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mercredi 29 novembre 2017

Les fantômes de la «Françafrique»

28 novembre 2017
Laurent Joffrin
La lettre politique
de Laurent Joffrin

Les fantômes de la «Françafrique»

L’homme macronien entrera-t-il dans l’histoire ? Pour Nicolas Sarkozy, qui croyait parler vrai alors qu’il déblatérait, l’homme africain s’en était abstenu. En prononçant son grand discours sur l’Afrique à Ouagadougou devant une assistance de jeunes, Emmanuel Macron espérait faire oublier cet impair spectaculaire et graver sa marque sur les relations, si ambiguës et si souvent condescendantes, entre la France et l’Afrique. «Il n’y a pas de politique africaine de la France», a dit le président au cours d’une séance spectaculaire de «libération de la parole», selon l’expression en cours. Discours réussi, relevé par un hommage à Thomas Sankara, le «Che Guevara africain», dont beaucoup soupçonnent qu’il a été assassiné avec l’aval des autorités françaises. Cette absence supposée de politique a pour but non d’ériger le mutisme et l’inertie en stratégie mais de rompre, une nouvelle fois, avec la «Françafrique». Tâche nécessaire et malaisée…
Qu’est-ce donc au juste que cette «Françafrique» ? Au moment des indépendances, au début des années 60, le général de Gaulle décide de substituer à l’ancien empire colonial une zone d’influence africaine qui servira les intérêts français et contribuera à faire pièce, pense-t-il, à la puissance anglo-saxonne et soviétique sur la planète. Il charge un résistant à l’esprit tortueux, familier des coups de main et des coups tordus, Jacques Foccart, de la mettre en œuvre. Avec l’accord de leaders de l’époque, Léopold Senghor ou Félix Houphouët-Boigny, par exemple, Foccart tisse un réseau étroit de collusion avec les chefs d’Etat des nouveaux pays indépendants. Ils bénéficieront de la protection française en échange de leur allégeance. Tout cela, comme on le verra très vite, sur fond de corruption croisée, d’assassinats discrets, de répression fréquente, d’accords militaires inégaux et de juteux contrats pour les grands groupes français. Les défenseurs, de plus en plus rares, de cette politique estiment que la France a joué un rôle stabilisateur et assuré la pérennité de régimes qui eussent autrement, selon eux, été remplacés par des régimes pires encore. Vieille histoire… Depuis François Mitterrand, les présidents successifs ont tenté de se laver de ce péché originel, avec plus ou moins de sincérité.
«La France n’a pas de politique africaine» ? Voire. Le spectre de la Françafrique s’estompe en effet. Mais les survivances sont là : les accords militaires, dont on ne sache pas qu’ils aient été rompus ; l’implantation des sociétés françaises, qui n’est pas toujours néfaste ; l’existence du franc CFA, relié à l’euro, qui maintient une zone monétaire sous tutelle française ; une stratégie commune à cinq pays du Sahel et à la France, destinée à lutter contre le terrorisme venu du nord. Les spectres ont la vie dure. Il est temps, à tous égards, que cette «Françafrique» sorte de l’Histoire. Mais le meilleur moyen de l’expulser, pour les Africains, et pour les Français, c’est de préciser par quoi elle sera remplacée. Quelles monnaies solides à la place du franc CFA ? Quels contrats équitables avec les groupes français ? Quelle stratégie de lutte antiterroriste ? Quels accords militaires ganrantissant l’indépendance des Etats concernés, si les armées locales, comme au Mali, résistent mal aux attaques en règle ? Le reste est de l’ordre du discours, aussi réussi soit-il.

Et aussi

• Le Premier ministre, Edouard Philippe, a de l’humour. Sa prestation devant le public du Casino de Paris, où il racontait les heures qui ont précédé sa nomination, était digne d’un stand-up. Coups de fils subreptices, arrivée auprès de Macron sous une couverture, telle Cléopâtre roulée dans un tapis, panique à l’annonce de sa possible nomination, tout y était, fort bien dit, fort applaudi. On croit en France que l’autodérision est un handicap. C’est le contraire qui est vrai.
• L’OCDE constate un regain bénéfique de la croissance mondiale. Toujours cette baraka insolente qui accompagne les premiers pas d’Emmanuel Macron. L’OCDE assaisonne sa prévision de ses sempiternelles propositions de «réformes structurelles », qui sont en général des sacrifices structurels. Un point néanmoins se distingue de la potion d’huile de foie de morue habituelle : les experts internationaux remarquent que l’inégalité dans la distribution des revenus est un handicap pour l’économie mondiale sur la voie de la convalescence. Réduire les inégalités : voilà une médication que le docteur Macron, tout à son entreprise d’alignement de la France sur la doxa dominante, a oublié, en même temps, de prendre en compte.
LAURENT JOFFRIN
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