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mardi 4 juillet 2017

HISTOIRE et MEMOIRE - Ambroise Croizat, père de la Sécu, à l'honneur dans un film

HISTOIRE et MEMOIRE


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Ambroise Croizat, père de la Sécu, à l'honneur dans un film

Par Eric Favereau — 
Ambroise Croizat, ministre du Travail et de la Sécurité sociale (deuxième à gauche), l'un des fondateurs de la Sécu, lors du Congrès pour l'Organisation de la Sécurité sociale, le 22 février 1947, au Parc des expositions de la Porte de Versailles, à Paris.
Ambroise Croizat, ministre du Travail et de la Sécurité sociale (deuxième à gauche), l'un des fondateurs de la Sécu, lors du Congrès pour l'Organisation de la Sécurité sociale, le 22 février 1947, au Parc des expositions de la Porte de Versailles, à Paris.

 Ambroise Croizat, père de la Sécu, à l'honneur dans un film

Le documentaire «la Sociale» de Gilles Perret souligne le rôle du ministre de Travail de 1945 à 1947 dans la mise en place, conjointement avec Pierre Laroque, de l'assurance maladie.

Ambroise Croizat, qui connaît encore ce nom ? Ces dernières semaines, on a vaguement entendu parler d’une association qui s’appelle Ambroise Croizat, tenue par la CGT et qui gère entre autres la maternité des Bluets à Paris. Mais autrement, ce patronyme a peu à peu disparu de notre histoire sociale. Et ce n’est pas le moindre des mérites de ce documentaire, baptisée la Sociale, qui sort ce mercredi dans les salles de cinéma, que de redonner vie à ce personnage, militant historique du Parti communiste et de la CGT, et qui a eu un rôle essentiel dans la création de la Sécurité sociale en 1945.
L’histoire est injuste. Lorsqu’on parle de la naissance de l’assurance maladie, on évoque aussitôt le général de Gaulle, et Pierre Laroque, haut fonctionnaire qui mit en forme l’architecture de notre système de couverture maladie. Et ce dernier n’est pas passé dans le trou de l’histoire ; un peu partout, comme au ministère de la Santé, il y a des salles Laroque, des séminaires et autres conférences à son nom. Mais pour Ambroise Croizat, c’est donc le trou noir. Et même à l’Ecole nationale supérieure de la Sécurité sociale, qui forme les futurs dirigeants, rares sont ceux qui le connaissent.

«Rapport de forces»

Et pourtant, quelle belle histoire ! «Vivre sans l’angoisse du lendemain, de la maladie ou de l’accident de travail, en cotisant selon ses moyens et en recevant selon ses besoins.» Tels étaient les principes qui allaient forger la Sécu. Dans un documentaire engagé, le réalisateur, Gilles Perret, redonne vie à ces principes avec en fil rouge le témoignage d’un des derniers «poilus» de l’époque, Jolfred Fregonara (décédé en août). «Je voulais faire un film positif. Aujourd’hui on grogne sans cesse, on dit que tout va mal, mais le film montre que quand on se met tous ensemble, on arrive à créer de la solidarité et un rapport de forces», défend le réalisateur.
Après les affres de la guerre, un projet pour «une société juste et solidaire» est en effet inscrit dans le programme du Conseil national de la Résistance, le CNR, qui  rassemble communistes, chrétiens-démocrates, gaullistes, socialistes. En quelques mois, toute l’architecture va se mettre en place, avec un pouvoir réel donné aux salariés. On ne parle pas encore d’usagers de la santé, mais il y a un enthousiasme peu banal, et une solidarité qui s’impose à tous. Le regard malicieux, Jolfred Fregonara, ex-ouvrier métallurgiste, raconte comment, en 1946, il a reçu les consignes du ministre du Travail, Ambroise Croizat, pour mettre en œuvre la caisse de Haute-Savoie.

Logique financière

A voir ce documentaire, ce fut un combat joyeux dans lequel Ambroise Croizat est central. On l’a oublié, mais à sa mort en 1951, à 50 ans, «il a eu un enterrement à la Victor Hugo», raconte le sociologue Bernard Friot. On découvre le  parcours de Croizat, ouvrier métallurgiste cégétiste qui proclame que «la retraite ne doit plus être l’antichambre de la mort, mais une nouvelle étape de la vie». Reprenant le flambeau de son père, organisateur, au début du XXsiècle, de la première grande grève pour la protection sociale, Ambroise Croizat est élu député communiste de Paris pendant le Front populaire, avant d’être incarcéré et envoyé pendant deux ans au bagne d’Alger au début de la guerre. Au lendemain de la guerre, nommé ministre du Travail, il va construire avec Pierre Laroque la Sécu.
C’est une histoire politique. «Quand ils ont créé la Sécu en 1945, la seule question qu’ils ne se sont pas posés c’est combien ça allait coûter. On estimait que c’était trop important d’avoir accès à la santé et des retraites décentes», constate Gilles Perret. Plus de soixante ans plus tard, quand on parle de la Sécu, c’est pour évoquer le trou, la lourdeur bureaucratique, bref une sorte de machine folle… Mises bout à bout, les dépenses de prestations sociales 2015 culminent, il est vrai, à 476,6 milliards d’euros, somme vertigineuse largement supérieure à l’ensemble du budget de l’Etat.
Paradoxalement, ce documentaire sort le jour d’une grève des infirmières et des personnels de santé, qui se sentent avalés dans une logique financière, une logique si forte qu’elle leur fait oublier le sens même de leur travail. Que dirait, aujourd’hui, Ambroise Croizat, qui se battait, lui, pour un discours politique sur la santé ? Et que dirait-il devant la situation cocasse de la Clinique des Bluets (dont il porte le nom) qui doit réduire de moitié son activité obstétricale pour cause d’un conflit d’un autre âge entre la CGT, propriétaire du lieu, et le personnel, qui veut simplement travailler correctement ?
Eric Favereau







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