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vendredi 29 décembre 2017

Apprentissage : les régions en colère contre l'Etat


29 décembre 2017

Apprentissage : les régions en colère contre l'Etat

Le pilotage pourrait être confié aux branches professionnelles, privant les collectivités de leurs prérogatives

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Le rabibochage aura été de courte durée. Lors de la Conférence nationale des territoires du 14  décembre, les régions étaient revenues à la table des négociations, après l'avoir quittée, deux mois et demi plus tôt, pour dénoncer la baisse de leurs dotations. Le 20  décembre, patatras ! Elles ont de nouveau pris leurs cliques et leurs claques. L'objet de la fâcherie avec le gouvernement est très différent, cette fois-ci : il porte sur la réforme de l'apprentissage, dispositif dont le pilotage pourrait être confié aux branches professionnelles, ce qui amoindrirait les prérogatives des conseils régionaux et les ressources qui leur sont affectées. Les élus de ces collectivités s'y opposent, quelle que soit leur couleur politique.
Les intentions prêtées au gouvernement s'inscrivent dans un dessein plus large, qui vise à élever l'apprentissage au rang de " voie d'excellence ". A l'heure actuelle, ce système de formation par alternance (allers-retours entre une entreprise et un établissement de formation) rime avec voie de garage, pour une large partie de la population.
Changer de modèleSa faible attractivité se voit dans les chiffres : en  2016, le nombre de contrats d'apprentissage signés dans le privé a atteint 275 000, contre un peu plus de 306 000 quatre ans plus tôt. La spirale -baissière a, certes, été stoppée en  2014 et la tendance est, depuis lors, à la reprise, très modeste, grâce à la progression des effectifs d'apprentis dans l'enseignement supérieur. Mais c'est la bérézina, s'agissant des contrats signés par des jeunes ayant, au maximum, le niveau secondaire : – 24  % depuis 2008, ce qui correspond à une tendance lourde dans les métiers traditionnels de l'apprentissage (bâtiment, industrie, hôtellerie-restauration, entre autres).
Pourtant, cette filière affiche des résultats intéressants en termes de retour à l'emploi : près de sept jeunes sur dix, qui l'ont empruntée, ont décroché un poste, selon la ministre du travail, Muriel Pénicaud. Le gouvernement voit donc dans l'apprentissage un outil propre à résorber un double problème : celui du chômage des jeunes (qui atteint 21,9  % parmi les 15-24  ans en métropole, contre 9,4  % en moyenne) et celui des -besoins en compétences exprimées par les entreprises – celles-ci étant de plus en plus nombreuses à rencontrer des difficultés de recru-tement.
Mais pour l'exécutif, il faut, au préalable, changer de modèle – impulser une " révolution copernicienne ", selon la formule un brin pompeuse de Mme  Pénicaud. Celle-ci ne veut plus d'une régulation très largement exercée par les régions – en particulier pour tout ce qui a trait à l'ouverture et à la fermeture de places dans les centres de formation des apprentis (CFA).
L'organisation s'avère extrêmement complexe, entre les dispositifs d'aide très disparates et les circuits de financement tortueux, orientés vers de multiples destinataires (régions, CFA, établissements d'enseignement…). Tout cela engendre, aux yeux du gouvernement, de nombreux dysfonctionnements : CFA partiellement remplis, écarts de prix parfois très importants entre des formations délivrant le même diplôme, sous-utilisation, dans certaines régions, du produit de la taxe d'apprentissage versée à celles-ci (ce que les élus régionaux contestent)…
D'où la réforme en cours de gestation, qui s'imbrique avec celles de la formation professionnelle et de l'assurance-chômage. Trois chantiers ouverts avec quelques semaines de décalage mais qui doivent déboucher sur la rédaction d'un seul projet de loi, fin mars  2018. S'agissant du dossier apprentissage, une concertation a été lancée le 10  novembre avec tous les acteurs concernés (partenaires sociaux, régions, chambres consulaires…). Quatre groupes de travail ont été mis en place, sous la houlette de Sylvie Brunet, présidente de la section travail et emploi du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Leurs conclusions devront être rendues à la fin de janvier ou au début de février  2018.
Mais le gouvernement a, d'ores et déjà, une vision très précise du projet, comme l'a révélé, il y a quelques jours, le quotidien Les Echos. D'abord, il veut que les branches professionnelles, c'est-à-dire le monde économique, occupent une position cardinale dans la gouvernance du système, afin que soient mieux prises en compte les attentes des entreprises. Ensuite, les CFA ne toucheraient de l'argent que pour chaque contrat signé par un jeune. Enfin, les circuits de financement seraient simplifiés en instaurant une ponction unique pour toute l'alternance (contrat d'apprentissage et contrat de -professionnalisation).
" Privatisation totale "Dans ce schéma, les régions -seraient délestées de leur part de taxe d'apprentissage (environ 1,6  milliard d'euros aujourd'hui) – les fonds étant redirigés vers des organismes collecteurs, cogérés par les partenaires sociaux, et vers un fonds de péréquation au profit des branches ayant peu de moyens. Parallèlement, les -conseils régionaux continueraient d'être mis à contribution afin d'investir dans les CFA.
Inacceptable, pour Hervé Morin, le président de Régions de France, l'association qui regroupe toutes ces collectivités. L'élu centriste plaide pour que les assemblées régionales restent au centre du jeu car elles détiennent toute une gamme de compétences qui forment un continuum, " une chaîne de valeurs " (développement économique, formation des chômeurs…).
Pour M. Morin, les intentions du gouvernement sont synonymes de " privatisation totale de l'apprentissage " et servent les intérêts de quelques grandes branches – en particulier l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM). Or, redoute-t-il, celles-ci risquent de se montrer peu attentives au sort des petites branches, tout comme à la nécessité de soutenir des formations concernant plusieurs secteurs d'activité (sur des compétences dites " transversales ") ou des domaines d'intérêt général, comme le secteur médico-social, par exemple.
Pour toutes ces raisons, le patron de Régions de France a donc annoncé, le 20  décembre, que son association suspendait sa participation à la concertation coordonnée par Mme  Brunet. Et que les conseils régionaux avaient décidé de " surseoir à tous leurs projets d'investissement dans les CFA "" Nous n'avons pas vocation à être l'aneth sur le saumon ou le cornichon dans l'assiette de charcuterie ", a grincé M.  Morin, lors d'une conférence de presse. " L'histoire n'est pas encore écrite ", confie-t-il au Monde : des rencontres sont prévues, début janvier, avec le premier ministre, Edouard Philippe, avec Mme  Pénicaud et avec le président de l'UIMM, Alexandre Saubot. Toute la question, maintenant, est de savoir si un compromis pourra être trouvé.
Bertrand Bissuel
© Le Monde

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