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mercredi 27 décembre 2017

Les Crises.fr - Le pari désespéré de l’Arabie Saoudite, par Alastair Crooke

                       
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27
Déc
2017

Le pari désespéré de l’Arabie Saoudite, par Alastair Crooke


Source : Alastair Crooke, Consortium News, 10-11-2017
Furieux de sa défaite en Syrie, le Prince héritier d’Arabie saoudite joue à nouveau, arrête ses rivaux intérieurs et provoque une crise politique au Liban, mais manque peut-être de jetons géopolitiques pour décrocher son pari, selon l’ex-diplomate britannique Alastair Crooke.
C’est l’éternelle tentation. La guerre syrienne touche à sa fin et les pertes subies par ceux qui avaient parié sur les perdants – tout à coup sous le feu des projecteurs – deviennent un embarras aigü et public. La tentation est de balayer les pertes et de faire un dernier pari sur une bravade : le « héros » viril risque sa maison et ses biens sur un dernier tour de roue. L’assistance se tient dans un silence affreux, guettant le ralentissement de la roue, la boule avançant fente après fente jusqu’à ce qu’elle se pose, que ce soit sur le noir ou sur le rouge sang de la tragédie.

Le président Donald Trump et la première dame Melania Trump rejoignent le roi saoudien Salman et le président égyptien Abdel Fattah Al Sisi, le 21 mai 2017, pour participer à l’ouverture inaugurale du Centre mondial de lutte contre l’idéologie extrémiste. (Photo officielle de la Maison Blanche par Shealah Craighead)

Pas seulement dans les romans, mais dans la vie aussi. Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MbS) a tout misé sur le noir avec ses « amis » – le beau-fils du président Trump, Jared Kushner, le prince héritier d’Abu Dhabi, Mohammed ben Zayed (MbZ) et Trump lui-même. Trump, dans sa vie professionnelle, a une fois ou deux misé son avenir à la roulette. Lui aussi a joué et succombé à l’euphorie.
Et dans l’ombre, dans les coulisses, se trouve le Premier ministre israélien Bibi Netanyahou. L’idée d’aller au casino était la sienne, en premier lieu. Si le héros tombe sur le noir, il partagera la joie, mais s’il est rouge… peu importe : Bibi n’a pas perdu sa maison.
Soyons clairs, MbS rompt toutes les chaînes qui maintiennent le royaume saoudien uni et intact. L’Arabie Saoudite n’est pas seulement une affaire de famille : c’est aussi une confédération de tribus. Leurs intérêts divers ont été pris en charge, primordialement, à travers la composition de la Garde nationale, et de son parrainage. Cette dernière ne reflète plus désormais les diverses appartenances tribales du royaume, mais les intérêts sécuritaires d’un homme qui s’en est emparé.
Idem pour les différentes branches cadettes de la famille al-Saoud : le partage précis des gains entre les nombreux demandeurs de la famille est terminé. Un homme débarrasse la table des dernières mises de chacun. Il a coupé les fils reliant la Cour à l’élite des affaires saoudiennes – et est aussi en train de couper lentement ceux de l’establishment religieux wahhabite. Ils ont été effectivement expulsés du partenariat, qu’ils ont fondé conjointement avec Ibn Saud, le premier monarque de l’Arabie Saoudite qui a régné pendant la première moitié du siècle dernier, également connu sous le nom du roi Abdul Aziz. En bref, personne d’autre que MbS n’a encore une part dans cette entreprise – et personne, semble-t-il, n’a ni droit, ni compensation.
Pourquoi ? Parce que MbS voit les dirigeants politiques saoudiens et les religieux du monde arabe glisser comme du sable entre les doigts du roi, et il ne peut supporter l’idée que l’Iran (et les chiites méprisés) pourrait être l’héritier.
Transformer l’Arabie Saoudite
L’Arabie Saoudite, par conséquent, doit être transformée d’un royaume somnolent et en déclin, en un instrument pour émousser le pouvoir iranien. Cela résonne naturellement avec un président américain qui semble de plus en plus préoccupé de réaffirmer le prestige, la dissuasion et le pouvoir des États-Unis dans le monde (plutôt que d’adhérer au récit non-interventionniste de sa campagne). Lors de la conférence de The American Conservative à Washington la semaine dernière, le spécialiste politique Robert Merry, fervent réaliste et auteur prolifique, a déploré : « Il n’y a pas de réalisme et de retenue dans la politique étrangère américaine à l’époque Trump ».

Le ministre saoudien de la défense, le prince Mohammed ben Salman Al Saoud
Toutes les guerres sont coûteuses, et l’argent est nécessaire (et est accaparé en conséquence au moyen de l’arrestation par MbS de ses rivaux sur des accusations de corruption). Mais l’Arabie Saoudite traditionnellement (depuis le dix-huitième siècle), a mené toutes ses luttes de pouvoir via un outil particulier (et efficace) : le djihadisme wahhabite enflammé. Et cela, à la suite de la débâcle syrienne, est discrédité et n’est plus accessible.
Alors maintenant, l’Arabie Saoudite doit concevoir un nouvel instrument avec lequel affronter l’Iran : et le choix du Prince héritier est vraiment ironique : « Islam modéré » et nationalisme arabe (pour contrer l’Iran non-arabe et la Turquie). Mohammed Abd-el Wahhab doit se retourner dans sa tombe : l’Islam « modéré », dans sa doctrine rigoureuse, conduit tout droit à l’idolâtrie (telle que celle pratiquée par les Ottomans) qui, selon lui, devrait être punie par la mort (voir ici).
En fait, c’est la partie la plus risquée du pari de MbS (bien que s’emparer de la colossale fortune du prince Walid bin Talal ait davantage attiré l’attention). Le roi Abdel Aziz a été confronté à une rébellion armée et un autre roi a été assassiné pour s’être écarté des principes wahhabites sur lesquels l’État était fondé et pour avoir embrassé la modernité occidentalisée (considérée par les Wahhabites purs comme une idolâtrie).
Le gène de la ferveur Wahhabiste ne peut pas être exorcisé de la société saoudienne simplement en le congédiant (Abdul Aziz ne l’a finalement surmonté qu’en mitraillant à mort ses adeptes).
Mais, en embrassant « l’islam modéré » et en menaçant d’affronter l’Iran, il a probablement agi avec un œil courtisant le président Trump pour qu’il soutienne l’éviction par MbS de son cousin, le prince Naif, en tant que prince héritier – et l’autre œil sur la capacité des Relations publiques. à dépeindre l’Iran comme un islam « extrémiste » à une Maison Blanche dont la vision du monde au Moyen-Orient a été façonnée par Bibi Netanyahou chuchotant à l’oreille de Jared Kushner, et par les préjugés d’un cercle de conseillers disposés à voir l’Iran de façon simpliste, plutôt que dans ses divers aspects. Netanyahou doit se féliciter de son astucieux stratagème.
Le coup d’État de Netanyahou
Aucun doute à ce sujet : ça a été un coup d’État pour Netanyahou. La question, cependant, est de savoir si cela se révélera être une victoire à la Pyrrhus, ou pas : quoi qu’il en soit, il est très dangereux de jeter des grenades dans des matériaux combustibles. Ce projet américano-israélien-saoudien-émirati est, au fond, une tentative de retournement du réel, pas moins – il est enraciné dans un déni des revers subis par ces États dans leurs multiples échecs pour façonner un nouveau Moyen-Orient à la sauce occidentale. Maintenant, à la suite de leur échec en Syrie – dans lequel ils sont allés à la limite en quête de victoire – ils tentent une nouvelle mise à la roulette – dans l’espoir de récupérer toutes leurs pertes antérieures. C’est pour le moins un espoir hasardeux.

Le Président Donald J. Trump et le Premier Ministre Israëlien Benjamin Netanyahou à l’Assemblée générale des Nations Unies (Photo officielle de la Maison Blanche par Shealah Craighead)
D’une part, l’assise Iranienne dans le nord du Moyen-Orient n’est pas provisoire. Elle est maintenant bien enracinée. L’espace stratégique de l’Iran comprend la Syrie, le Liban, l’Irak, le Yémen – et de plus en plus – la Turquie. L’Iran a joué un rôle majeur dans la défaite de l’État Islamique, avec la Russie. C’est un « partenaire stratégique » de la Russie, alors que la Russie jouit maintenant d’une large influence dans la région. En un mot, le poids politique se situe au nord plutôt qu’au niveau méridional affaibli.
Quant à l’idée que la Russie pourrait être amenée à « contenir » l’Iran et ses alliés dans la région pour apaiser les inquiétudes israéliennes, cela paraît illusoire. Même si la Russie pouvait (et elle ne le peut probablement pas), pourquoi le faire ? Comment l’Iran sera-t-il ensuite restauré ? Par une action militaire ? Cela aussi semble présomptueux.
L’échelon militaire et sécuritaire d’Israël, à la suite de la guerre de 2006 contre le Liban, n’est susceptible d’envisager qu’une guerre (avec n’importe qui d’autre que les Palestiniens) qui soit courte (six jours ou moins), n’entraîne pas de lourdes pertes civiles ou militaires israéliennes, et puisse être gagnée à moindre coût. Idéalement, Israël attendrait également un financement américain complet (contrairement à 2006). Le Pentagone a peu d’appétit pour remettre les pieds sur les terres du Moyen-Orient, les Israéliens en sont conscients. Et l’Arabie saoudite à elle seule, ne peut menacer personne militairement (comme le Yémen l’a amplement démontré).
L’Arabie Saoudite peut-elle exercer une pression économique sur le Liban et imposer des pressions politiques à tout gouvernement libanais ? Certainement, mais la pression économique va probablement toucher les classes moyennes et les milieux d’affaires sunnites, plus durement que les 44 % de chiites de la population libanaise. En général, les Libanais ont une aversion pour l’ingérence extérieure, et les sanctions et pressions américaines seront plus susceptibles d’unir le Liban que de le diviser. (C’est la longue, longue histoire des sanctions imposées.) Et à première vue, les Européens ne soutiendront volontairement ni la déstabilisation du Liban ni l’abandon du JCPOA, l’accord de 2015 visant à empêcher l’Iran de développer des armes nucléaires.
Alors, quel peut être le résultat ? À première vue, l’Arabie Saoudite, qui est déjà une société avec de nombreuses tensions refoulées, pourrait tout simplement imploser sous la nouvelle répression (ou MbS pourrait être en quelque sorte « enlevé » avant que n’émergent les tensions). L’Amérique et Israël ne seront pas renforcés, mais plutôt considérés comme moins pertinents pour le Moyen-Orient.
Robert Malley, l’ancien conseiller du Moyen-Orient dans la dernière administration, met en gardecontre le risque d’une explosion régionale potentielle : « La peur est la seule chose qui l’empêche – mais pourrait aussi la précipiter ».
Alastair Crooke est un ancien diplomate britannique qui a été haut responsable du renseignement britannique et de la diplomatie de l’Union européenne. Il est le fondateur et le directeur du Conflicts Forum.
Source : Alastair Crooke, Consortium News, 10-11-2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

10 réponses à Le pari désespéré de l’Arabie Saoudite, par Alastair Crooke

christian gedeonLe 27 décembre 2017 à 09h40
Voilà encore des opinions très très définitives sur ce qui se passe là bas.çà me rappelle ceux qui voyaient Assad par terre dès le début des évènements de Syrie.C’est amusant en fait.Le MO est une chose très compliquée,et je suis en admiration devant ceux qui ont déjà tout compris et tout prévu. Pour ma part,je suis dans le brouillard le plus complet.

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