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Avr
2018
George W. Bush : Dupe ou menteur ? Par Robert Parry
1Source : Robert Parry, Consortium News, 23-01-2018
Tiré des archives : Avec six Américains sur dix – y compris une majorité de démocrates – qui ont maintenant des opinions favorables sur George W. Bush, nous publions à nouveau une analyse de Robert Parry de 2010, lorsque l’histoire révisionniste de la présidence de Bush a commencé avec la publication de ses mémoires.
Par Robert Parry (première parution le 20 novembre 2010)
Les mémoires de George W. Bush, Decision Points, sont sans aucun doute une défense égoïste de sa présidence – et ses propres mots de Bush le condamnent comme menteur – mais il y a une autre question lancinante qui entoure ce curieux livre : les médias et le système politique des États-Unis sont-ils devenus si pollués par les tromperies que même les gens au sommet croient maintenant à cette propagande ?
Difficile de dire quelle est la réponse la plus troublante : que Bush et ses conseillers étaient purement et simplement des menteurs confiants en ce que leur statut d’élite leur permet de mentir à leur guise, ou qu’ils se sont vautrés depuis si longtemps dans le jacuzzi de Washington que leurs cerveaux ne peuvent plus séparer les faits de la fiction.
En général, je présume que les dirigeants politiques connaissent la vérité et croient simplement que le reste d’entre nous est facilement manipulé par une propagande intelligente, ou que l’on peut facilement le faire rentrer dans le rang. Tant que les dirigeants s’en tiendront à leur histoire (peu importe qu’elle soit fausse ou non), ils peuvent compter sur leurs lettres de créance au sein de l’Administration pour la maîtriser contre les quelques sceptiques qui osent crier au mensonge.
Mais à certains moments, en lisant les mémoires de Bush, j’ai commencé à me demander si – du moins en ce qui le concerne – l’autre explication était plus plausible, s’il était cliniquement délirant en ce sens qu’il ne pouvait plus faire la distinction entre ce qui était réel et ce qui avait été créé par d’autres pour envelopper ses idées préconçues, ses préjugés et sa vanité.
Dans ce scénario, Bush était l’homme de paille sympathique qui était manipulé par son entourage, soit par les néoconservateurs qui voulaient prouver leur détermination à la droite israélienne avec une démonstration du choc-et-terreur-américain contre les Arabes hostiles en Irak, soit par les gens du pétrole qui voyaient en la domination militaire américaine au Moyen-Orient un ticket pour des billions de dollars de réserves énergétiques.
Ces groupes sont devenus habiles à appâter Bush avec de la désinformation et de l’exagération, sachant bien ce qui l’agacerait et l’exaspérerait. Le Bush intellectuellement paresseux mais égoïste en viendrait alors à penser que les plans semés dans son esprit étaient les siens et qu’il était le vrai Décideur.
Cependant il y a d’autres indices dans le livre qui indiquent que Bush faisait partie de cette clique de menteurs et que la cible de ces mensonges était le peuple américain.Dans ce scénario, Bush est devenu si sûr de lui devant les groupes de presse obséquieux de Washington qu’il a senti qu’il pouvait mentir en toute impunité et que la classe des experts de la capitale hocherait la tête en signe d’acceptation.
Un exemple étayant le scénario Bush-est-un-menteur est survenu plusieurs mois après l’invasion de l’Irak, lorsqu’il est devenu évident qu’il n’y avait pas de stocks d’ADM. Ainsi, Bush a commencé à insister sur le fait que Saddam Hussein avait « choisi la guerre » en refusant d’autoriser les inspecteurs en désarmement de l’ONU à revenir dans son pays – même si le public avait vu les inspecteurs se précipiter en Irak dans leurs camionnettes blanches pendant des mois à la fin de 2002 et au début de 2003.
Néanmoins, lors d’un point de presse à la Maison-Blanche le 14 juillet 2003, Bush a déclaré aux journalistes : « Nous lui (Saddam Hussein)avons donné l’occasion d’autoriser les inspecteurs à entrer et il n’a pas voulu. Et donc, après une demande raisonnable, nous avons décidé de lui retirer le pouvoir. »
Ne rencontrant aucune contestation de la part des corps de presse obséquieux de la Maison-Blanche, Bush a répété ce mensonge sous diverses formes jusqu’aux derniers jours de sa présidence.
Admission discordante
Admission discordante
La seule défense possible du clair et net mensonge de Bush était qu’il aurait pu oublier que Saddam Hussein avait autorisé les inspecteurs à revenir à l’automne 2002, leur donnant ainsi un accès sans entrave aux sites présumés d’ADM, et que c’était Bush qui les avait obligés à partir en mars 2003.
Toutefois, dans ses mémoires, Bush admet de façon troublante qu’il savait que les inspecteurs de l’ONU erraient un peu partout en Irak durant la période préparatoire à la guerre.
« Certains croyaient que nous pouvions maîtriser Saddam en gardant des inspecteurs en Irak », a écrit Bush. « Mais je ne voyais pas comment. Si nous disions à Saddam qu’il avait une autre chance – après avoir déclaré que c’était sa dernière chance – nous détruirions notre crédibilité et l’encouragerions. »
Bush évoque également le rôle central que la réintroduction des inspecteurs de l’ONU avait joué en avril 2002 lorsqu’il avait convaincu le Premier ministre britannique Tony Blair de soutenir la « diplomatie coercitive » contre l’Irak. Bush a écrit :
« Tony a suggéré que nous recherchions une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies qui avait lancé un ultimatum clair à Saddam Hussein : permettre aux inspecteurs en désarmement de retourner en Irak, ou faire face à de graves conséquences. Je n’avais guère confiance en l’ONU. Le Conseil de sécurité a adopté seize résolutions contre Saddam Hussein en vain. Mais j’ai accepté d’étudier son idée. »
En fin de compte, le Conseil de sécurité des Nations Unies a approuvé la résolution 1441 demandant à l’Irak de révéler ce qu’il avait fait de ses programmes d’armement antérieurs et de permettre aux inspecteurs des Nations Unies d’y retourner. À l’automne 2002, l’Irak s’est conformé à ces deux exigences, en permettant aux inspecteurs de revenir et en remettant une déclaration de 12 000 pages expliquant comment les stocks d’armes de destruction massive avaient été éliminés.
Malgré la présentation de ces documents par l’Irak, les principaux néoconservateurs que l’envie de faire la guerre démangeait, comme le sénateur Joe Lieberman du Connecticut, se sont moqués des efforts de l’Irak, un dédain que Bush a cité favorablement dans ses mémoires, en rappelant :
« Joe Lieberman était plus succinct. Il a dit que cette déclaration était “douze mille pages et cent livres de mensonge”. »
Bien que Bush ait maintenu le cap sur la guerre, il se présente dans ses mémoires comme un guerrier réticent, contraint de lancer une guerre agressive à cause de la belligérance de Saddam Hussein. Bush a écrit :
« Chaque fois que j’entendais quelqu’un prétendre que nous nous étions précipités dans la guerre, je repensais à cette période. Cela faisait plus d’une décennie que les résolutions de la guerre du Golfe exigeaient que Saddam Hussein désarme, plus de quatre ans qu’il avait expulsé les inspecteurs en désarmement, six mois que j’avais lancé mon ultimatum à l’ONU, quatre mois que la résolution 1441 avait donné à Saddam Hussein sa “dernière chance” et trois mois après la date limite de présentation complète de ses ADM. La diplomatie ne se sentait pas pressée. J’avais l’impression que ça prenait une éternité. »
Il y a, bien sûr, une certaine folie dans l’argumentation de Bush et un mépris pour le rapport factuel. La vérité, c’est que l’Irak avait désarmé et tenté de se conformer à la résolution 1441 ; Saddam Hussein avait répondu à cette « dernière chance » en laissant revenir les inspecteurs de l’ONU ; et il ne pouvait pas « communiquer complètement ses ADM » parce qu’il n’avait rien à communiquer.
Amoureux de la paix
Bush consacre une grande partie de ses mémoires à la fabrication d’une fausse histoire pour que le peuple américain le considère comme un amoureux de la paix qui n’avait plus qu’une seule option : la guerre.
« Je me suis souvenu de la douleur déchirante provoquée par le 11 septembre, une attaque surprise pour laquelle nous n’avions reçu aucun avertissement », écrit Bush. « Cette fois, nous avons eu un avertissement aussi retentissant qu’une sirène. Des années de renseignement ont montré de façon accablante que Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive. Il les avait déjà utilisées dans le passé. Il n’a pas assumé la responsabilité de prouver leur destruction. »
« Il avait refusé de coopérer avec les inspecteurs, même sous la menace d’une invasion à sa porte. La seule conclusion logique était qu’il cachait des ADM. Et vu son soutien à la terreur et sa haine jurée de l’Amérique, il n’ y avait aucun moyen de savoir où ces armes finiraient. »
Pourtant, même au milieu de ces mensonges et de ces rationalisations, il reste la possibilité que Bush était plus un dauphin dupé qu’un prince rusé. il avait sûrement plein de conseillers manipulateurs qui, de derrière son trône, lui chuchotaient à l’oreille.
Pourtant, même au milieu de ces mensonges et de ces rationalisations, il reste la possibilité que Bush était plus un dauphin dupé qu’un prince rusé. il avait sûrement plein de conseillers manipulateurs qui, de derrière son trône, lui chuchotaient à l’oreille.
Quelques jours seulement après les attentats du 11 septembre 2001, Bush a décrit une réunion de son équipe de sécurité nationale au cours de laquelle le secrétaire adjoint à la Défense, Paul Wolfowitz, un ultra-conservateur, « a suggéré que nous envisagions d’attaquer l’Irak ainsi que les talibans » en Afghanistan. L’idée de l’invasion a donc été lancée très tôt.
Bush, cependant, a insisté sur le fait qu’il était réticent à aller dans cette direction, écrivant :
« À moins de recevoir une preuve définitive liant Saddam Hussein au complot du 11 septembre, je travaillerais à la résolution du problème irakien par voie diplomatique. J’espérais que la pression mondiale commune pourrait contraindre Saddam à assumer ses obligations internationales. Le meilleur moyen de lui montrer qu’on était sérieux était de réussir en Afghanistan. »
La bévue de Tora Bora
Malgré les objections de Bush afin de ne pas se précipiter dans une guerre avec l’Irak et la nécessité de réussir d’abord en Afghanistan, il raconte en passant le moment clé qui est celui où il a changé de cap prématurément en abandonnant, à l’automne 2001, les opérations visant à l’élimination d’Oussama ben Laden et des chefs d’Al-Qaïda à Tora Bora, et en concentrant plutôt l’armée américaine sur les plans de guerre en Irak. Bush a écrit :
« Deux mois après le 11 septembre, j’ai demandé à Don Rumsfeld de revoir les plans de bataille déjà établis pour l’Irak. Nous devions développer la moitié contraignante de la diplomatie coercitive. Don chargea le général Tommy Franks (alors responsable du Commandement central couvrant le Moyen-Orient et l’Asie centrale) de mettre à jour ces plans. Juste après Noël 2001, Tommy est venu à Crawford pour me parler de l’Irak. »
Ce que Bush a laissé de côté dans ce récit et qui a été révélé plus tard par une enquête de la Commission des relations étrangères du Sénat, est que Franks supervisait l’opération militaire visant à capturer ou à tuer ben Laden lorsque Rumsfeld a relayé l’ordre de Bush pour actualiser le plan d’invasion de l’Irak.
Selon l’analyse de la bataille de Tora Bora faite par la commission, la petite équipe de combattants américains croyait que Ben Laden avait été piégé dans sa forteresse de montagne à Tora Bora, dans l’est de l’Afghanistan, et avait demandé des renforts pour bloquer d’éventuelles voies de fuite vers le Pakistan.
Mais Bush se tournait déjà vers l’Irak, comme le voulaient ses conseillers néoconservateurs. Le rapport du Sénat dit :
« Le 21 novembre 2001, le président Bush a mis son bras sur l’épaule du secrétaire à la Défense [Donald] Rumsfeld alors qu’ils quittaient une réunion du Conseil de sécurité nationale à la Maison-Blanche. “J’ai besoin de te voir”, a dit le président. C’était 72 jours après les attentats du 11 septembre et seulement une semaine après la chute de Kaboul. Mais Bush avait déjà de nouveaux plans » pour rafraîchir les plans d’invasion en Irak.
Dans ses mémoires, le général Franks dit qu’il avait reçu un appel téléphonique de Rumsfeld le 21 novembre, après que le secrétaire à la Défense eut rencontré le président, et qu’il avait été informé de l’intérêt de Bush pour un plan de guerre mis à jour contre l’Irak.
Franks a dit qu’à ce moment-là il se trouvait dans son bureau de la base aérienne de MacDill en Floride et qu’il travaillait avec l’un de ses assistants pour organiser le soutien aérien de la milice afghane qui était sous la direction des forces spéciales américaines chargées de l’assaut contre le bastion de Tora Bora de Ben Laden.
Franks a dit à Rumsfeld que le plan de guerre en Irak n’était pas d’actualité, ce qui a incité le ministre de la Défense à ordonner à Franks de « le dépoussiérer et de revenir me voir dans une semaine ».
« Pour les détracteurs de l’engagement de l’administration Bush en Afghanistan », a noté le rapport du Sénat, « le changement d’orientation, juste au moment où Franks et ses assistants principaux travaillaient précisément sur les plans des attaques contre Tora Bora, représente un tournant dramatique qui a permis à une victoire durable en Afghanistan de nous glisser entre les doigts. Presque immédiatement, les ressources du renseignement et de la planification militaire ont été transférées pour commencer à planifier la prochaine guerre en Irak. »
De vains appels
Le rapport a indiqué que les équipes de la CIA et des forces spéciales, appelant à des renforts pour achever ben Laden et Al-Qaïda « ne savaient pas ce qui se passait à CentCom, (Commandement Central responsable des opérations militaires des États-Unis au Moyen-Orient, en Asie centrale et en Asie du Sud. NDT) la diminution des ressources et le détournement de l’attention les affectaient et ainsi que le déroulement futur de la campagne américaine en Afghanistan. »
Henry Crumpton, qui était responsable de la stratégie afghane de la CIA, a lancé des appels directs à Franks pour qu’il déplace plus de 1 000 Marines à Tora Bora afin de bloquer les voies d’évasion vers le Pakistan. Mais le commandant du CentCom a rejeté la demande en invoquant des problèmes de logistique et de temps, dit le rapport.
« Fin novembre, M. Crumpton s’est rendu à la Maison-Blanche pour informer le président Bush et le vice-président [Dick] Cheney et a réitéré le message qu’il avait adressé à M. Franks », a déclaré le rapport. « M. Crumpton a averti le président que l’objectif principal de la campagne afghane, qui consistait à capturer ben Laden, était menacé en raison de la dépendance de l’armée envers les milices afghanes à Tora Bora… »
« M. Crumpton a demandé si les forces pakistanaises seraient en mesure de boucler les voies d’évacuation et a fait remarquer que les troupes pakistanaises promises n’étaient pas encore arrivées. »
Crumpton a également déclaré à Bush que les milices afghanes n’étaient pas à la hauteur pour attaquer les bases d’Al-Qaïda à Tora Bora et a averti le président, « nous allons perdre notre proie si nous ne sommes pas prudents », dit le rapport, citant The One Percent Doctrine du journaliste Ron Suskind.
Mais Bush, obsédé par l’Irak, n’a toujours pas réagi. Enfin, mi-décembre 2001, la petite équipe des forces spéciales américaines a convaincu les combattants de la milice afghane d’entreprendre un ratissage du terrain montagneux, mais ils l’ont trouvé pratiquement désert.
Le rapport du Sénat indiquait que Ben Laden et ses gardes du corps avaient apparemment quitté Tora Bora le 16 décembre 2001, en précisant : « Avec l’aide d’Afghans et de Pakistanais, payés à l’avance, le groupe s’est dirigé à pied et à cheval vers le Pakistan sans rencontrer de résistance. »
« L’histoire du commandement des opérations spéciales (de l’invasion afghane) rapporte qu’il n’y avait pas assez de troupes américaines pour empêcher une évasion, reconnaissant que l’échec dans la capture ou l’élimination de Ben Laden a fait de Tora Bora une opération controversée. »
Bien qu’il ait exclu ces détails de ses mémoires, Bush tente de réfuter les critiques selon lesquelles il aurait gâché la bataille de Tora Bora. Il écrit :
« Des années plus tard, les critiques nous ont accusés d’avoir permis à Ben Laden de se faufiler hors du nœud coulant de Tora Bora. Je ne voyais pas ça comme ça. J’ai souvent posé des questions à nos commandants et aux responsables de la CIA au sujet de Ben Laden. Ils travaillaient 24 heures sur 24 pour le localiser, et ils m’ont assuré qu’ils avaient les effectifs et les ressources nécessaires. Si nous avions su avec certitude où il était, nous aurions remué ciel et terre pour le traduire en justice. »
Cependant la réalité est que les néoconservateurs, qui voyaient l’Irak comme une menace plus grave pour Israël, et les compagnies pétrolières, qui convoitaient les réserves pétrolières de l’Irak, persuadèrent Bush de se concentrer davantage sur l’élimination de Saddam Hussein que d’Oussama Ben Laden.
Discours de macho
Pour ce faire, certains conseillers ont joué sur l’image macho que Bush avait de lui-même. Dans ses mémoires, Bush se souvient d’un de ses déjeuners hebdomadaires avec le vice-président Cheney (l’ancien directeur de la société de forage pétrolier Halliburton), qui l’exhortait à poursuivre les opérations visant à éliminer Saddam Hussein.
« Dick m’a demandé directement : “Tu vas t’occuper de ce type ou pas ?” C’était sa façon de dire qu’il pensait que nous avions donné assez de temps à la diplomatie. J’ai apprécié le conseil direct de Dick. Je lui ai dit que je n’étais pas encore prêt à bouger. “D’accord, M. le Président, c’est à vous de décider, dit-il”. »
Cependant, alors même que Cheney et les néoconservateurs l’incitaient à agir, Bush se servait de la même rhétorique machiste – sur le fait d’avoir « les couilles » pour entrer en guerre – afin de s’assurer que le Premier ministre Blair engagerait des forces britanniques le moment venu. Dans un passage mélodramatique de Decision Points, Bush relate une discussion avec Blair :
« Nous comprenions tous les deux ce que cette décision signifiait. Une fois notre position exprimée à l’ONU, nous devions être prêts à en assumer les conséquences. Si la diplomatie échouait, il ne resterait qu’une seule option. “Je ne veux pas entrer guerre,” dis-je à Tony, “mais je le ferai”. »
« Tony était d’accord. Après la réunion, j’ai dit à Alastair Campbell, l’un de ses proches collaborateurs : “Ton mec a des cojones.” Je ne sais pas comment cela a été traduit pour les oreilles raffinées du 10 Downing Street. Mais pour n’importe qui du Texas, sa signification était claire. »
Mais les mémoires de Bush indiquent aussi qu’il ne s’est pas seulement laissé emporter par une excitation virile visant à faire éclater une nation presque sans défense, mais qu’il a été entraîné par des rapports de renseignement qui étaient eux-mêmes manipulés par la combinaison des pressions Cheney/neocons et analystes de la CIA, qui se souciaient plus de leur poste que de la vérité. Il écrit :
« Un rapport des services de renseignement résumait le problème : “Depuis la fin des inspections en 1998, Saddam Hussein a continué ses efforts en matière d’armes chimiques, dynamisé le programme de missiles, investi davantage dans les armes biologiques et commencé à essayer d’aller de l’avant dans le domaine nucléaire”. »
Le Mythe Zarquawi
Ses mémoires contiennent également des éléments au travers desquels il est difficile de décider si Bush était le manipulateur ou le manipulé.
Par exemple, Bush cite le cas d’Abou Moussab al-Zarqawi, un terroriste violent qui opérait dans une région de l’Irak protégée par la « zone d’exclusion aérienne » des États-Unis et de la Grande-Bretagne, zone qui empêchait les opérations impitoyables de Saddam Hussein contre le terrorisme et de prendre pour cible des militants islamiques antigouvernementaux comme Zarqawi.
Bien que les services de renseignements américains sussent que le sunnite laïc Saddam Hussein était un ennemi acharné de ces fondamentalistes islamiques, l’administration Bush a exploité à des fins de propagande le fait que Zarqawi s’était trouvé en Irak mais s’était faufilé à Bagdad pour se faire soigner.
Dans ses mémoires, Bush cite l’affaire Zarqawi pour défendre sa décision d’envahir l’Irak, mais on ne sait pas si la présence du terroriste notoire en Irak a également servi à appâter Bush.
« Au cours de l’été 2002, j’ai reçu une nouvelle étonnante. Abu Moussab al-Zarqawi, un terroriste affilié à Al-Qaïda qui avait expérimenté des armes biologiques en Afghanistan, exploitait un laboratoire dans le nord-est de l’Irak. »
« “Il se pourrait que dans cette zone une installation suspecte produise des poisons et des toxines à usage terroriste”, peut-on lire dans l’exposé. “Al-Zarqawi est un organisateur terroriste actif qui a pris pour cible les intérêts des États-Unis et d’Israël : des informations sensibles provenant d’un service [classifié] indiquent qu’al-Zarqawi avait entrepris des actions pour introduire clandestinement aux États-Unis un produit chimique non spécifié provenant du nord de l’Irak”. »
« Nous ne savions pas si Saddam savait que Zarqawi était en Irak. Nous avions des renseignements indiquant que Zarqawi avait passé deux mois à Bagdad pour recevoir un traitement médical et que d’autres agents d’Al-Qaïda avaient déménagé en Irak. »
« La CIA avait travaillé avec un important service de renseignement arabe pour que Saddam trouve et extrade Zarqawi. Il a refusé. » (Il a été révélé plus tard que la police de Saddam Hussein avait recherché Zarqawi à Bagdad, mais n’avait pas réussi à le localiser.)
À un autre moment dans ses mémoires, Bush se présente comme une victime innocente, trompée par des renseignements erronés fin 2002. Il écrit :
« J’ai demandé à George Tenet et à son habile adjoint, John McLaughlin, de m’informer des renseignements que nous pourrions déclassifier pour expliquer les programmes d’ADM en Irak. Quelques jours avant Noël, John m’a fait part de leur première tentative. Ce n’était pas très convaincant. »
« J’ai repensé aux notes de la CIA que j’avais reçues, à la NIE qui concluait que Saddam avait des armes biologiques et chimiques, et aux données que la CIA avait fournies pour mon discours de l’ONU en septembre. Nous pouvons certainement faire mieux pour présenter les preuves contre Saddam “, ai-je dit. George Tenet était d’accord. “C’est un truc sûr”, dit-il. »
« Je l’ai cru. Je recevais des informations sur l’Irak depuis presque deux ans. »
Plus d’atermoiements
En mars 2003, Bush affirme qu’il avait épuisé toutes les voies pacifiques pour résoudre les questions relatives aux ADM irakiennes et qu’il ne lui restait qu’un seul choix, l’invasion de l’Irak :
« Pendant plus d’un an, j’ai essayé de faire face à la menace de Saddam Hussein sans recourir à la guerre. Nous avions mobilisé une coalition internationale pour le pousser à être honnête concernant ses programmes d’armes de destruction massive. Nous avions obtenu une résolution unanime du Conseil de sécurité des Nations Unies indiquant clairement qu’il y aurait de graves conséquences s’il maintenait son refus. »
« Nous avions établi des contacts avec des nations arabes pour faire exiler Saddam. J’avais donné les ultimes quarante-huit heures à Saddam et à ses fils pour éviter la guerre. Le dictateur a rejeté toutes les opportunités. La seule conclusion logique était qu’il avait quelque chose à cacher, quelque chose de si important qu’il était prêt à entrer en guerre pour ça. »
Bien entendu, l’autre conclusion logique était que l’Irak n’avait pas de stocks d’ADM, qu’il avait fait de son mieux pour en convaincre le monde extérieur, et qu’il était convaincu que la communauté internationale ferait respecter les principes énoncés par les Tribunaux de Nuremberg après la seconde guerre mondiale et par la Charte des Nations Unies, faisant de la guerre d’agression le crime international suprême.
Au lieu de cela, voyant que le Conseil de sécurité s’opposait massivement à une invasion, Bush a retiré la deuxième résolution demandant l’autorisation explicite d’utiliser la force, a incité les inspecteurs de l’ONU à fuir l’Irak et s’est tourné vers sa « coalition de volontaires ».
Dans ses mémoires, Bush décrit ce qui s’est passé ensuite dans des termes des plus héroïques et des plus mélodramatiques.
« Le mercredi 19 mars 2003, je suis allé à une réunion que j’espérais inutile », écrit-il. « Je me suis tourné vers Don Rumsfeld (Secrétaire à la Défense). “Monsieur le Secrétaire d’État”, ai-je dit, “pour la paix dans le monde et pour le bénéfice et la liberté du peuple irakien, je donne par la présente l’ordre de lancer l’opération “Liberté irakienne”. Que Dieu bénisse nos troupes”. »
« Tommy [Franks] a salué et dit. “Monsieur “Que Dieu bénisse l’Amérique”. »
En trois semaines, l’invasion avait renversé le gouvernement de Saddam Hussein. Quelques semaines plus tard, Bush s’est rendu sur le pont de l’USS Abraham Lincoln et a prononcé son tristement célèbre discours « Mission accomplie ». Finalement, Bush a même eu la satisfaction de voir les troupes américaines livrer Hussein à l’échafaud où il a été pendu fin 2006. [Voir Consortiumnews. Com : Bush Silences a Dangerous Witness.(Bush fait taire un témoin dangereux)]
Mais la guerre a aussi fait de l’Irak un enfer vivant pendant sept ans (et ce n’est pas fini), avec un nombre de morts estimé maintenant à des centaines de milliers, et encore plus de mutilés et des millions d’Irakiens chassés de chez eux et vivant dans la détresse et l’insalubrité.
Perdre l’Afghanistan
Les conséquences pour l’Afghanistan (dues au changement de cap prématuré de Bush passant de l’Afghanistan à l’Irak comme le souhaitaient ardemment les néoconservateurs) ont également été dévastatrices. Plutôt que de stabiliser l’Afghanistan et de veiller à ce qu’Al-Qaïda et ses alliés ne puissent pas y réinstaller leurs bases, Bush a été spectateur du retour des talibans et de l’enlisement de l’armée américaine en Irak. Il écrit :
« Mes séances d’information avec la CIA et les militaires comprenaient des rapports de plus en plus désastreux sur l’influence des talibans. Le problème a été concrétisé par une série de cartes à code couleur que j’ai vues en novembre 2006. Plus les ombres étaient sombres, plus il y avait d’attaques dans cette partie de l’Afghanistan. »
« La carte de 2004 était légèrement ombrée. La carte de 2005 comportait des zones plus sombres dans le sud et l’est du pays. En 2006, tout le quadrant sud-est était noir. En seulement un an, le nombre de bombes télécommandées avait doublé. Le nombre d’attaques armées avait triplé. Le nombre d’attentats suicides avait plus que quadruplé. »
La situation se détériorait également en Irak avec diverses forces nationalistes irakiennes prenant les armes contre l’occupation militaire américaine et l’éclatement d’une guerre civile sectaire entre les sunnites, qui représentaient l’ancienne élite dirigeante, et les chiites, qui avaient accédé au pouvoir depuis l’invasion.
Bien que Bush ait laissé entendre avant la guerre que la présence de Zarqawi et de quelques agents d’Al-Qaïda était une justification essentielle pour envahir l’Irak, il reconnaît dans ses mémoires que ce n’est qu’après l’invasion qu’Al-Qaïda a commencé à se concentrer sur l’Irak. Il écrit :
« Lorsque Al-Qaïda a perdu son refuge sûr en Afghanistan, les terroristes sont partis à la recherche d’un autre pays. Après la destitution de Saddam en 2003, Ben Laden a exhorté ses combattants à soutenir le jihad en Irak. A bien des égards, l’Irak est plus séduisant pour eux que l’Afghanistan. Il y avait des richesses pétrolières et des racines arabes. »
« Au fil du temps, le nombre d’extrémistes affiliés à Al-Qaïda en Afghanistan était tombé à quelques centaines d’individus alors qu’il était estimé à une dizaine de milliers en Irak. »
Bush confirme également certains faits importants sur sa décision de renforcer les forces américaines en 2007, « l’intensification ». Son récit montre à quel point les médias américains et les démocrates du Congrès avaient tort dans leur interprétation des événements de la fin de 2006, lorsque, (après la victoire des démocrates aux élections législatives), Bush a congédié le secrétaire à la Défense Rumsfeld et l’a remplacé par Robert Gates, ancien directeur de la CIA.
La sagesse populaire du moment voulait que le remaniement représentait une victoire des colombes réalistes sur les faucons idéologiques, que le pragmatique Gates veillerait à une réduction rapide des forces américaines et que Rumsfeld était resté un impitoyable partisan de la guerre.
Consortiumnews. com était l’un des rares organes à signaler que la sagesse populaire était à l’opposé, que la réalité était que Rumsfeld soutenait les commandants américains qui voulaient réduire de façon drastique « l’empreinte » américaine en Irak et que Gates avait tellement hâte de reprendre une position de premier plan à Washington qu’il s’était prononcé en faveur d’une escalade.
Les néocons poussent à l’intensification
C’est essentiellement le récit que Bush offre dans ses mémoires, dans le cadre de la présentation de « l’intensification » comme l’une de ses plus belles heures en tant que Décideur, mais sous la conduite des chefs de file néoconservateurs.
En juin 2006, écrit-il, il a reçu un exposé spécial d’experts indépendants :
« Fred Kagan, spécialiste des questions militaires à l’American Enterprise Institute, se demandait si nous avions assez de troupes pour contrôler la violence. Robert Kaplan, éminent journaliste, recommandait l’adoption d’une stratégie de contre-insurrection plus agressive. »
« Michael Vickers, un ancien agent de la CIA qui avait aidé à armer les moudjahidin afghans dans les années 1980, suggérait un rôle plus important pour les opérations spéciales. Eliot Cohen, auteur deSupreme Command, un livre sur la relation entre les présidents et leurs généraux…, m’expliqua que je devais tenir mes commandants pour responsables des résultats. »
En d’autres termes, les germes de « l’intensification » venaient des néoconservateurs, y compris du « journaliste » Robert Kaplan, qui s’est chargé de conseiller le commandant en chef sur l’escalade des massacres en Irak.
Ce conseil néoconservateur allait à l’encontre du jugement des commandants sur le terrain, recommandations que Bush avait notoirement déclaré vouloir suivre.
Vers le milieu de 2006, les commandants voyaient un tournant dans la violence qui déchirait l’Irak. Les militants sunnites avaient commencé à rejeter les extrémistes d’Al-Qaïda ; Zarqawi avait été tué lors d’un raid aérien ; la violence sectaire avait provoqué un nettoyage ethnique de facto, les sunnites et les chiites se repliant dans des enclaves plus sûres ; un programme confidentiel visait et tuait les insurgés en nombre encore plus grand.
Les commandants de campagne, y compris le général en chef en Irak, George Casey, étaient en faveur d’un retrait accéléré des forces américaines et d’un plan de retrait des troupes de combat, plutôt que d’un séjour prolongé et illimité. Les commandants avaient le soutien de Rumsfeld.
Bush écrit : « Le général [George] Casey m’a dit que nous pourrions réussir en transférant plus rapidement la responsabilité aux Irakiens. Nous devions “les aider à s’aider eux-mêmes”, a dit Don Rumsfeld. C’était une autre façon de dire que nous devions enlever notre main de la selle de la bicyclette. »
« Je voulais faire comprendre à l’équipe que je pensais différemment. Nous devons réussir, dis-je. S’ils ne peuvent pas le faire, nous le ferons. Si le vélo vacille, on y remettra la main. “Nous devons absolument être sûrs de ne pas échouer”. »
Pour imposer cette nouvelle stratégie, Bush a cherché de nouveaux dirigeants en Irak et au Pentagone, sondant Gates pour en faire le remplaçant de Rumsfeld.
« Le week-end précédant la mi-année, j’ai rencontré Bob Gates à Crawford pour lui demander de devenir secrétaire de la Défense. Bob avait siégé à la Commission Baker-Hamilton, un groupe d’experts constitué par le Congrès pour étudier la situation en Irak. Il m’a dit qu’il avait soutenu le renforcement des troupes comme l’une des recommandations de ce groupe. »
Sceller le marché
Une fois Rumsfeld limogé et Gates nommé (sous les applaudissements malavisée des officiels de Washington), Bush et les néoconservateurs ont poursuivi l’escalade. Bush écrit :
« Après des semaines d’intenses discussions en novembre et décembre, la plupart des membres de l’équipe de sécurité nationale sont venus appuyer l’idée d’intensification. Dick Cheney, Bob Gates, Josh Bolten, Steve Hadley et ses guerriers du NSC étaient derrière cette nouvelle stratégie. »
Bien que Bush attribue le tournant en Irak à sa décision d’ordonner « l’intensification », il évoque également des faits qui étayent la conclusion opposée, à savoir que la marée était déjà en train de se retourner contre les extrémistes d’Al-Qaïda avant que les 30 000 soldats américains supplémentaires n’arrivent en 2007. Il écrit :
« Les habitants d’Anbar [province] ont eu un aperçu de la vie sous Al-Qaïda, et ils n’ont pas aimé ce qu’ils ont vu. À partir de la mi-2006, les cheikhs tribaux se sont regroupés pour reprendre leur province aux extrémistes. Le Réveil a attiré des milliers de recrues. »
Néanmoins, les néoconservateurs – qui ont toujours exercé une influence extraordinaire à Washington jusqu’à ce jour – ont tourné « l’intensification » comme unique explication au déclin progressif de la violence en Irak. Cette nouvelle sagesse conventionnelle a été encouragée avec enthousiasme par l’administration Bush et acceptée par la presse de Washington. [Pour plus de détails, voir Consortiumnews. com Gen. Petraeus and the Surge Myth.]
Il n’est pas surprenant de constater que les mémoires de Bush reprennent également la sagesse populaire du « c’est l’escalade qui l’a fait ». Après tout, cela a finalement fait de lui le grand Décideur des temps de guerre qu’il a toujours imaginé être, image de soi que les néoconservateurs et ses autres conseillers ont soigneusement cultivée et exploitée comme clé de leur propre influence.
Pourtant, après avoir terminé le livre Decision Points, je ne savais toujours pas où se situait la ligne de démarcation entre Bush, celui qui se faisait manipuler, et celui qui manipulait le reste d’entre nous. Avait-il bu son propre Kool-Aid ou avait-il donné des instructions cyniques à son auteur fantôme pour qu’il transforme ses vieux discours en mémoires destinées à le réhabiliter, lui et sa puissante famille ?
La seule certitude, c’est que du fait des nombreuses erreurs de calcul de sa présidence, de nombreuses personnes sont mortes inutilement, beaucoup d’autres ont dû faire face à de graves difficultés personnelles qui n’auraient pas eu lieu d’être, et les États-Unis ont été laissés dans un désordre fiscal, économique et stratégique.
Robert Parry a rédigé de nombreux articles sur l’Iran-Contra dans les années 1980 pour l’Associated Press et Newsweek, et depuis 1995 il a mis en ligne Consortiumnews. com.
Source : Robert Parry, Consortium News, 23-01-2018
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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