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Alain Juppé, Premier ministre et Jacques Chirac, Président
Alain Juppé est le Premier ministre de Jacques Chirac de 1995 à 1997. Aujourd’hui, il pourrait devenir Président de la République.
Que peut-on apprendre d’Alain Juppé à partir ce bref passage au pouvoir ? Nous permet-il d’élucider son éventuelle future présidence ?
Cet article en 10 points est inspiré par les vues pénétrantes d’Arnaud Teyssier dans son Histoire politique de la Vème République. Haut-fonctionnaire et historien, proche de Philippe Séguin, il développe une perspective critique du dévoiement des institutions du général de Gaulle, par ceux qui lui ont succédé.
Sommaire
- 10. L’autre politique de Chirac
- 9. Le choix d’Alain Juppé comme Premier ministre
- 8. Le système des partis
- 7. La volonté réformatrice d’Alain Juppé
- 6. La fin des illusions
- 5. La réforme de la Sécurité sociale
- 4. 1996 ? La poursuite de la même politique !
- 3. Une tentative de reprise en main
- 2. Le drame: la dissolution
- 1. Jacques Chirac accepte la cohabitation
10. L’autre politique de Chirac
Nous sommes en 1995. François Mitterrand est au crépuscule de son règne. Le pouvoir socialiste est usé. Deux ans plus tôt, en 1993, il n’est parvenu qu’à faire élire 57 députés.
Édouard Balladur, Premier ministre de 1993 à 1995
La droite choisit son champion, Édouard Balladur, comme Premier ministre. Celui-ci mène une politique tournée vers la réforme libérale. La France doit respecter les critères de convergence européens, c’est-à-dire limiter ses déficits et sa dette publics. C’est une obligation dans l’optique du passage à la monnaie unique.
Le traité de Maastricht a en effet été ratifié par la France après un referendum en 1991. Cela se traduit par une politique du franc fort et de limitation des dépenses.
Pour la présidentielle de 1995, Édouard Balladur est le favori des sondages.
Plus personne ne croit en Jacques Chirac. C’est vrai, il a échoué à deux reprises au seuil du pouvoir. En 1988, c’est même l’humiliation devant François Mitterrand :
Mais Chirac mord le couteau, de sa gueule qui saigne. Lui aussi sera candidat. Il lance toutes ses forces dans la bataille.
Cela s’avèrera gagnant.
« L’autre politique » de Chirac
Chirac vilipende la politique de Balladur. Il promet une “autre politique”.
Son ennemi ? La « fracture sociale ». Il affirme ainsi sa volonté de lutter contre le chômage. Il promet des augmentations de salaire pour relancer l’activité. Il refuse de faire de l’Union européenne un carcan qui limite toutes les marges de manoeuvre de la France.Philippe Séguin est l’inspirateur de ce volet de campagne.
Mais Chirac fait feu de tout bois. La priorité : gagner !
Il se fait donc aussi le champion d’un retour au libéralisme, dans la ligne d’un Alain Madelin.
Cette contradiction ne semble pas frapper pas l’opinion.
Ce qu’elle retient ? La promesse, enfin, d’une action énergique pour relancer cette croissance qui ne décolle pas, et ce chômage qui ne s’en va pas. Début 1995, le chômage s’élève à 10,1% de la population active.
Chirac, c’est l’alternance à un pouvoir usé. Pas un mouvement de fond venant de la société. Il ne dispose d’ailleurs, dans l’opinion, d’aucun “état de grâce”. Chirac n’est pas un homme nouveau : c’est le moins pire. Il est pour la première fois secrétaire d’État en 1967, maire de Paris dès 1977 et Premier ministre à deux reprises, en 1974 et en 1986.
La défaite de Balladur, la victoire de Chirac
Au premier tour, il obtient 20,84% des voix, derrière Jospin qui obtient 23,30% des suffrages. Balladur, avec 18,58% des voix, est battu. Le Pen consolide sa présence dans le paysage électoral : il fait 15%.
« Je vous demande vous arrêter ! »
Le 7 mai 1995, Jacques Chirac est élu Président de la République avec 52,64% des voix contre Jospin.
9. Le choix d’Alain Juppé comme Premier ministre
Le 17 mai, c’est l’heure de vérité. Dans son discours d’investiture, Jacques Chirac rend hommage, tacitement, à Philippe Séguin. Il parle de “pacte républicain”, il adopte un ton gaullien en parlant “d’État impartial, assumant pleinement ses missions de souveraineté et de solidarité”. Il rappelle, bien entendu, la priorité qu’il donnera au retour à l’emploi.
Mais Philippe Séguin, le tenant de cette “autre politique”, restera à la présidence de l’Assemblée nationale.
C’est Alain Juppé qui sera Premier ministre.
Dans ce choix, tout annonce que le nouveau Président ne rompra pas avec la politique d’Édouard Balladur. Alain Juppé fait partie de ceux qui se sentent proche d’une droite libérale et moderne, plutôt que d’un gaullisme social et dirigiste. C’est aussi un Européen convaincu.
À Séguin le ministère du verbe. À Juppé le ministère de la France.
Qui est Alain Juppé ?
C’est une lapalissade. Juppé, c’est le pur produit de la méritocratie républicaine. Né en 1945, cet enfant de Mont-de-Marsan a grandi dans une famille d’exploitants agricoles aisés. À 19 ans, il entre à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. 3 ans plus tard, il est agrégé de lettres classiques. Le jeune Alain Juppé maîtrise donc latin et grec ancien…
Mais il ne fera pas carrière à l’université. Il entre à SciencesPo, puis à l’ENA et sort avec un brillant classement : il devient un inspecteur des finances, puis entre en politique.
Alain Juppé fait toute sa carrière auprès de Jacques Chirac. C’est d’abord son économiste. En 1980, il rejoint la haute administration de la ville de Paris au poste de directeur des finances. En 1993, il devient le ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Balladur, mais ne relâche jamais -officiellement-, son soutien à Chirac, même pendant la terrible année où personne n’aurait misé un kopeck sur lui.
C’est un ministre de bonne réputation. Il est dit compétent, intelligent, rapide et respectueux de ses collaborateurs.
Le journal en ligne Atlantico a publié plusieurs extraits du livre de Bruno Dive, « Alain Juppé, l’homme qui revient de loin ».Celui-ci aurait exprimé à plusieurs reprises des doutes sur la victoire Jacques Chirac et aurait même envisagé…de changer de camp !« Alain Juppé n’est pas loin de flancher. La séduction balladurienne semble à son tour opérer sur lui. En février 1995, quelques journalistes qu’il reçoit à déjeuner, et qui en restent stupéfaits, l’entendent dire : « L’un sera toujours un agité ; l’autre est déjà un homme d’État. «
8. Le système des partis
Le parcours très “serviteur de l’État” de Juppé aurait pu faire croire à un retour à une gestion traditionnelle de l’appareil gouvernemental, après le deuxième épisode de cohabitation.
Mais Alain Juppé a été un ministre de cohabitation à deux reprises. Il en reste des marques. Le gouvernement de Juppé sera animé de comportements propre à un gouvernement parlementariste. En d’autres termes, un retour aux pratiques de la IIIème et de la IVème République.
L’Assemblée nationale n’est pas dissoute
Au lieu de profiter de l’élan de la présidentielle pour obtenir une assemblée disciplinée derrière le chef de l’État, le Président Chirac conserve une majorité, certes de droite, mais traversée de courants très contradictoires.
Elle est ainsi composée d’ultra-libéraux inspirés par les anglo-saxons, de gaullistes plus traditionnels ou de centristes sociaux.
Conséquence, le gouvernement est pléthorique : 43 ministres, ministres délégués et secrétaires d’États. Plutôt que de prendre acte du choix du peuple souverain en faveur d’une « politique Chirac », le gouvernement est l’enfant du compromis entre les partis. Ainsi, 17 ministères sont confiés à des personnalités de l’UDF, le parti centriste. Et 3 des ministères les plus importants : l’économie et les finances avec Alain Madelin, la Défense et les Affaires étrangères.
Une majorité composite
Bref, la majorité est constituée selon les schémas partisans de la cohabitation. Elle est composite et sans programme.
Qui dit gouvernement pléthorique et composite, dit difficultés à le contrôler. Les ministres donnent une impression d’amateurisme en multipliant les déclarations cavalières.
Intention symbolique significative, de nombreux ministères sont confiés à des personnes jeunes et nouvelles. François Baroin est nommé porte-parole du gouvernement. Témoin de l’engagement et des efforts d’Alain Juppé en faveur de la parité : 12 femmes entrent au gouvernement, affublées du terme quelque peu sexiste et condescendant de “juppettes”. Mais aucune n’obtient de portefeuille de “premier ordre”.
7. La volonté réformatrice d’Alain Juppé
En 1995, la droite est majoritaire partout : en plus de la présidence, elle domine le Parlement, la presque totalité des régions, des départements et domine les grandes villes (Paris, Marseille, Lyon, Bordeaux…).
Mais le gouvernement n’a pas de véritable programme. Jacques Chirac, lors de la campagne, a développé un discours à la fois social, la lutte contre la “fracture sociale”, et libéral, inspiré par Alain Madelin. Son élection à la fonction suprême, au dépend de Balladur, est une surprise.
Dans cet extrait, Chirac jongle clairement avec les deux dimensions de son discours : libéral et social.
Cependant, Alain Juppé est animé d’une véritable volonté réformatrice. Le Premier ministre se souvient de la période de la première cohabitation, une lutte permanente entre le gouvernement de Chirac Premier ministre et l’Élysée mitterrandienne. Il garde un souvenir amer de la deuxième cohabitation, quand la rivalité Chirac/Balladur grevait la possibilité de toute réforme de profondeur.
La volonté réformatrice d’Alain Juppé
Il fait un bilan implacable des 14 années de Mitterrand. Si l’ancien Président le République a conforté les institutions (après les avoir critiqué très durement, voir Le coup d’État permanent), les gouvernements socialistes et ceux de droite pendant les cohabitations ont laissé de lourds problèmes sur la table :
- La déréglementation, opportune ou non, d’un certain nombre de secteurs pour les adapter au nouveau contexte économique.
- Les différents régimes de la Sécurité sociale, de plus en plus déséquilibrés.
- La pérennité des systèmes de retraite, compromise.
Bref, les défis qui se présentent au gouvernement Juppé sont sérieux.
La priorité : lutter contre le chômage
C’était une des grandes promesses de Jacques Chirac. C’est la priorité d’Alain Juppé. À son arrivée, il s’élève à 10,1% de la population active.
Alain Juppé veut mener une guerre contre le chômage, et une guerre contre » l’exclusion » qui en découle.
Aujourd’hui, en tant que candidat à la Présidence, sa priorité reste la même. La priorité des priorités, c’est l’emploi. Il faut mettre de la souplesse tout en garantissant une sécurité au salarié.#Cpolitique
Le 22 mai, le Premier ministre exhorte les préfets à s’engager dans sa lutte contre le chômage. Dans cette entreprise, “ils engagent leur responsabilité personnelle”. Ce discours interloque : les préfets ont-ils vocation à mener une telle politique ? Ils peuvent, tout au plus, préserver des emplois à coups de subventions ou s’engager dans des discussions avec les acteurs départementaux.
Les mesures du gouvernement Juppé pour l’emploi
Le gouvernement privilégie deux approches dans le cadre d’un grand “plan d’urgence pour l’emploi”. Elles reflètent le compromis branlant de la campagne présidentielle : un peu de social-démocratie d’un côté, un peu de libéralisme de l’autre.
On s’inscrit donc, d’un côté, dans le “traitement social du chômage”. Deux types de contrats sont créés :
- Le “contrat initiative-emploi” (CIE) pour les chômeurs de longue durée.
- Le “contrôle d’accès à l’emploi pour les jeunes” (CAE), qui, comme son nom l’indique, vise à favoriser l’insertion des jeunes sur le marché du travail.
D’un autre côté, le gouvernement essaie de stimuler la croissance :
- Il augmente le SMIC pour faire augmenter la demande.
- Il allège la fiscalité et simplifie les procédures administratives des PME pour faire augmenter l’offre.
Une promesse non-tenue : l’augmentation des impôts
Chirac s’était engagé à réduire les impôts pendant sa campagne. Son gouvernement va les augmenter :
- La TVA est haussée de 2 points.
- L’ISF et l’IS sont majorés.
Les mesures de lutte contre le chômage ont en effet un coût.
Le gouvernement ne s’est donc pas engagé dans une politique ultra-libérale de “dégraissage de mammouth”, type Alain Madelin. Celui-ci démissionne le 25 août, après avoir annoncé vouloir s’attaquer aux avantages acquis des fonctionnaires et des agents du service public.
La pression allemande sur les déficits
La France a un déficit de 5,6% du PIB en 1994. Une dette de 49,6%. Le gouvernement allemand conservateur d’Helmut Kohl s’en émeut : la France pourrait ne pas adopter la monnaie unique au rendez-vous de 1999. C’est une perspective inacceptable pour le Président de la République et le Premier ministre.
La priorité change. C’est désormais la lutte contre les déficits.
Le gouvernement ne peut avouer publiquement être sous pression allemande. C’est une humiliation. Il ne peut pas non plus justifier les nouvelles augmentations d’impôt en accusant le gouvernement précédent : la majorité de Balladur est encore à l’Assemblée.
6. La fin des illusions
Nous sommes en septembre. Les nouvelles mesures, peu originales, ont déçu et les libéraux et les séguinistes. L’opinion attend toujours Alain Juppé sur de grandes réformes.
Dans les banlieues, l’été a été agité. La question de l’immigration et celle des mineurs multirécidivistes reviennent au premier plan. Mais le gouvernement est paralysé. Il ne veut pas être accusé de reprendre les thèses du FN : c’est le piège de Mitterrand.
C’est l’année de sortie du célèbre film de Matthieu Kassovitz, « La Haine ». Après la mort de Khaled Kelkal en octobre, des émeutes éclatent en banlieue lyonnaise.
Lorsque Alain Juppé annonce le gel du salaire des fonctionnaires, les dernières illusions sont perdues. Les promesses de la campagne de 1995 ne seront pas tenues. Il n’y a aura pas une “autre politique”, mais la prolongation de celle de Balladur : lutter contre les déficits pour rassurer les milieux financiers et préparer la France à l’entrée dans la monnaie unique.
Le couple Chirac-Juppé est au plus bas dans les sondages. La côte d’Alain Juppé passe de 63 % en juin et juillet à 57 % en août, puis descend à 40 % en octobre et à 37 % en novembre.
Philippe Séguin, Premier ministre ?
Le long mais riche discours de Philippe Séguin de 1992 contre l’Europe du traité de Maastricht
Philippe Séguin, le représentant du gaullisme social, pourrait remplacer Alain Juppé.
Mais il fait difficilement figure de recours. Sa nomination comme Premier ministre signifierait pour la France qu’elle s’engage résolument dans une politique hostile à l’Europe du traité de Maastricht. Autrement dit, une véritable révolution politique en faveur d’une Europe intergouvernementale plutôt que fédérale. Une politique effrayante.
Jacques Chirac voit en outre en Philippe Séguin un rival. C’est un Premier ministre potentiellement incontrôlable. L’entourage de Chirac a fait les frais des nombreuses saillies de Séguin, notamment Dominique de Villepin, de plus en plus influent.
Alain Juppé agit comme dans un régime d’assemblée
Alain Juppé est coincé. Sa politique n’a pas été voulue par l’électorat. Il ne peut la justifier en attaquant le gouvernement précédent : c’est la même majorité. L’Allemagne et l’Europe font pression.
C’est alors que se révèle une transformation profonde de la pratique des institutions en France. Pour récupérer une maîtrise politique et signifier à l’opinion une réorganisation de l’action gouvernementale, Alain Juppé n’annonce pas un programme devant le peuple. Il ne dramatise pas la situation en la présentant comme une « croisée des chemins », à la de Gaulle.
Il va agir comme en régime d’assemblée, en régime des partis. Comme sous les IIIème et IVème républiques, il va changer les hommes et réajuster les équilibres parlementaires.
Constat terrible : le Président de la République n’a plus la même autorité que ses prédécesseurs. Le Premier ministre ne tire plus assez d’autorité de l’appui du Président.
Le remaniement
La sortie des « juppettes »
Le 15 octobre 1995, Alain Juppé se fait élire à la tête de son parti, le RPR. C’est un triomphe facile.
Le 7 novembre, moins de 6 mois après sa constitution, il remet la démission de son gouvernement. Sous les républiques précédentes, les Présidents du Conseil dosaient la couleur politique de leur gouvernement en fonction des fluctuations de leur majorité parlementaire.
Le gouvernement Juppé II est plus resserré. Une équipe de 32 ministres, allégée des 8 “juppettes”. De démagogue, Juppé passe à “machiste” aux yeux de certains. Un bien « mauvais souvenir » pour lui.
Plus resserrée, cette équipe n’en est pas pour autant plus cohérente. Elle reflète davantage encore les nuances de la majorité. Trois balladuriens entrent au gouvernement : Jean-Claude Gaudin, Alain Lamassoure et Dominique Perben. Les compétences de Jacques Barrot sont étendues à l’ensemble du champ social.
Cette manoeuvre est peu conforme à l’esprit des institutions du général de Gaulle. L’équipe gouvernementale est désormais le reflet des différents équilibres entre courants politiques à l’Assemblée nationale. La force du gouvernement ne trouve plus sa sa source pas dans l’élection du Président de la République par l’ensemble du corps électoral.
Alain Juppé décide de consacrer ses efforts à la réforme de la Sécurité sociale, dont les déséquilibres sont de plus en plus inquiétants.
Deux obstacles majeurs se dressent sur le chemin du Premier ministre.
Le premier, c’est la conjoncture économique. Mauvaise. Le budget de l’État est pressuré.
Le deuxième, ce sont les institutions. Affaiblies. L’autorité du Président Chirac est contestée : il est à la merci des humeurs de l’Assemblée. Au lieu de lui servir de fusible, le gouvernement l’entraîne dans sa chute.
Le « plan Juppé »
Le 15 novembre, Alain Juppé présente son projet à l’Assemblée nationale. Pour assurer la pérennité du système, il veut :
- Encadrer les demandes de prestation.
- Réformer les modes de gestion, notamment la gestion par les syndicats du budget de l’Assurance Maladie.
- Soustraire aux maires la présidence de droit des hôpitaux de leur commune, afin de ne pas mêler leur gestion à des considération de politique locale.
- Allonger la durée des cotisations de retraite des fonctionnaires.
- Réformer des régimes spéciaux de retraite.
Sur ce projet, Alain Juppé engage sa responsabilité. Le soutien massif qu’il obtient le conforte : il a la main sur le terrain politique.
Il a en outre le soutien de la CFDT de Nicole Notat.
Mais ce soutien est trompeur. Le Parlement n’est pas le terrain des véritables affrontements.
Face au plan Juppé, les grèves de 1995
C’est la fronde. Les deux dernières mesures sur les retraites des fonctionnaires et la réforme des régimes spéciaux de retraite suscitent l’ire de FO et de la CGT.
FO gère en outre l’Assurance maladie. Le syndicat craint que le projet de Juppé ne le dépossède de son contrôle. En même temps, François Bayrou, ministre de l’Éducation nationale, affronte les étudiants dans la rue.
Une aile dure se constitue alors. La FO et la CGT demandent le “retrait total du plan Juppé”. Elle impose son rythme à une aile modérée, la CFDT, la confédération générale des cadres, qui, elle, demande des aménagements.
Les grèves de 1995, un nouveau mai 1968 ?
Cette mobilisation est sans précédent depuis 1968. Mais elle reste limitée aux grands services publics. Point d’ouvriers dans les rangs des manifestants. Point de grande idéologie portée par les étudiants non plus.
Le parti socialiste, sans chef véritable, affaibli, ne peut profiter de la situation. Le parti communiste a perdu sa superbe d’antan. En 1995, Robert Hue, c’est 8,64%.
L’abandon partiel de la réfome
Le gouvernement entre en résistance. Il ne cherche ni la dissolution, ni le referendum, ni la réquisition des services publics. Mais il refuse de céder à la pression syndicale. Alain Juppé espère voir le mouvement pourrir, comme les grèves 1986 de la SNCF.
On commence à considérer que la grève est soutenue par les Français. Les usagers, malgré les difficultés, soutiendraient les manifestants qui exprimeraient une amertume collective devant les sacrifices demandés.
Plus généralement, on interprète le mouvement de 1995 comme le refus par la société française de la logique libérale qu’imposent la mondialisation et la construction européenne.
Les parlementaires prennent peur. Le gouvernement est affaibli. Alain Juppé doit ouvrir la voie à la discussion.
Le 12 décembre, 1 million de personne sont dans la rue.
Le 12 décembre, 1 million de personne sont dans la rue.
Le 15, Juppé abandonne la réforme sur les retraites, la fonction publique et les régimes spéciaux.
Pour donner le change, il annonce en outre la tenue pour le 21 décembre d’un “sommet sur l’emploi” portant sur la réduction du temps de travail et l’insertion des jeunes.
4. 1996 ? La poursuite de la même politique !
L’épreuve de force débouche sur un sévère échec pour Alain Juppé. On lui reproche d’être plus féroce dans le ton que dans les actes, et de ne pas s’être concerté avec les syndicats.
Le recul sur la réforme des régimes spéciaux est un symbole. C’est un dossier sur lequel le gouvernement ne « devait » pas reculer. C’est un lourde hypothèque sur l’avenir.
Pire encore, cet échec renforce le sentiment d’impuissance publique. La droite semble incapable de réformer un pays dans lequel elle possède presque tous les pouvoirs.
L’essayiste et philosophe Jean-François Revel fait un bilan sévère de cet épisode :
On entend dire que les Français sont ouverts aux réformes, à condition qu’on s’efforce de leur expliquer. C’est une illusion complète. Quand, durant la campagne des présidentielles, Jacques Chirac parlait de réformes visant à réduire la fracture sociale, les Français comprenaient qu’ils allaient être noyés sous une pluie de subventions. Les réformes qui visent une réduction des déficits publics ou des déficits sociaux, ils ne les comprennent pas du tout.
L’usure du gouvernement Juppé
Le 22 février 1996, Jacques Chirac annonce à la télévision que le service militaire sera supprimé progressivement. Raymond Barre propose un referendum sur cette question. Sa suggestion est repoussée. Le 28 mai, le Président décide l’abandon du service national obligatoire et décide l’instauration d’un “rendez-vous citoyen”.
L’été 1996 est difficile. Le gouvernement est usé. La majorité se fissure. L’UDF critique le manque d’enthousiasme et d’imagination du pouvoir.
En politique européenne, le gouvernement ne peut s’avouer franchement européen. Il risquerait de s’aliéner ses derniers soutiens dans l’opinion. Il ne peut pas non plus se dire anti-européen, au risque de froisser et les balladuriens et l’UDF dans la majorité.
Les manifestations dans des universités persistent. D’autres problèmes apparaissent : des revendications corses et des affaires impliquant des membres de la majorité.
Octobre noir
Les marges de manoeuvres d’Alain Juppé sont réduites comme peau de chagrin en octobre. Il n’est plus qu’à 27% d’opinions favorables. Pour la 4ème fois, il engage la responsabilité de son gouvernement devant l’Assemblée. C’est un aveu de faiblesse politique. Dans la pratique de la Vème République, c’est au Parlement de censurer, pas le contraire.
Alain Juppé essaie de trouver un nouveau souffle. En novembre 1996, à l’occasion d’un discours au conseil national du RPR, il s’attaque au thème de la modernisation de la vie politique. Derrière ce jargon se trouve l’idée d’influer sur les mentalités et les comportements pour mieux faire accepter les réformes.
Jacques Chirac avoue lui aussi son impuissance. Le 12 décembre 1996, il dit à a des journalistes à la télévision :
Nous sommes un pays profondément conservateur, dans lequel il est extrêmement difficile de bouger quoi que ce soit, car on se heurte, à la fois aux traditions et aux peurs.
Il lance ainsi le thème très porteur de l’impossibilité de réformer la France.
3. Une tentative de reprise en main
Les élections législatives de 1998 approchent. Pour éviter le désastre, une reprise en main est nécessaire.
La montée durable du FN
Une grande inconnue menace : le score du FN. Sa force électorale se situe entre 10 et 15%. Mais est-il capable de se maintenir au second tour au dépend des candidats du RPR ?
En février 1997, à Vitrolles, dans les Bouches-du-Rhône, la candidate du FN, Catherine Mégret, arrive largement en tête au premier tour, devant le candidat du PS. Le RPR choisit alors de tester la stratégie du “front républicain” . Il contraint ses candidats à se désister. Les états majors incitent l’électorat à repousser l’extrême-droite.
La sanction est claire : Catherine Mégret gagne les élections.L’électorat n’a pas suivi les états majors.
Au-delà de l’attention que suscite Jean-Marie Le Pen par son talent oratoire et ses outrances régulières, le FN profite de la désaffection de l’électorat envers les partis traditionnels. L’impuissance publique les désespère. La pudeur des partis de droite sur les questions de sécurité et de migration les exaspère. La droite ne parvient pas à se lester de sa culpabilité et de sa panique à l’idée d’aborder ces sujets brûlants. Le piège Mitterrand, toujours.
La loi Debré sur l’immigration
La priorité est donc de contrer la montée du FN.
Le projet de loi de lutte contre l’immigration clandestine présenté par Jean-Louis Debré, pourtant durci par l’Assemblée nationale en décembre 1996, suscite dès février, lors de sa relecture par le Sénat, les manifestations d’associations antiracistes.
Certains les comparent ces lois aux lois antijuives de Vichy. La machine est lancée. Le 22 février, 100 000 personnes manifestent à Paris.
On en revient au texte initial. Cette question est pourtant fondamentale aux yeux de l’électorat de la droite.
2. Le drame: la dissolution
L’impasse politique est complète. Les élections législatives approchent. La catastrophe s’annonce.
Il faut trouver une sortie théâtrale. L’idée de la dissolution se fait de plus en plus entendre dans l’entourage de Jacques Chirac.
La dissolution selon le général de Gaulle
« Notre peuple a condamné à une majorité immense le régime désastreux qui livrait la République à la discrétion des partis et qui une fois de plus avait failli jeter la France au gouffre ».
Dans l’esprit du général de Gaulle, la dissolution est l’ultime recours du pouvoir exécutif en conflit avec le Parlement. En 1962, de Gaulle dissout parce qu’il fait face à une rébellion de parlementaires opposés à l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. En 1968, il veut obtenir une majorité suffisante face aux gigantesques émeutes qui secouent le pays.
La dissolution n’est pas, dans l’esprit du général de Gaulle, un outil de tactique politique.
Contre ceux qui l’engageait à dissoudre en 1966, de Gaulle aurait dit à Peyrefitte :
Quelle idée ! Les Français ne comprendraient pas. Nous ne sommes pas l’Angleterre, il n’y a vraiment de raison d’écourter le mandat. La dissolution est une arme qu’il ne faut pas émousser. Pourquoi renvoyer une Assemblée où il y a une majorité et essayer de la remplacer par une Assemblée où il n’y en aurait peut-être pas ? L’opposition ferait sa campagne contre cette décision injustifiée. Elle pourrait bien entraîner la conviction des électeurs. Ensuite, je serais privé, pendant un an, de la capacité de dissoudre la nouvelle Assemblée. La Vème République, c’est la stabilité. La dissolution n’est fait que pour répondre à des crises.
Mitterrand a, lui, respecté l’esprit des institutions. En 1981, il tire les conclusions de sa victoire électorale, comme en 1988. Mais lorsque les gouvernements Rocard, Cresson et Bérégovoy étaient en difficulté, il n’a pas dissous l’Assemblée.
Pourquoi choisir la dissolution ?
Le pessimisme est à l’ordre du jour. Les prévisions économiques sont mauvaises pour 1997/1998. En outre, le gouvernement sera contraint d’augmenter la pression fiscale pour respecter les critères de Maastricht, c’est-à-dire réduire son déficit pour entrer dans l’euro. Avant l’arrivée de ces tristes échéances, autant couper l’herbe sous le pied à la gauche et empêcher Jospin de reconstituer son camp.
Pourtant le gouvernement dispose d’une majorité qui lui reste fidèle, malgré des épisodes de fondre.
Et pourquoi voter pour un gouvernement qui n’a pas respecté ses promesses et pour le même Premier ministre qui mènerait la même politique ?
Et quel sera l’impact du FN ?
La campagne législative de 1997
Le 21 mars, Jacques Chirac annonce à la télévision sa volonté de “redonner la parole au peuple”. Mais il ne parvient pas à expliquer clairement le pourquoi de la dissolution.
Alain Juppé, annonce aux députés, le 22, la poursuite de la même politique en cas de victoire. Voilà une orientation peu mobilisatrice.
Lionel Jospin le comprend bien. Un boulevard s’ouvre à lui. Les Verts, les communistes et le parti socialiste s’allient. Ils élaborent un programme très modéré en 22 points, devant leur assurer la victoire.
RPR, PS, des jumeaux ?
Les deux camps semblent être jumeaux. Tous deux sont favorables à la poursuite de l’intégration européenne. Tous deux donnent la priorité à la lutte contre le chômage. La gauche propose l’inscription de la parité homme/femme dans la Constitution ou la coupure du lien entre politique et justice. Ces deux points avaient été envisagés par le gouvernement, dans sa volonté de moderniser la vie politique. C’est “nouvel élan de modernisation de la démocratie” à droite contre “nouveau pacte démocratique” à gauche.
Grande exception : la gauche propose une mesure qui fera date : la semaine de 35 heures.
Jacques Chirac se jette dans la fosse aux lions
Dans la campagne, Jacques Chirac se compromet dangereusement, et la fonction présidentielle avec lui. Il ne créé pas un climat de dramatisation autour de cette dissolution, à la de Gaulle.
Au contraire, il fait paraître dans la presse régionale une “tribune libre”. L’effet est désastreux. Jacques Chirac devenu éditorialiste se jette lui-même dans la fosse aux lions. Une de ses tribunes publiée dans le Monde se souciait de préciser “Jacques Chirac est Président de la République”.
Le général de Gaulle ne disait-il pas :
L’autorité ne va pas sans prestige, ni le prestige sans éloignement.
Bref, Jacques Chirac paraît ne pas pouvoir survivre à l’effondrement de sa majorité.
La fin du gouvernement Juppé
C’est une défaite retentissante pour la droite. Avec à peine 36% des voix, elle réduit son score de 8 points par rapport à 1993. La gauche devant la future ex-majorité avec 42% des voix, puis le FN suit avec 15%.
L’abstention, elle, s’élève à 32%. Les jeunes des milieux populaires, qui avaient voté Chirac, le désavouent désormais.
548 sièges font l’objet d’un ballotage. Mais la réserve de voix de la droite paraît faible. Les candidats de gauche, en revanche, peuvent se désister les uns pour les autres.
La droite, après Vitrolles, ne peut pas envisager de bénéficier de la stratégie de “ front républicain” là où elle est en concurrence avec le FN. La gauche, au seuil de la victoire, n’a pas d’intérêt à les aider.
Une chance unique demeure pour Jacques Chirac : annoncer, en cas de victoire, le changement de Premier ministre. Les rumeurs parlent de Philippe Séguin. Alain Juppé annonce qu’il présentera sa démission après le second tour, quoi qu’il advienne.
Mais Jacques Chirac ne franchit pas le Rubicon. Il reste muet sur la question.
Le 1er juin, le couperet tombe. La remontée de la gauche est spectaculaire : elle passe de 99 sièges à 320 (246 PS, 8 écologistes, 29 divers gauche et 37 communistes).
La droite perd 187 sièges. 1 seul siège revient au FN.
1. Jacques Chirac accepte la cohabitation
Témoin impuissant de la vie gouvernementale
La légitimité personnelle de Jacques Chirac est ruinée. Mais il reste.
Le 2 mai, il demande à Lionel Jospin de former son gouvernement.
Le 4 mai, il déclare :
La France s’est pronocée. Elle a élu une nouvelle majorité. Nous voilà à nouveau en période de cohabitation. Je ne doute pas que celle-ci se déroulera dans la dignité, le respect mutuel, et un souci constant des intérêt de la France.
Le Président de la République devient une nouvelle fois le témoin impuissant de la vie gouvernementale. Il ne peut même plus dissoudre l’Assemblée pendant 1 an. Le but de Jacques Chirac ? Durer jusqu’à la prochaine élection.
De Gaulle voyait dans les échéances électorales successives une remise en cause permanente de sa légitimité à gouverner la Nation.Cette pratique de la Vème République semble belle et bien morte, même pour un président gaulliste.
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