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jeudi 12 avril 2018

En Arizona, l'autre vallée de la mort.....


12 avril 2018

En Arizona, l'autre vallée de la mort

Alors que la peine capitale est en recul aux Etats-Unis, certains Etats font de la résistance. Parmi eux, l'Arizona, où l'opinion publique et les autorités y sont foncièrement favorables

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Florence, une bourgade poussiéreuse au milieu du désert de l'Arizona. La municipalité a beau faire des efforts pour donner au centre-ville une allure de vieux Far West, l'ambiance est morose, la vie nocturne inexistante. La seule particularité locale : l'omniprésence des gardiens de prison. Dans les boutiques, les restaurants, on les croise partout, hommes et femmes, sanglés dans leurs uniformes très voyants, avec galons et écussons colorés. Ils font leurs courses, déjeunent entre collègues ou en -famille. C'est ainsi : la première activité économique de la ville est l'incarcération. Près des deux tiers des 27 000 habitants sont -enfermés dans l'un des huit centres de détention installés sur la commune : deux prisons de l'Etat d'Arizona, quatre établissements privés hébergeant des détenus pour le compte de diverses administrations, la maison d'arrêt du comté de Pinal, dont Florence est la -capitale, et un centre fermé pour mineurs. Leurs hautes clôtures barbelées enserrent la ville sur deux côtés.
Le petit musée municipal expose avec fierté les cordes utilisées autrefois pour pendre les meurtriers, toutes soigneusement conservées, ainsi que le fauteuil en bois sur lequel étaient attachés les condamnés à la chambre à gaz dans les années 1930 – un siège à deux places, car les premiers à être exécutés de cette façon furent des frères, morts ensemble. Non loin de là, l'un des deux motels de la ville, le Blue Mist (" brume bleue "), fait face au pénitencier qui abritait jadis les chambres à gaz. A en croire une -légende locale, il tirerait son nom des éma-nations bleutées qui s'en échappaient après chaque exécution…
De l'autre côté de la rue, l'Arizona Prison State Complex ressemble à un vaste camp militaire : des dizaines de bâtiments de -toutes tailles – immeubles en dur, bara-quements, hangars et préfabriqués, éparpillés sur un terrain de 1,8 km de long. En journée, des détenus, dans leur tenue orange vif, travaillent en plein air à l'entretien du camp ou à la réparation des véhicules. D'autres jouent au basket-ball ou font de la musculation. Il y a même un élevage de -chevaux, et des champs cultivés.
Comment la machine s'est enrayéeC'est aussi là que sont détenus les 122 hommes condamnés à mort de l'Arizona. Fier de sa tradition de région rugueuse du Far West, politiquement conservateur, l'Etat fait partie de ceux où le soutien à la peine de mort reste ancré dans la culture populaire. Selon un sondage récent, 71 % des 7 millions d'habitants y sont favorables – 87 % des électeurs républicains et 54 % des démocrates.
Jusqu'à l'automne 2017, les condamnés à mort étaient maintenus à l'isolement, enfermés dans des cellules exiguës et sans fenêtre, privés de tout contact physique, sauf quand leurs gardiens les enchaînaient avant de les sortir de leur cellule. Les visiteurs, autorisés à venir un jour par semaine, ne les voyaient qu'à travers une vitre. Depuis quelques mois, à la suite d'un procès intenté contre l'Etat par les avocats d'une vingtaine de détenus, la majorité d'entre eux bénéficient d'un régime un peu moins sévère : ils ont un peu plus de temps de loisirs hors de leur cellule et peuvent se réunir pour discuter et manger -ensemble. Parfois, les familles ont le droit de les rencontrer sans cloison séparatrice, et de les toucher. Cela dit, ils restent coupés du reste de la population de la prison. Une quarantaine d'entre eux, jugés trop dangereux ou trop malades, sont maintenus à l'isolement complet.
Les condamnés, tous déclarés coupables de meurtre avec circonstances aggravantes, -attendent en moyenne dix-sept ans avant d'être exécutés, le temps que soient épuisées toutes les voies de recours. Entre 2001 et 2010, les exécutions furent quasiment -suspendues en Arizona, après une action -judiciaire. Les avocats d'un condamné avaient demandé à la Cour suprême de Washington d'annuler la sentence, au motif qu'elle avait été décidée par un juge, et non par un jury -populaire. L'Arizona dut alors amender son code pénal afin que seuls des jurés puissent prononcer une peine de mort, et les exécutions reprirent en  2010.
L'administration entreprit aussitôt de -rattraper son retard : entre 2010 et 2014, -37 condamnés furent exécutés par injection d'un cocktail de produits sédatifs et mortels. Les exécutions avaient lieu en présence de -divers magistrats et avocats, des familles des victimes et de leurs invités, de celle du -condamné et de ses invités, et de cinq jour-nalistes de l'Arizona, chargés de témoigner du bon déroulement de l'opération. Toutes les étapes de l'exécution étaient filmées. -Selon le journaliste Michael Kiefer, du quotidien The Arizona Republic, qui a assisté à cinq exécutions, la salle de mise à mort est même équipée d'un défibrillateur : " Si un prisonnier émotif avait une crise cardiaque avant son exécution, on pourrait le ranimer avant de le tuer. " Les bourreaux et le médecin chargé de constater le décès sont anonymes, et payés en liquide.
Mais, en juillet 2014, un incident enraye la machine : Joseph Wood, condamné pour un double meurtre commis en  1989, agonise pendant presque deux heures sur la table d'exécution avant de mourir, en raison d'un produit mal préparé ou mal injecté. Aussitôt, un groupe d'avocats porte plainte contre l'Etat pour " acte de cruauté ". En fait, l'administration pénitentiaire a de plus en plus de mal à se procurer ces solutions létales, car les sociétés pharmaceutiques américaines et européennes refusent désormais de lui en vendre. En  2015, l'Arizona en fait venir une grosse quantité d'Inde, mais la cargaison est interceptée par les douaniers à l'aéroport de Phœnix, l'importation de ces substances n'étant pas autorisée par la Food and Drug Administration, l'agence fédérale des produits alimentaires et médicamenteux. -Depuis, c'est l'impasse. Début 2017, l'administration pénitentiaire va jusqu'à proposer aux avocats des condamnés de se procurer eux-mêmes les produits mortels, et de s'assurer qu'ils sont efficaces. Devant leur refus indigné, elle retire son offre.
" Le shérif le plus dur de l'Amérique "Malgré tout, les autorités restent décidées à reprendre les exécutions dès que possible. Bill Montgomery, procureur en chef du comté de Maricopa, le plus peuplé de l'Arizona avec 4,3 millions d'habitants, préconise une solution toute simple : " Il suffit de revenir aux méthodes antérieures, comme la chambre à gaz ou la chaise électrique. Personnellement, je préférerais le peloton d'exécution. " En fait, la méthode par injection ne le satisfait pas : " Il y a quelques années, j'ai -assisté à une exécution. J'ai été déçu, j'ai trouvé ça trop aseptisé. Je m'attendais à vivre un instant décisif, ce moment-clé où justice est faite, mais il n'a pas eu lieu. Le condamné s'est -endormi paisiblement, et ne s'est pas réveillé, c'est tout. J'étais désolé pour la famille qui n'a pas eu droit à une justice visible. "
Bill Montgomery, 50 ans, diplômé de l'école militaire de West Point, est un catholique fervent qui ne voit aucune contradiction entre sa foi et son soutien à la peine de mort : " C'est vrai que l'Eglise n'y est pas favorable, concède-t-il, mais c'est un mal bien moindre que l'avortement ou l'euthanasie. Ma position n'est pas un a priori idéologique, ni une réaction émotionnelle face à certains crimes odieux. Elle est le fruit d'un raisonnement juridique rationnel : la société doit tracer une ligne rouge, au-delà de laquelle les crimes sont considérés comme impardonnables, c'est essentiel pour la cohésion sociale. Quand on supprime la peine de mort, cela crée un trou dans la gamme des châtiments, alors qu'ils doivent être proportionnés aux crimes. " Il rêve même d'une réforme permettant d'accélérer le rythme des exécutions : " J'estime que tous les appels locaux et fédéraux devraient être épuisés au bout de sept ans maximum. "
Cela dit, le procureur Montgomery, élu à son poste en  2010 et réélu en  2016, affirme qu'il ne cherche pas à tuer tous les meurtriers : " Au début d'une instruction, je requiers souvent la peine de mort, une quinzaine de fois par an, mais je ne confirme ma demande que dans les affaires les plus graves, et j'évite de la demander quand l'accusé est un malade mental. Et, quand je suis en campagne électorale, je ne promets pas de tuer tous les assassins, même si je sais que ce serait populaire. " En  2018, le poste de gouverneur et les deux Chambres de l'Etat sont aux mains du Parti républicain, ouvertement favorable au maintien de la peine de mort. Régulièrement, des élus démocrates rédigent des projets de loi visant à l'abolir, mais ils sont enterrés en commission.
Dans ce domaine, le comté de Maricopa se distingue depuis des décennies. Entre 1993 et 2017, Jœ Arpaio, autoproclamé " le shérif le plus dur de l'Amérique ", s'était rendu -célèbre pour ses méthodes musclées à la -limite de la légalité. Dans les années 2000, le procureur Andrew Thomas, proche du -shérif Arpaio, avait mis en place une équipe favorable au tout-répressif et avait beaucoup requis la peine de mort – avant d'être destitué pour avoir mené des enquêtes -abusives. Son -ancien adjoint, Tim LaSota, également -conseiller juridique du parti -républicain -local, est devenu avocat, mais n'a pas changé d'avis : " L'une des missions dont je suis fier a consisté à faire du lobbying auprès de la Chambre des représentants pour faire voter des lois facilitant les exécutions. " Aujourd'hui, il n'imagine pas que la peine de mort puisse être supprimée en Arizona : " Au contraire, avec toutes ces affaires de -terrorisme, la population y est de plus en plus favorable. "
Les abolitionnistes s'organisentBien sûr, les responsables politiques locaux savent que la tendance est au recul de la peine de mort aux Etats-Unis. Vingt Etats l'ont abolie, une dizaine d'autres ont presque cessé les exécutions, et le gouvernement -fédéral ne l'a pas appliquée depuis 2003. Mais, selon le procureur Montgomery, l'abolition est imposée par des élites libérales, contre la volonté populaire. Il note d'ailleurs que le peuple a commencé à réagir : " Au Nebraska, le Sénat a supprimé la peine capitale en  2015, mais elle a été rétablie dès l'année suivante grâce à un référendum d'initiative populaire - 61  % des voix pour - . "
De même, en Californie, Etat pourtant -réputé très libéral, " deux référendums ont confirmé, fin 2016, l'attachement des électeurs à la peine de mort " : le premier, qui visait à l'abolir, a échoué, et le second, proposant au contraire d'accélérer les exécutions, a été un succès. Dans l'Oklahoma, les électeurs ont adopté un amendement à la Constitution de l'Etat affirmant que tous les modes d'exécution non prohibés par le gouvernement fédéral étaient légaux – ce qui permettra d'utiliser d'autres méthodes que l'injection, en cas de pénurie prolongée de substances létales. Au Nouveau-Mexique, où la peine de mort a été abolie en  2009 par les démocrates, la nouvelle gouverneure républicaine tente de la -rétablir. Dans le Mississippi, les élus étudient un projet de loi qui autoriserait les exécutions par asphyxie à l'azote,facile à utiliser et bon marché.
En Arizona, bien que les exécutions soient suspendues faute de produits à injecter, les jurys continuent à prononcer des condamnations : onze au cours des quatre dernières années, dont dix pour le seul comté de Maricopa. Le rythme devrait se maintenir : début 2018, 53 meurtriers présumés, en détention provisoire dans l'attente de leur procès, -risquent la peine capitale, au moins en théorie. Les couloirs de la mort comptent aujourd'hui 125 prisonniers : 122 hommes à Florence, et trois femmes à Perryville, dans la banlieue de Phœnix. Les derniers en date sont John Allen et son épouse, Sammantha, tous deux âgés de 29 ans, coupables d'avoir enfermé leur cousine âgée de 10 ans dans un meuble en plastique, où elle est morte étouffée. Ils voulaient la punir d'avoir mangé une sucette sans leur permission.
Face à la puissance combinée de l'Etat, de la tradition et de l'opinion, les " abolitionnistes " d'Arizona se savent minoritaires, mais ils restent déterminés. A Phœnix, le mouvement est coordonné par l'association Death Penalty Alternatives, qui compte une vingtaine de membres actifs et un millier de sympathisants. Elle est dirigée par Dan Peitzmeyer, 74 ans, négociant et agent -immobilier à la retraite, qui fut aussi aumônier dans des hôpitaux. Il parcourt l'Arizona pour parler -devant tous ceux qui veulent bien l'inviter : " J'explique simplement que, quand un meurtre a eu lieu, la société ne sera pas mieux protégée s'il y a une autre mise à mort. Personne n'y gagne rien. " Il fréquente assidûment les gens de l'autre camp, y compris le procureur Montgomery, dans l'espoir de les infléchir.
Dan Peitzmeyer peut aussi compter sur le soutien des exonerees – des condamnés à mort ayant réussi à prouver leur inno-cence. En Arizona, ils sont neuf : autant de preuves vivantes que le système n'est pas -infaillible, ce qui, selon Death Penalty Alternatives, -devrait suffire à faire abolir la peine de mort. La dernière en date, Debra Milke, a été innocentée en  2015 du meurtre de son fils de 4 ans, après avoir passé vingt-trois ans dans le couloir de la mort. Elle n'était pas -accusée d'avoir tué son enfant, mais d'avoir commandité le meurtre, perpétré par deux hommes qui, eux, ont été condamnés à des peines de prison.
Après deux décennies de combat, ses avocats ont trouvé la faille : le policier qui affirmait avoir recueilli ses aveux lors d'un interrogatoire n'était pas crédible, car, au cours de sa carrière, il avait souvent menti sous serment et harcelé des suspects, notamment des femmes vulnérables. Depuis sa libération, Debra Milke a intenté un procès contre la ville, le comté et surtout contre les procureurs, qui ont tout fait, jusqu'au dernier -moment, pour empêcher sa libération, et ont même essayé de la rejuger.
Pour ses campagnes, Death Penalty Alternatives fait surtout appel à un autre  exoneree, Ray Krone, innocenté en  2002, après dix ans de prison, du meurtre d'une barmaid. Le corps de la victime portait des traces de morsure ; les policiers ont donc relevé les -empreintes dentaires des hommes de son entourage : " Ils m'ont fait mordre dans une assiette de pique-nique en polystyrène, explique-t-il, et ça a suffi à un soi-disant expert pour déterminer que j'étais l'auteur des morsures, et donc du meurtre. " Il a fallu dix ans pour que la police accepte d'explorer d'autres pistes et découvre le vrai coupable grâce à un échantillon d'ADN inexploité.
Ray Krone, qui a touché une compensation financière, consacre désormais sa vie à militer contre la peine de mort. II a été rejoint par l'un des jurés qui l'avait condamné, Jœ Hedgecock, réparateur d'ascenseurs : " A l'époque, j'étais partisan de la peine capitale, ça me semblait naturel, conforme à notre tradition, et je pensais qu'elle s'appliquait uniquement aux cas les plus extrêmes et les plus indéniables. Quand j'ai appris que Ray était innocent, ça m'a fait un choc immense. Je n'arrivais pas à comprendre, les procureurs nous avaient dit que l'empreinte dentaire était aussi fiable que l'ADN. Aujourd'hui, je sais que l'accusation possédait des preuves à décharge, et qu'elle les a cachées au jury. " Jœ Hedgecock mettra dix ans avant de trouver la force de rencontrer Ray Krone, en  2012, lors d'une conférence -organisée à Phœnix par des abolitionnistes : " Quand je suis monté à la tribune pour raconter mon histoire, j'ai éclaté en sanglots et j'ai demandé pardon à Ray. Il m'a pris dans ses bras et m'a dit : Tout est pardonné, mon frère. " Depuis, Jœ Hedgecock intervient en public à chaque fois qu'on le sollicite.
Des avocats qui ne chôment pasLe mouvement abolitionniste est aussi animé par une armée d'avocats spécialisés, qui, paradoxalement, sont presque tous payés par l'Etat. En effet, la loi stipule désormais que les accusés risquant la peine de mort doivent disposer d'une défense aussi efficace que possible. Or ils sont presque tous pauvres et n'ont pas les moyens de se payer les services d'avocats privés, aux tarifs très élevés. L'Etat a donc été obligé de créer des administrations spéciales composées d'avocats salariés, les " défenseurs publics ". A lui seul, le comté de Maricopa possède trois agences de ce type, employant au total près de 600 juristes, dont une cinquantaine spécialisés dans la peine de mort. Quand elle est requise, un procès coûte à l'Etat au moins 1 million de dollars (814 576 euros), souvent plus.
Chaque accusé risquant la peine capitale dispose ainsi d'une équipe composée de deux avocats spécialisés et de leurs assistants, d'un psychologue chargé de trouver des circonstances atténuantes dans son passé, d'un investigateur menant des contre-enquêtes, d'un expert en preuves matérielles et en ADN… Selon l'avocat public Steven Kœstner, qui a défendu une vingtaine d'hommes dans cette situation, le travail est long et méticuleux : " Il nous faut au moins un an pour gagner la confiance de notre client et l'inciter à nous raconter sa vie, y compris des détails intimes et des secrets de famille douloureux qui pourront servir à sa défense. Ensuite, les contre-enquêtes, les expertises et les appels jusqu'à la Cour suprême de l'Arizona durent environ cinq ans. "
Le Bureau fédéral des défenseurs publics de Phœnix compte une cinquantaine d'employés, dont 22 avocats. Son directeur, Dale Baich, figure du mouvement abolitionniste local, fait les comptes : " Nous ne chômons pas, nous défendons actuellement 80 clients, 55 en Arizona et 25 dans des Etats voisins. " Quand tous les recours ont été épuisés au -niveau de l'Etat, les affaires sont transférées devant la justice fédérale, pour un nouveau cycle d'appels. L'Etat fédéral doit donc à son tour fournir des avocats à tous les condamnés.
Les défenseurs publics développent aussi des arguments d'ordre général, afin de -remettre en cause la constitutionnalité de la peine de mort. Ils savent qu'ils ne pourront pas l'abolir en se battant seulement au -niveau local, et visent donc la justice fédérale. En  2017, trois défenseurs publics du comté de Maricopa ont déposé une requête devant la Cour suprême de Washington pour demander un moratoire des exécutions, en utilisant un argument déjà invoqué avec succès dans le passé : au fil du temps, les législateurs ont exagérément allongé la liste des circonstances aggravantes, ce qui revient à banaliser le recours à la peine de mort. Le code pénal de l'Arizona en mentionne désormais quatorze. Certaines sont très vagues, donc applicables dans de nombreux cas – " meurtre commis de façon froide et calculée ", " meurtre haineux, cruel et dépravé "… D'autres, au contraire, semblent avoir été ajoutées sur mesure pour une affaire précise, comme " meurtre par utilisation d'un pistolet à impulsion électrique ".  Résultat : entre 2001 et 2011, dans 99 % des affaires de meurtre, les procureurs pouvaient, s'ils le souhaitaient, invoquer une ou plusieurs circonstances aggravantes rendant les accusés passibles de la peine capitale.
L'arbitraire et le capriceLe hasard fit que la requête de 2017 fut présentée au nom d'un condamné qui n'attire pas spontanément la sympathie : Abel -Hidalgo, 41 ans, a touché 1 000 dollars d'un chef de gang pour assassiner un autre malfrat, et a aussi tué un témoin du meurtre. Ses avocats firent valoir que, dans l'Arizona, la peine de mort est requise de façon " arbitraire et capricieuse " : les petits comtés qui n'ont pas les moyens de se payer des défenseurs publics y renoncent, alors que dans les comtés plus riches les procureurs en abusent. Parfois, ils utilisent la menace de la peine capitale comme une tactique de procédure, pour pousser l'accusé à plaider coupable et à accepter sans procès une peine de perpétuité réelle.
Les défenseurs publics demandaient donc à la Cour suprême de contraindre l'Arizona à -limiter l'usage de la peine de mort aux cas les plus extrêmes, voire à l'abolir. En vain : en mars, après plusieurs mois de réflexion, la Cour suprême refuse, à l'unanimité, d'examiner le dossier Hidalgo. La compétence des magistrats de l'Arizona pour fixer les conditions d'application de la peine de mort est confirmée.
Malgré tout, les défenseurs publics de l'Arizona continuent à travailler pour faire libérer des condamnés qui, selon eux, sont innocentsC'est le cas de Barry Jones, 59 ans, -enfermé depuis vingt-trois ans pour le viol et le meurtre d'une fillette de 4  ans. Or, fin 2017, lors d'une audience d'appel devant un tribunal fédéral, son avocat, Cary Sandman, a -retrouvé la policière chargée de l'enquête initiale, l'a fait témoigner, et a montré qu'elle s'était acharnée contre Barry Jones, qu'elle avait retenu uniquement les éléments à charge, et avait elle-même inspecté le corps de la victime alors qu'elle ne possède aucune compétence médicale. En fait, selon la -défense, la fillette avait peut-être été blessée au ventre par une barre de fer alors qu'elle jouait avec d'autres enfants. La tâche de Me Sandman est délicate : " Pour faire casser le jugement, je dois convaincre le juge qu'à l'époque les avocats de Barry Jones avaient fait preuve d'incompétence, car ils n'avaient pas mené de contre-enquête efficace. Or, l'un des avocats en question est aujourd'hui juge dans un tribunal de l'Arizona. " Pour éviter les conflits d'intérêts, le gouvernement fédéral a nommé un juge d'Alaska, qui doit faire l'aller-retour à chaque audience. Compte tenu de la lenteur de la justice, Barry Jones, coupable ou innocent, restera sans doute encore longtemps dans le couloir de la mort.
Yves Eudes
© Le Monde

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