à balles réelles occasionnant des morts.
"Vous êtes devenus fous ! Un militaire, c'est pas un policier", a tonné Jean-Luc Mélenchon mercredi soir sur BFMTVlors d'un débat des principaux chefs de parti. En pointe dans la dénonciation de cette décision opérationnelle, certains militants de gauche ont convoqué la sinistre mémoire de la grève des mineurs de 1948, dernier conflit social où l'armée française avait été mobilisée pour écraser la révolte des "gueules noires".

Un traumatisme de la mémoire ouvrière

L'événement, resté comme un traumatisme dans la mémoire ouvrière et celle des régions minières, a fêté ses 70 ans l'année dernière après plusieurs décennies de combat des familles des victimes pour que le préjudice subi à l'époque soit enfin reconnu.
En 1948, en pleine naissance de la Guerre froide, la France se remet à peine de la Seconde guerre mondiale: au rationnement alimentaire, à l'inflation galopante et à la production industrielle encore convalescente s'ajoutent des tensions sociales et syndicales violentes, la CGT entrant en conflit frontal contre le gouvernement après l'exclusion des ministres communistes tandis que s'installe l'affrontement larvé entre les deux hyperpuissances américaines et soviétiques.
C'est dans ce contexte ultra-inflammable qu'éclatent les révoltes des mineurs de 1947 puis de 1948. Alors que la grève s'installe pour de longues semaines, l'exécutif autorise le recours à l'armée pour assurer le maintien de l'ordre, aux côtés des Compagnies républicaines de sécurité (CRS), créées à la sortie de la guerre.
Face à près de 350.000 mineurs en grève, l'exécutif ordonne l'occupation des mines et des corons, l'instauration de couvre-feu et autorise les tirs à balles réelles. C'est aussi à l'occasion de ce conflit social que se généralisent les nouveaux instruments du maintien de l'ordre dont beaucoup sont encore en usage aujourd'hui (gaz lacrymogènes, canons à eau...).
Le bilan de la répression militaire et policière, qui écrase la révolte, est sans appel: six morts, plusieurs milliers de blessés. Des victimes auxquelles il faut ajouter 3000 mineurs licenciés.

Sentinelle ne sera pas en première ligne

Il faudra attendre 1981 et l'arrivée de la gauche socialiste au pouvoir pour qu'un processus de réhabilitation des révoltés de 1948 soit entamé. Le caractère discriminatoire des licenciements a été reconnu par la justice en 2011.
Si cet épisode de l'histoire de France ne hante pas la mémoire militaire, les soldats nourrissent néanmoins depuis longtemps une réticence certaine à l'idée d'assurer des fonctions de maintien de l'ordre, comme le rappelle l'enseignante-chercheuse Bénédicte Chéron. "Depuis la fin du XIXe siècle, les militaires jugent incompatible leur engagement consistant à se battre pour la patrie et les missions de maintien de l'ordre qui ont pu leur être confiées. D'où leur soulagement lors de la création des pelotons mobiles de gendarmerie dans l'entre-deux-guerres", pointe au HuffPost l'auteure de "Le soldat méconnu, les Français et leurs armées" (Armand Colin, 2018).
Or, le lancement de l'opération Sentinelle, déploiement massif de soldats français sur le territoire national pour faire face à la menace terroriste, a déjà semé le trouble au sein de la Grande muette. Et leur intervention en marge d'un conflit social, même si elle est ponctuelle, "constitue un glissement de plus, par la force des choses, d'une opération militaire vers une opération de maintien de l'ordre, ce qui n'est pas risque de peser sur le moral des troupes", met en garde Bénédicte Chéron.
En attendant, le traumatisme résonne suffisamment aujourd'hui pour que le gouvernement actuel prenne les devants sur une hypothétique confrontation entre militaires et manifestants en gilets jaunes. "Je ne crois pas que des militaires vont tirer sur les manifestants. Il faut être attentif à ne pas agiter des peurs ou des cas extrêmes, nous n'en sommes pas là", a assuré la ministre Emmanuelle Wargon sur Public Sénat.
Promesse réitérée par une source gouvernementale qui assure que les militaires de l'opération antiterroriste Sentinelle "ne seront pas en première ligne" samedi lors des manifestations de gilets jaunes en France. "Notre ennemi, c'est pas les gilets jaunes. Notre ennemi c'est les terroristes. Soyons clairs: les militaires ne vont pas se mettre à arrêter les gilets jaunes, ils ne vont pas foncer dedans ou ouvrir le feu. Ils ne seront pas en première ligne", a indiqué cette source.
Les militaires seront affectés à la protection de bâtiments ou à des patrouilles pour "libérer ceux qui iront au contact" des manifestants, selon la source qui n'a pas déployé le dispositif opérationnel de samedi mais insisté sur son mot d'ordre. "On va faire en sorte qu'il n'y ait pas contact. Et si ça arrive, les militaires savent comment réagir. Ils sécurisent le périmètre et appellent les flics, ils s'en remettent aux autorités compétentes. Ce sont des choses qui arrivent tous les jours, pas seulement en cas de manifestation des gilets jaunes".
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