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11
Nov
2017
[RussEurope en exil] Servir, de Pierre de Villiers
Billet invité
La publication du livre de l’ancien Chef d’Etat-Major des Armés, le général Pierre de Villiers, Servir(publié au éditions Fayard) le mercredi 8 novembre constitue une sorte d’événement. Le général de Villiers, dont on rappelle qu’il démissionna à la suite d’un conflit l’opposant au Chef de l’Etat, nous livre sa version des événements qui ont conduit à sa démission. Cette version éclaire aussi le rapport aux forces de la Défense Nationale qu’entretient le Président, M. Emmanuel Macron.
Il convient d’abord de souligner le côté relativement exceptionnel de ce livre. La démission du général de Villiers est survenue à la mi-juillet 2017. C’est donc un témoignage « à chaud » qu’il nous livre. De plus, il est rare qu’un ancien Chef d’ Etat-Major revienne aussi rapidement sur le conflit qui l’opposât au Président. On ne peut donc que remarquer que, ce faisant, le général de Villiers prend une position politique dans le débat.
Dire cela ne revient en rien à minorer la force du témoignage. D’autant que si le général de Villiers fait de la politique il n’est jamais politicien. En République, selon la formule des romains, « les armes cèdent à la toge ». Encore faut-il que la « toge », autrement dit l’autorité politique, adopte une position cohérente. Et c’est de ce point de vue que se place donc l’auteur du livre. Il souligne l’incohérence entre la posture et les choix politiques et leur traduction dans les chiffres budgétaires. A la lecture de l’ouvrage on comprend donc qu’il a voulu livrer un témoignage à la fois pour les autres officiers supérieurs et pour le grand public, non pas tant pour se justifier (et c’est là où il aurait pu être « politicien ») que pour éclairer les uns et les autres sur l’importance du débat budgétaire, et donc du conflit qu’il eut avec les autorités civiles.
Que reprochait donc le Président de la République au général de Villiers ? Seulement d’avoir voulu, en des termes certes crus, éclairer la représentation nationale sur les enjeux des choix budgétaires. Le général a donc indiqué, ce qui était son devoir, devant la Commissions de la Défense Nationale, que les économies de 850 millions d’euros réclamés cette année aux armées dans le cadre des ajustements budgétaire, et qui se situaient dans un contexte de restrictions budgétaires générales, n’étaient pas acceptables sous peine de compromettre l’effort demandé aux forces armées.
Car, il est important de savoir que le général de Villiers ne se situe pas sur la question du bien fondé des orientations de la politique de défense. En bon républicain, il considère que cette question esttotalement du registre du pouvoir politique. Par contre, il s’estime qualifié pour dire que, compte tenu des choix faits dans la politique de défense, des engagements extérieurs des forces armées en particulier, le nouvel effort d’économie demandé au Ministère de la Défense aurait des conséquences désastreuses.
On a parfaitement le droit de penser le contraire. Mais, si le Chef d’Etat-Major n’informe pas la représentation nationale de son point de vue, qui le fera ?
Le livre du général de Villiers pose donc un problème politique : quel degré de contrôle parlementaire Emmanuel Macron est-il prêt à accepter sur la politique de défense ? Car, selon la constitution de la Vème République et selon les pratiques bien établies depuis maintenant plus d’un siècle, si l’exécutif décide (et le général de Villiers ne remet nullement cela en cause), il est soumis aussi à un contrôle de la part du Parlement. Or, pour que ce contrôle ne soit pas de pure forme, il faut que les parlementaires soient correctement informés de la situation, et en particulier de la cohérence entre les objectifs et les moyens.
Il ne peut donc être question pour un Chef d’Etat-Major de se borner à commenter ou à illustrer la politique de défense. Le général de Villiers considérait qu’il était de son devoir d’informer la représentation nationale de l’incohérence que provoquerait une réduction des moyens financiers. Il l’a donc fait, et il fut sanctionné pour cela.
« La vraie loyauté consiste à dire la vérité à son chef », écrit donc le général de Villiers dans un livre qui est dépourvu de toute acrimonie. C’est d’ailleurs l’une des grandes forces de cet ouvrage. Or, le chef du général de Villiers ce n’est pas seulement le Président de la République, c’est aussi le Parlement. « La vraie liberté est d’être capable de le faire, quels que soient les risques et les conséquences (…) La vraie obéissance se moque de l’obéissance aveugle. C’est l’obéissance d’amitié », écrit-il aussi. On sent donc qu’il y eut entre les deux hommes si ce n’est de l’amitié, du moins du respect. Et cela rend d’autant plus incompréhensible la méthode choisie par Emmanuel Macron pour réagir face aux déclarations, sommes toutes normales, du général de Villiers.
La méthode d’Emmanuel Macron pose donc en réalité un problème politique majeur. Il aurait pu convoquer le Chef d’Etat-major, lui faire des remontrances, voir exiger – il en a le pouvoir – sa démission. Il a choisi de l’humilier publiquement. Ce ne peut être un choix de circonstances ; à ce niveau c’est avant tout un choix politique. Or, à vouloir humilier on prend le risque de s’isoler, de se couper des réalités. Ce qui, en définitive, conduit implicitement à l’interrogation suivante : Emmanuel Macron est-il capable de remplir la charge dont il a été investi par le suffrage universel ?
Il convient alors de lire avec attention les phrases écrites par Pierre de Villiers qui ne sont pas sans profondeur. On le répète, il ne s’agit pas ici d’un brûlot, mais d’un constat. Et, ce qu’il révèle glace le sang. Ces phrases jettent indirectement une lumière crue sur la méthode d’Emmanuel Macron tout comme sur son personnage.
Ce livre sera donc lu, dans le public mais aussi dans l’armée. C’est ce que souhaite, à n’en pas douter, Pierre de Villiers. On pourra dès lors s’y référer. Il ne faudra donc pas faire les étonnés si, de fil en aiguille, se révèle un Emmanuel Macron bien différent du jeune homme un peu lisse que les médias nous ont vendu.
Jacques Sapir
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