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dimanche 3 décembre 2017

Les profits au détriment des salaires


3 décembre 2017
taux & changes

Les profits au détriment des salaires

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Cela ne fait plus de doute pour personne : en dépit de la reprise, les salaires sont anormalement atones dans les pays industrialisés, et cela affecte l'inflation. Cette anémie tient pour partie à la persistance d'un chômage élevé, à la concurrence des pays à bas coûts, mais aussi, dans une certaine mesure, au progrès technologique. Certains économistes assurent que, d'ici peu, les augmentations salariales vont repartir vigoureusement. D'autres, qu'il va, au contraire, falloir s'habituer à vivre sans. Quel camp a raison ?
Il est trop tôt pour trancher. Mais il y a une autre façon d'aborder le problème. Dans une note consacrée au sujet, Patrick Artus, économiste en chef de Natixis, rappelle ainsi le fait suivant : depuis 2001, aux Etats-Unis, et, depuis 1994, dans la zone euro, on assiste à une déformation du partage des revenus en faveur des profits et au détriment des salaires. Les premiers augmentent plus vite en proportion que les seconds. Cette déformation est le fruit de l'affaiblissement du pouvoir de négociation des salariés, lié à la désyndicalisation. Mais aussi à la domination, de plus en plus prégnante, des services, où le syndicalisme est moins implanté, dans nos économies.
Ce phénomène nourrit la faiblesse de l'inflation des deux côtés de l'Atlantique. Mais ce n'est pas tout. La hausse de la profitabilité des entreprises au détriment des salaires alimente également la flambée du prix de certains actifs financiers, tels que les actions ou l'immobilier commercial. Aujourd'hui, nombre de grands groupes utilisent moins leurs profits pour investir que pour procéder au rachat de leurs propres actions. Et c'est un gros problème pour les banques centrales.
Celles-ci ont en effet pour principale mission de veiller à la stabilité des prix à la consommation, en maintenant l'inflation autour de la cible de 2  %. Pendant la crise, elles ont élargi leur tâche à la surveillance de la stabilité financière – c'est-à-dire du prix des actifs financiers. " La déformation du partage des revenus au détriment des salariés met donc en difficulté les banques centrales, puisqu'elle fait apparaître un conflit entre leurs objectifs ", souligne Patrick Artus.
Des records inquiétantsCes dernières années, les instituts monétaires se sont en effet concentrés sur l'inflation des prix à la consommation, jugée trop faible, reléguant la surveillance des prix des actifs financiers au second plan. Au reste, les taux bas qu'ils ont adoptés pour relancer l'inflation ont eu tendance à gonfler un peu plus encore le cours des actions et de l'immobilier. Il y a pourtant de quoi s'inquiéter : les Bourses américaines battent aujourd'hui des records historiques, clairement déconnectés des performances de l'économie…
Comment sortir de cette contradiction ? Les banquiers centraux gagneraient-ils à se concentrer sur le second objectif, plutôt que le premier ? Ou à revoir leur définition de l'inflation ? Une chose est sûre : la part croissante attribuée aux profits plutôt qu'aux salaires dans les revenus n'est pas seulement un dilemme d'ordre monétaire. Elle contribue également au creusement des inégalités, au risque d'alimenter la colère des classes moyennes.
Marie Charrel
© Le Monde

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