Alongueur de réunions publiques, Olivier Faure rappelle aux militants une autre page douloureuse de l'histoire de leur parti. " Au congrès d'Epinay, en 1971, les journaux parlaient d'un “théâtre d'ombres” et d'un “champ de ruines” pour qualifier le PS ", glisse le nouveau premier secrétaire, non sans rappeler que, dix ans après, François Mitterrand accédait au pouvoir.
Près d'un demi-siècle plus tard, à l'approche du congrès d'Aubervilliers des 7 et 8 avril qui doit of-ficiellement l'introniser, le député de Seine-et-Marne prévoyait même de distribuer une revue de presse de l'époque. Histoire de faire relativiser les journalistes actuels. Manque de chance, même l'historien membre du Parti socialiste Alain Bergounioux ne partage pas son optimisme. " La crise que traverse le parti est plus importante que les crises passées. Au moment d'Epinay, tous partageaient à peu près la même idéologie, il y avait surtout la question des alliances à gérer ", tempère le chercheur, depuis son petit bureau de la rue de Solférino qu'il devra bientôt quitter puisque le parti a été contraint de vendre son siège.
Après le crash de l'élection présidentielle terminée avec un score historiquement bas (6,36 %) et celui des élections législatives, divisant par dix le nombre de députés à l'Assemblée nationale, le PS a connu une fuite de cadres et de militants. Les deux finalistes de la primaire de gauche, Manuel Valls et Benoît Hamon, sont partis et répètent partout qu'ils ne croient plus en l'avenir du parti. " Le PS est mort ", cingle dans les médias l'ancien premier ministre qui a rejoint les bancs de La République en marche. " Ce qu'il se passe dans la gauche française et européenne dépasse le destin des appareils : c'est la fin de la social-démocratie ", assure de son côté le chef de file du mouvement Génération.s, créé au lendemain de sa défaite électorale.
" Composer avec la gauche "Les plus virulents sont ceux qui entendent bien " remplacer " le PS, comme l'a assumé Jean-Luc Mélenchon au lendemain de la présidentielle. "
Un parti sert à former les citoyens, le PS ne forme plus. Un parti sert à gagner les élections, ils perdent. Un parti sert à donner des idées dans les sociétés, ils n'en donnent plus ", constate froidement Alexis Corbière, député de La France insoumise reprenant à son compte le mot fatidique : " Ce parti est mort. " Du côté de La République en marche (LRM), le constat n'est guère plus reluisant. " Je ne vois pas de cohérence chez Olivier Faure. Ils sont très désorientés par l'élection d'Emmanuel Macron, et ils ont beaucoup de mal à se positionner vis-à-vis de nous ", observe la porte-parole du groupe LRM à l'Assemblée nationale, Aurore Bergé.
"
On a frôlé la mort ", reconnaît le sénateur de Paris, David Assouline, qui tente de rester optimiste :
" Le PS a été décimé, mais il existe un espace pour une gauche qui aspire à gouverner, entre Emmanuel Macron, qui a choisi la droite giscardienne, et Jean-Luc Mélenchon, qui a choisi une ligne populiste qui sort de la gauche ", analyse le parlementaire, soutien de M. Faure lors de l'élection interne. Même l'aile gauche du parti, incarnée par Emmanuel Maurel, partage cette notion d'" espace politique disponible ".
" Je suis très optimiste sur l'actualité des idées du PS ", confie le candidat arrivé en troisième position le 15 mars, avec une nuance :
" Si on est suffisamment intelligents pour être dans l'opposition à Macron, on peut s'en sortir, mais on sera obligés de composer avec la gauche ", poursuit le député européen qui milite pour une alliance avec Jean-Luc Mélenchon notamment.
Au sein du PS, comme en dehors, beaucoup considèrent que la résurrection ne viendra qu'après la reconquête des idées.
" On est tous d'accord à gauche pour faire le diagnostic qu'on a perdu la bataille culturelle ", reconnaît Benoît Hamon.
" L'opinion est contre nous sur de nombreux sujets. La gauche a perdu ses intellectuels. Pourtant ils existent et ils veulent qu'on se retrouve ", soutient Boris Vallaud qui travaille à cette renaissance idéologique.
Il y a ceux qui se raccrochent au passé comme ultime bouée de sauvetage.
" Il y a des révolutions à faire, mais un siècle, c'est un siècle. Cela ne s'efface pas comme cela ",veut croire M. Assouline en se référant à la longue histoire du socialisme.
" J'ai tendance à penser que la culture socialiste forgée au fil de l'histoire depuis Jaurès et Blum peut renaître ", abonde M. Bergounioux avant d'alerter :
" Il est clair que le parti ne survivra pas tel qu'il est. Il y a des profondes transformations à apporter. "
M. Faure, dont le programme s'intitulait " Le chemin de la renaissance ", comme pour acter la fin d'un cycle, semble avoir pris conscience de l'ampleur de la tâche. Il a promis de changer les pratiques et les visages du parti de Solférino et de
" renouveler le vivier des idées " grâce à une plate-forme numérique en lien avec les militants.
" M. le Bourreau "M. Assouline, lui, a suggéré de créer une université populaire pour former les futurs cadres et ainsi renouer avec la société. Bref, revenir aux fondamentaux de toute organisation politique. Mais tous savent que le chemin sera long et escarpé. Après la réorganisation profonde du Parti socialiste comme préalable, il s'agira d'éviter le pire lors des prochaines échéances électorales.
Si la plupart des -socialistes ont intégré l'idée que les -européennes de 2019 seront
" très compliquées ", beaucoup se tournent vers les municipales de 2020.
" Après les deux ans de convalescence que nous allons vivre, soit on rechute aux municipales, soit on redevient crédible ", prédit Patrick Kanner, reprenant à son compte la comparaison d'Olivier Faure :
" Après Epinay, on émerge avec François Mitterrand en 1974, et c'est aux municipales de 1977 qu'on fait notre -retour ", rappelle le chef de file des sénateurs socialistes. "
Aux élections municipales, ils pourront peut-être dire “encore cinq minutes M. le Bourreau”, mais après, c'est terminé ", balaie Alexis Corbière.
Ce qui mine le parti depuis toutes ces années, ce sont sans doute les haines féroces que se livrent entre eux les " camarades " du parti.
" Le PS vit une crise idéologique mais également une crise -humaine ", reconnaît M. Bergounioux, qui observe
" une absence de solidarité fondamentale entre les élus, les militants et les personnalités ".
" Le vrai problème de ce parti, c'est qu'ils se haïssent ", commente, désabusée, une parlementaire.
" On était sur le Titanic
, maintenant on est à bord de la chaloupe. Il faut essayer de trouver un bout de terre ferme avant de se déchirer pour savoir qui sera le capitaine ", commentait l'ancien député frondeur Jérôme Guedj, quelques jours avant l'élection de M. Faure.
Le capitaine du moment, chantre du rassemblement, entend bien mener les survivants à bon port. Filant la métaphore d'Epinay, il reconnaissait tout de même, une semaine avant le rendez-vous d'Aubervilliers :
" Nous serons peut être un théâtre d'ombres, mais ces ombres continueront à avancer. " De là à parler d'un parti de morts-vivants, il n'y a qu'un pas.
Astrid de Villaines
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