Translate

dimanche 12 novembre 2017

Les Crises.fr - [RussEurope en Exil] 75ème anniversaire du Normandie-Niemen, par Jacques Sapir

HISTOIRE et MEMOIRE


https://www.les-crises.fr

                                  Les Crises - Des images pour comprendre
12
Nov
2017

[RussEurope en Exil] 75ème anniversaire du Normandie-Niemen, par Jacques Sapir


Billet invité
Le 12 novembre 1942 arrivèrent sur la base de Rayack, en Syrie, trois C-47 (appellation militaire du DC-3) qui devaient transporter les pilotes et mécaniciens français, désignés pour constituer le GC-3 (3èmeGroupe de Chasse) « Normandie » vers Bagdad, d’où ces personnels rejoindraient Téhéran puis Ivanovo, à 250 km de Moscou. Ainsi débutait ce qui allait devenir l’épopée du Groupe de Chasse le plus connu de Forces aériennes françaises libres (FAFL), le célèbre « Normandie-Niémen ».
Le commandant Delfino, avec des pilotes français et russes

Cette date du 12 novembre est symbolique des difficultés rencontrées des deux côtés, que ce soit du côté des Français Libres ou des Soviétiques. Pour ce derniers, on est en plein dans la bataille de Stalingrad[1]. Si les troupes allemandes de von Paulus, le commandant de la 6ème armée, ne progressent plus dans une ville qu’elles ont conquises à 90%, la contre-offensive, que les soviétiques appellent l’opération « Uranus », n’a pas encore débutée. Elle ne commencera que le 19 novembre 1942. La contribution française, pour symbolique qu’elle soit, est venue non pas dans les temps plus faciles de 1943 et 1944, mais au moment ou tout était en suspens, où se décidait le sort de la guerre.
Pour les Français Libres, la situation n’est pas non plus des plus faciles. Si la France Libre est sortie de la phase d’improvisation et de bricolage qui fut la norme jusqu’à la fin du printemps 1941, elle reste très faible. Les pilotes, puisque l’on est dans le domaine aérien, sont essentiellement des évadés. Il en est ainsi du premier chef « opérationnel » du Normandie, le commandant Jean Tulasne. Le général de Gaulle se bat politiquement pour la reconnaissance de la France Libre comme seul représentant légitime de la France, une bataille gagnée auprès des britanniques, mais bien plus difficile face aux Etats-Unis qui maintiendront, jusqu’au débarquement en Afrique du Nord, des liens étroits avec le régime de Vichy. Dans ce contexte, le projet d’envoyer une unité, aussi faible soit-elle, se battre avec les soviétiques fait sens. Elle symbolise la reconnaissance de la France Libre par le régime soviétique. C’est ce qui explique que les négociations concernant l’envoi de cette unité ont commencé fort tôt, dès décembre 1941, et se sont conclus positivement en juillet 1942.
Le GC-3 « Normandie », au 12 décembre 1942, se compose de 14 pilotes[2], certains très expérimentés (comme Tulasne, Littolff, de La Poype et Albert) et d’autres qui le sont beaucoup moins. Ils se sont entraînés, depuis le mois d’octobre, sur des Dewoitine D-520, survivants des combats fratricides de Syrie, les avions n° 303 et 397.
Le voyage, commencé donc le 12 novembre, s’achèvera le 2 décembre sur le terrain d’Ivanovo. Entre-temps, les pilotes auront pu apprendre le sabordage de la Flotte française à Toulon (le 27 novembre 1942). L’entrainement commence immédiatement et, le 11 mars 1943, l’unité est présentée à la hiérarchie soviétique comme étant opérationnelle. Elle compte alors 14 pilotes, dont 9 sont considérés comme bons ou excellents. Elle est envoyée au combat de 22 mars 1943, et elle opérera durant toute la guerre au sein de la 303ème division de chasse de l’Armée Rouge (VVS-RKKA), commandée par l’une des figures charismatiques de la Chasse soviétique, le général Guéorguy N. Zakharov[3]. Le « Normandie », auquel de nouveaux pilotes sont régulièrement envoyés, combattra au-dessus de Koursk, Smolensk et Ielna. Quand il est (provisoirement) retiré des opérations en novembre 1943, il aura acquis 77 victoires mais au prix de 21 pilotes, tués, prisonniers ou disparus.
Le GC-3 subira de lourdes pertes dans l’ensemble de la guerre, (42 pilotes tués dont 30 en opérations aériennes), mais il deviendra le Groupe de Chasse ayant acquis le plus de victoires de la chasse française durant la seconde guerre mondiale (273 victoires confirmées, 38 probables). Il a acquis une réputation égale à nulle autre auprès des forces armées soviétiques, et le gouvernement de l’URSS lui accordera le nom de « Niémen » pour sa contribution, en 1944, à la couverture aérienne du franchissement de ce fleuve par les forces soviétiques. Le GC-3 sera fait « Compagnon de la Libération » par le général de Gaulle[4]. Il sera re-complété à de nombreuses reprises (1943, 1944 et 1945) pour combler les pertes[5].
Les pilotes survivants connaîtront des sorts divers après-guerre, certains restant dans l’Armée de l’Air, connaissant des belles carrières (comme le général Delfino) ou périssant en mission commandée. D’autres entreront dans la vie civile. C’est le 17 février de cet année qu’est décédé le dernier des pilotes survivants, G. Taburet[6].
Sa contribution fut, certes, symbolique. Mais, certains symboles pèsent lourd. On retiendra l’un de ceux-ci. Le 15 juillet 1944, lors d’un vol de convoyage pour rejoindre un aérodrome plus proche du front, Maurice de Seynes est victime d’une fuite d’huile qui l’aveugle et provoque un début d’incendie de l’avion (Yak-9). Il pourrait sauter. Mais, dans le coffre de l‘avion, situé juste derrière le pilote, il a embarqué son mécanicien personnel, N. Bielozub, qui ne porte pas de parachute. En dépit d’ordres répétés, envoyé à la radio par le commandement soviétique tout comme par le commandant du Groupe, Delfino, de Seynes se refuse de sauter et tente de se poser. A chaque fois, aveuglé, il manque la piste. A la quatrième tentative, l’avion décroche à l’atterrissage et s’écrase, tuant les deux hommes.
L’acte de de Seynes reste, encore aujourd’hui, un symbole de la fraternité des aviateurs français et des combattants russes.
Jacques Sapir
Notes
[1] Lopez J., Stalingrad : la bataille au bord du gouffre, éditions Economica, coll. « Campagnes & stratégies », 1er octobre 2008, 1e éd., 460 p.
[2] Plus un pilote de l’avion de liaison et de servitude du Groupe.
[3] Le Général Георгий Нефёдович Захаров , né en 1908 et décédé en janvier 1986, aviateur breveté depuis 1933, combattra parmi les « volontaires » soviétiques dans la Guerre d’Espagne sur I-15 puis I-16 (6 victoires). De retour en URSS il est nommé commandant d’escadrille, puis en 1938, prend la tête d’une escadrille au sein du « Groupe de volontaires soviétiques » envoyé pour aider l’armée de Tchiang-Kai-Tchek contre les japonais. Rentré en URSS fin 1938, il est envoyé à l’Académie militaire soviétique du personnel d’Etat-major et il est promu Colonel. Il est nommé alors au poste de commandant de la composante aérienne du District militaire de Sibérie. Le 7 mai 1940, il est nommé au rang de major général et commande une partie de la chasse soviétique lors des combats de Khalkhin-Ghôl. En novembre, il quitte la Sibérie pour commander la 43e Division d’interception, alors stationnée à Minsk. Il effectue plusieurs missions de reconnaissance de nuit au début de juin 1941, où il détecte des concentrations de forces allemandes considérables. Avec le début de la guerre, il remporte plusieurs victoires au dessus de Minsk, puis est envoyé superviser l’entraînement des nouveaux pilotes à Oulan-Oude et revient prendre la commandement de la 303ème Division Aérienne (303 AID) en décembre 1942. Il a écrit un livre de souvenirs Я – истребитель (Moi-Chasseur), publié an 1985 au Voyennizdat (Moscou).
[5] La liste des pilotes peut être trouvée ici :http://normandieniemen.free.fr/les_pilotes_du_Normandie_Niemen.htm

11 réponses à [RussEurope en Exil] 75ème anniversaire du Normandie-Niemen, par Jacques Sapir

Commentaires recommandés


ceusetteLe 12 novembre 2017 à 19h45
Merci pour ce très bel article. Il y a eu aussi malheureusement des Français qui ont choisi l’autre camp pour combattre sur ce front. Les Soviétiques avaient laissé le choix des appareils aux Français, il ont préféré les Yaks à la fois pour des raisons politiques, mais aussi parce que ces avions étaient excellents. Par ailleurs, il semble que les conditions pour homologuer une victoire aérienne étaient draconiennes, bien plus que pour les Américains. Il faut donc saluer le courage de ces hommes qui se sont battus pour laver l’honneur de leur pays.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire