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mardi 1 novembre 2016

Hollande, le résilient de la République





30 octobre 2016


Hollande, le résilient de la République


                               

Affaibli, contesté par son propre camp, le chef de l'Etat est persuadé qu'il reste le meilleur candidat pour 2017

François Hollande est mort, vive… François Hollande ? Drôle de psychodrame que celui que traverse depuis deux semaines le pouvoir socialiste. Loin d'être retombé, l'effet de souffle provoqué par la parution, le 12  octobre, du livre " Un président ne devrait pas dire ça… ", de Gérard Davet et Fabrice Lhomme (Stock, 672 p., 24,50 €), n'en finit pas de saccager le terme du quinquennat.

A six mois de l'élection présidentielle, le chef de l'Etat est affaibli comme jamais, banni même par une partie de son propre camp politique. Cruel paradoxe : au moment où les socialistes parviennent tant bien que mal à maîtriser l'évacuation du camp de migrants de Calais, réussissent à juguler la dangereuse fronde policière et enregistrent de bons chiffres pour l'emploi en septembre, les voilà plongés comme rarement au fond du lac.

En cause, l'incertitude générale qui règne au sommet de l'Etat autour de la présidentielle. Non seulement la perspective de remporter le scrutin en mai  2017 n'est partagée par presque aucun responsable du PS, mais, pire, c'est l'identité même du candidat qui fait défaut. " Beaucoup vivent une forme de défaite intériorisée ", reconnaît le député de Seine-et-Marne Olivier Faure, qui faisait partie de l'équipe de campagne de François Hollande en  2011-2012. " Nous sommes dans du jamais-vu : à six mois de la présidentielle, alors même que nous sommes au pouvoir, nous n'avons aucun leader sûr et solide ", renchérit son collègue de Gironde, Gilles Savary.

A l'Elysée, le chef de l'Etat se retrouve la cible de rêves de putsch. La crise de nerfs, selon les jours, frôle la crise de régime. Claude Bartolone, président socialiste de l'Assemblée nationale et troisième personnage de l'Etat, furieux des propos peu flatteurs employés à son égard par M.  Hollande dans le livre, pousse tous les feux pour promouvoir une candidature alternative, avec en tête de sa liste de vœux l'ancienne garde des sceaux et icône de la gauche morale, Christiane Taubira.

" C'est notre Trump à nous "

Le patron du Palais-Bourbon se fait surtout le relais de la colère des troupes parlementaires socialistes contre le président de la République. Celle-ci est telle que certains n'hésitent plus à employer des comparaisons quasi outrancières contre ce dernier, suggérant chez lui une forme de folie destructrice qu'il est urgent de stopper. " C'est notre Trump à nous, il faut absolument qu'on arrive à l'enjamber ", lâche, ulcéré, l'un d'entre eux.
Le gouvernement est devenu une pétaudière. En privé, les ministres avouent être totalement dépassés, et beaucoup ont du mal à masquer leur déception à l'encontre de M.  Hollande. " On se dit qu'aucun d'entre nous ne méritait une telle fin de mandat ", se lamente l'un d'entre eux. Chez les plus remontés, la rage prend vite des airs de vengeance. " Qui va se mouiller pour Hollande s'il est candidat ? Qui va aller s'épuiser pour lui après tout ce qu'il a fait ? " grince un autre.

Le doute existe désormais au sein du PS sur les capacités du chef de l'Etat à remporter la primaire de janvier  2017. Un tel scénario, inimaginable il y a encore un mois, serait une forme d'humiliation suprême pour le président, battu par son ancien ministre de l'économie Arnaud Montebourg. " Il y a deux ans, on se demandait si François Hollande pouvait gagner la présidentielle. Il y a un an, s'il pouvait être au second tour. Maintenant, on se demande carrément s'il peut être candidat à la primaire. Quelle chute vertigineuse pour un président sortant ! " n'en revient pas un membre du premier cercle autour de Manuel Valls.
L'élimination précoce du chef de l'Etat provoquerait surtout la mort quasi certaine, et pour de longues années, du camp dit " réformiste " chez les socialistes. Cette disparition éventuelle est la source principale de la panique généralisée. C'est la raison pour laquelle, depuis une semaine, le premier ministre s'emploie à réveiller les consciences dans la majorité, agitant le spectre d'une gauche de gouvernement " pulvérisée "" atomisée " ou " sortie de l'Histoire ".
" Le risque, c'est la corbynisation du PS, renvoyé comme le Labour en Grande-Bretagne dans une opposition de confort, mais certain de ne plus reconquérir le pouvoir avant longtemps ", s'inquiète le député de l'Essonne Carlos Da Silva, un des lieutenants du chef du gouvernement.

La tragédie des socialistes tient dans le fait qu'aucune bonne solution ne se dessine pour eux à l'horizon. Personne dans leurs rangs n'incarne un recours indiscutable. M.  Valls ne cache pas qu'il se prépare à toutes les éventualités, y compris celle d'un renoncement de M.  Hollande, mais le premier ministre constate qu'il ne fait toujours pas l'unanimité chez ses camarades de Solférino. Pire, ses sondages pour 2017 sont aussi catastrophiques que pour le président, preuve que dans l'opinion, le couple exécutif, lié par l'exercice du pouvoir, dévisse de concert.

Parallèlement, les hypothèses Christiane Taubira ou Ségolène Royal, testées récemment dans la presse, ne trouvent pas non plus d'acheteurs. " Personne ne s'envole dans les sondages pour qu'on s'accroche tous à son étoile et qu'on tourne dès maintenant la page Hollande ", reconnaît un poids lourd de la majorité.

Malédiction ou bénédiction

Résultat, c'est toujours l'hypothèse Hollande qui s'impose. Comme une malédiction pour ses troupes. Comme une bénédiction pour l'Elysée. " Bien sûr qu'il est candidat et même plus que jamais ! ", assure un de ses proches. " Arrêtons de nous raconter des histoires, je le vois souvent, il sera candidat ", appuie une ministre qui le soutient. " Le président aime la combativité et en ce moment, il est servi ", conclut un conseiller du château.
Fidèle à son tempérament, M.  Hollande fait mine de ne pas être affecté par la tempête qu'il affronte. Il continue à présider comme avant, comme si de rien n'était. Il visite des entreprises, reçoit à l'Elysée les syndicats de policiers, discourt sur " la volonté inépuisable " de François Mitterrand à l'occasion du centenaire de la naissance de ce dernier, ou sur " les corps intermédiaires si nécessaires et utiles à la démocratie ", comme vendredi 28  octobre devant le Conseil économique, social et environnemental.

Samedi 29  octobre, il devait se rendre dans le Maine-et-Loire rendre un hommage aux populations tsiganes internées dans le département sous le régime de Vichy, puis dans un centre d'accueil et d'orientation où viennent d'arriver des réfugiés calaisiens. Avant une visite au musée du Louvre-Lens puis un déplacement en Normandie, prévus la semaine suivante.

Pas question donc pour le président de la République de changer quoi que ce soit. Ni accélération de son calendrier – il dira en décembre, et pas avant, s'il est candidat ou pas à un nouveau mandat – ni emportement, toujours mauvais conseiller selon lui. Mais pas de grande explication non plus pour purger la crise actuelle, en tout cas pas dans l'immédiat. " Le président a bien noté un trouble dans la majorité, mais la majorité va voir qu'il est en mouvement ", se contente d'indiquer son entourage. Contre tous ceux qui jouent l'empêchement, M.  Hollande, lui, parie sur le pourrissement.

En réalité, le chef de l'Etat surveille de près les moindres mouvements. Ces derniers jours, il s'est assuré du soutien à toute épreuve de ses fidèles au sein du PS. Il a également vérifié que Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du parti, certes critique, ne le lâcherait pas à trois mois de la primaire, et que M. Valls, bien qu'entreprenant, n'avait pas les moyens politiques de ses ambitions.

Les enquêtes d'opinion, qui le donnent cinquième du premier tour de la présidentielle, glissent sur lui. Au contraire, il y relève qu'aucun autre socialiste ne fait mieux que lui. La nouvelle passerait presque pour bonne à ses yeux. Autant président que résilient de la République, M. Hollande sait que, lui candidat, personne n'osera le défier au sein du gouvernement, à commencer par le premier ministre.

" Seul contre tous "

Il resterait donc le meilleur – ou le moins pire – pour perdre en  2017. Un statut qui affole plus d'un socialiste mais que lui est certain, dans l'énergie de la bataille électorale, de renverser à son avantage face au candidat de la droite. D'ailleurs, son entourage ne fait plus état d'une campagne calquée sur celle de " la France unie " de Mitterrand en  1988, mais plutôt sur celle de Chirac en  1995. " Hollande va y aller seul contre tous, pour parler directement aux Français, sur le terrain, jour après jour ", prédit son ami Julien Dray.

Cette stratégie, qui tient à la fois du coup de poker et du trou de souris, donne des sueurs froides à M.  Valls. Pour lui, aucun rebond n'est possible si le chef de l'Etat ne ressuscite pas sa stature présidentielle et ne théorise pas un nouveau projet pour le pays, capable d'emporter le peuple de gauche. La politique du moindre mal ne peut conduire qu'au désastre électoral, prévient-il en privé. " Il faut aller à la présidentielle pour gagner, pas pour sauver les meubles ", explique M. Valls. Un défi qu'il résume d'une formule : " Ce sera la dynamique ou la dynamite. "

Bastien Bonnefous
© Le Monde

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