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jeudi 7 décembre 2017

Plaidoyer pour un Conseil de déontologie du journalisme

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                                                             Marianne

Plaidoyer pour un Conseil de déontologie du journalisme

Publié le 06/12/2017 à 14:12

Thomas Guénolé

Politologue insoumis. Auteur d’Islamopsychose (Fayard, 2017), La Mondialisation malheureuse(éditions First) et Petit guide du mensonge en politique (Fayard, 2017, réédition)
Le politologue Thomas Guénolé, soutien de Jean-Luc Mélenchon, plaide en faveur d'un tel organe de régulation de la presse existant par exemple en Belgique.

Selon une récente étude des chercheurs Nic Newman et Richard Fletcher publiée parReuters, en France seulement un tiers des sondés ont confiance dans les médias d’information. C’est une gifle humiliante. En outre 71% jugent que le travail des journalistes souffre de toutes sortes de biais. Voilà qui commande à la profession tout entière, de toute évidence, de se remettre en question et de s’interroger, en particulier sur l’efficacité de sa régulation déontologique.
Nouvel avatar du problème, L’Emission politique du jeudi 30 novembre, sur France 2, a déclenché une vaste controverse quant à la façon dont la rédaction a traité Jean-Luc Mélenchon. Cependant, ces derniers temps le débat tourne à l’aigre et à la grande foire d’empoigne. L’on perd ainsi de vue le problème de fond.
A cela trois grands moteurs. Primo, l’on part dans des querelles sans intérêt. Je suis par exemple convaincu que la quasi-totalité du public se moque de savoir si Jean-Luc Mélenchon et Nathalie Saint-Cricq, la responsable du service politique de France 2, se détestent ou pas. Ce qu’ils ont pu se dire dans les coulisses de l’émission n’a aucun intérêt non plus. Ces questions ont pourtant passionné une partie des médias mainstream, au point d’y consacrer de multiples articles ou séquences d’émissions.Deuzio, l’on bascule dans la psychologisation hors-sujet. De fait, bon nombre d’articles et d’éditoriaux analysent à quel point Jean-Luc Mélenchon est « furieux », à quel point les sympathisants de la France insoumise sont « énervés », ou si untel est « blessé ». Tertio, l’on passe du débat au choix caricatural. Il y aurait d’un côté Jean-Luc Mélenchon et de l’autre « les médias » en général, avec pour seule option de choisir son camp à coups d’invectives, de tribunes et de « likes ». Un peu comme des supporters revêtent les couleurs de leurs équipes favorites respectives pour un match de football.
Une controverse intéressante sur le fond devient ainsi sous nos yeux un mauvais film à grand spectacle : « Mélenchon contre les médias », comme il a pu exister le consternant « King Kong contre Godzilla ».
"Mélenchon contre les médias", un film aussi nul que "King Kong contre Godzilla"
Revenons plutôt au fond du problème : ce soir-là, L’Emission politique a répétitivement mal informé le public, notamment en ne mentionnant pas la politisation ou l’orientation syndicale d’intervenants venus porter la contradiction à l’invité. Ce sont « des agriculteurs », sans signaler au public que le syndicat dont ils sont tous membres est pro-agriculture intensive. C’est « une patronne de PME », sans signaler au public sa proximité avec le Medef et sa forte politisation (elle a signé une tribune au Point proposant de « jeter aux orties » le code du travail et les 35 heures). C’est « une historienne », sans signaler au public qu’elle est macroniste alors qu’elle-même a choisi de se proclamer telle dans un portrait que lui consacra
Libération. Or, cacher ces éléments au public nuit de toute évidence à la bonne information du téléspectateur qui visionne les débats. Il en alla de même, d’ailleurs,pour d’autres intervenants face à d’autres invités : par exemple une professeure d’histoire-géographie face à Emmanuel Macron sans signaler au public qu’elle était filloniste, ou une historienne face à François Fillon sans signaler au public qu’elle était engagée à l’extrême gauche. 
A cela s’ajoutent des cas plus graves, comme lorsque l’expert économique de l’émission, François Lenglet, provoqua une protestation officielle de l’ambassade de la Bolivie en relayant à l’antenne des accusations fausses envers le chef de l’Etat bolivien.Le reste est à l’avenant.
Si l’on se remémore que quelques jours avant L’Emission politique du 30 novembre, un reportage du JT de 20 heures de France 2 a tronqué une citation de Jean-Luc Mélenchon au point d’en altérer le sens et a ajouté artificiellement des applaudissements à la fin de la citation tronquée, ce qui constitue de facto un bidonnage, voilà qui commence à faire beaucoup. Pour autant, la question la plus importante n’est pas nécessairement de faire l’inventaire des fautes déontologiques accumulées par L’Emissionn politique ou par le service politique de France 2. La question n’est pas non plus de faire le procès des médias en général, ou des journalistes en général, car tomber dans ce genre d’amalgames serait une sottise. La question n’est pas davantage de remettre en question la liberté d’expression ou la liberté d’information, car elles sont indispensables à une démocratie.
Dès qu'il s'agit de fautes réelles mais sans gravité extraordinaire, nous n'avons aucun outil de régulation adapté
La question centrale me semble plutôt être celle-ci : comment réguler efficacement notre système médiatique pour que, lorsque se produit ce type de fautes nuisant à la bonne information du public, des sanctions puissent interrompre la dérive et avoir par là même un effet dissuasif ? Il y a certes le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Cependant de nos jours il traite une plainte pour ce genre de problèmes en deux à trois mois, par manque chronique de moyens matériels et humains. Par ailleurs lorsqu’il constate, après plainte ou saisine, qu’un programme ne respecte pas la déontologie du journalisme, il ne sanctionne que les cas extraordinairement graves. Dans les autres cas, il s’en tient généralement à adresser au média concerné un courrier demandant de ne plus répéter ce type de fautes, courrier qui n’est pas rendu public. Enfin et surtout, le CSA n’est pas compétent pour tout un pan du paysage médiatique : je pense en particulier à la presse écrite. Reste alors la voie judiciaire, mais elle aussi est lente, pour des raisons à la fois de procédure et de manque de moyens. De surcroît, elle aussi ne fonctionne vraiment que pour les cas graves, comme la diffamation.
L’on aboutit donc à ce problème simple : entre le CSA et l’appareil judiciaire, nous avons déjà largement de quoi sanctionner sévèrement les médias, les programmes ou les journalistes qui commettent des fautes déontologiquement très graves ; en revanche, dès qu’il s’agit de fautes bien réelles mais n’atteignant pas cette gravité extraordinaire, nous ne disposons pas d’un outil adapté de régulation et de dissuasion.
Afin de combler ce vide, Jean-Luc Mélenchon a lancé une pétition pour créer un « Conseil de déontologie du journalisme ». Une telle instance existe déjà en Belgique, pays classé 9 ème du classement de Reporters sans frontières pour la liberté de la presse, alors que la France s’y classe 39 ème. Depuis 2009, leur Conseil de déontologie journalistique (CDJ) s’occupe de la régulation de l’ensemble des médias du pays. Il est composé de représentants à la fois des éditeurs, des journalistes, des patrons des rédactions, et de la société civile. Il ne s’agit pas au sens strict d’un « tribunal des journalistes ». Il n’a pas non plus les puissants pouvoirs de sanctions du CSA français. Organe de soft power, ce CDJ pratique simplement le « name and shame », c’est-à-dire la proclamation publique que tel média, telle émission, tel journaliste, a commis telle faute professionnelle. Dans un métier où la réputation compte beaucoup, c’est suffisant pour avoir un impact dissuasif puissant.
Par-delà les polémiques et le buzz pour rien, il m’apparaît nécessaire de sortir de l’affaire de cette Emission politique par le haut, en créant chez nous ce Conseil. C’est pourquoi j’ai signé la pétition lancée par Jean-Luc Mélenchon pour porter cette proposition, et c’est pourquoi j’invite le lecteur de ces lignes à faire de même.


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