Quelle sorte de dictature est la Chine ? Le sacre de Xi Jinping au 19e congrès du Parti communiste chinois (PCC), en octobre, et les pouvoirs renforcés qu'il s'y est vu attribuer en gravant sa " pensée " dans la charte du parti, laissent penser que la " nouvelle ère " annoncée ne faiblira pas dans le registre autoritaire. Autoritaire, la Chine l'est assurément. Mais les évolutions des cinq dernières années incitent à remettre en question l'idée longtemps partagée d'une Chine post-totalitaire qui tâtonnerait en direction d'un modèle politique adapté, au gré de périodes de détente et de durcissement. Les progrès technologiques fulgurants du pays mettent à la disposition du parti-Etat des outils de contrôle politique et social inégalés.
De nouveau, la nature du pouvoir chinois et de ses relations avec les gouvernés et la -société interroge comme elle ne l'a pas fait depuis longtemps. La meilleure preuve en est les nombreux débats parmi les sinologues au moment du 19e congrès autour de l'ouvrage du politologue norvégien Stein Ringen, de l'université d'Oxford,
The Perfect Dictatorship. China in the 21st Century (Hong Kong University Press, 2016, non traduit). M. Ringen n'est pas sinologue, mais un spécialiste des Etats. Il passe au crible les politiques publiques et tout ce qui affecte la vie des citoyens. A ses yeux, la Chine se distingue en particulier par des modes de contrôle sur les citoyens
" qu'elle a développés à la perfection, aux effets bien réels mais à l'exécution parfois douce " et indirecte.
" Plus qu'une simple dictature " ou
" autocratie ", ils font d'elle
" quelque chose de bien plus sophistiqué " : une
" contrôlocracie ". Si celle-ci
" ne dépend pas de l'omniprésence de la terreur, la menace de la terreur y est omniprésente, une menace que vient appuyer un usage physique de la violence suffisant pour que les citoyens sachent pertinemment qu'elle n'est en rien futile ".
totalitarisme aux couleurs chinoisesM. Ringen s'intéresse ensuite à la question du totalitarisme, qu'il soumet à la grille un peu datée mais toujours pertinente de la politologue Hannah Arendt (1906-1975). La
" contrôlocratie " de plus en plus " resserrée " de Xi Jinping signale, selon lui, l'émergence
" d'un nouveau type de totalitarisme, qui a l'air moins totalitaire qu'il n'est vraiment ". Ce
" totalitarisme aux couleurs chinoises ", n'est pas
" du totalitarisme light ". Pour M. Ringen, c'est un totalitarisme
" dans lequel tous les outils du métier sont prêts à être déployés, mais ne sont pas forcément utilisés lorsque cela n'est pas nécessaire ". Bref, un
" totalitarisme sophistiqué ".
M. Ringen juge sévèrement le succès de la
" contrôlocratie " chinoise pour fournir à ses citoyens des biens et services avec efficacité et en proportion de ce qu'elle leur prélève. Celle-ci a, selon lui,
" bien moins contribué à la croissance économique, la lutte contre la pauvreté, la protection sociale et la modernisation qu'elle le devrait en proportion de ses capa-cités " – et pourrait-on ajouter, des sommes englouties dans la militarisation, la conquête spatiale ou le maintien de l'appareil policier. Elle ne peut dès lors, d'après M. Ringen,
" qu'être dictatoriale, en raison de la rapacité avec laquelle elle prend et comment elle le prend, et de l'avarice avec laquelle elle donne et comment elle le donne. Un régime de la sorte ne serait pas possible, conclut-il
, s'il devait être tributaire du consentement du peuple ".
Ce questionnement autour du régime chinois sous-tend nombre de travaux. Le nouveau corpus de lois sécuritaires régissant les religions, les ONG, le cyberespace ou encore la lutte antiterroriste, adopté lors du premier mandat de Xi Jinping, a par exemple entériné un encadrement accru de la société civile et une persécution assumée des voix critiques. Dans sa contribution à un ouvrage collectif,
Routledge Handbook of the Chinese CommunistParty (Routledge, 2017, non traduit) publié en dehors de Chine à l'occasion du congrès, la spécialiste du droit Eva Pils y voit le signe d'une refonte des prémices intellectuels sur lesquels avait été édifié le -système juridique chinois post-maoïste, c'est-à-dire l'adoption progressive des principes de base du droit occidental. Elle discerne
" un tournant vers une conception de la loi qui vise à la priver de toute force libérale ", et
" donne à l'Etat une influence énorme, dans la mesure où il n'attribue aucune valeur à la protection d'une diversité de vues, d'intérêts, de groupes et d'individus dans la société ".
Dans le même ouvrage, la chercheuse Chloé Froissart estime que
" les efforts du président Xi pour combler le fossé entre le parti et la société, et pour éradiquer les ennemis du peuple, une catégorie qui inclut désormais quiconque ne suit pas au plus près la ligne du parti, ont ravivé la tentation totalitaire du régime ". Elle rappelle que l'équipe dirigeante précédente
" avait su tolérer une forme de société civile combative et critique dans la mesure où elle servait les objectifs généraux du parti ". Ce
" degré de diversification et même de pluralisation donnait un dynamisme unique, mais aussi un équilibre précaire, au régime autoritaire chinois ". En voulant tout gérer, Xi Jinping a aussi créé, note Chloé Froissart,
" une situation de crise permanente, dont les coûts de gestion pourraient s'avérer extrêmement élevés ".
C'est là qu'intervient une autre dimension de l'autoritarisme chinois. Le rythme accéléré d'innovation et d'investissement dans le big data et l'intelligence artificielle a fait surgir des convergences en matière de contrôle, de surveillance et de notation sociale (le système de
credit rating, ou notation,
que la Chine veut élargir à l'ensemble de ses citoyens en 2020). De quoi inquiéter, dans un régime qui ne juge pas opportun d'en limiter la portée.
Brice Pedroletti
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