Espagne : la colère des déçus de Podemos
Le leader de Podemos, Pablo Iglesias, au Parlement de Madrid, le 26 avril. GÉRARD JULIEN /
AFP
Les dés sont jetés. Après quatre mois de négociations avortées, de pactes stériles, de veto et l’échec de l’investiture du candidat socialiste à la présidence du gouvernement, Pedro Sanchez, le roi d’Espagne, Felipe VI, a constaté mardi 26 avril qu’il « n’existe aucun candidat qui compte les soutiens nécessaires pour que le Parlement lui donne sa confiance ».
De nouvelles élections législatives seront donc convoquées le 26 juin avec l’espoir que le résultat permette de dégager une majorité parlementaire plus claire, qu’elle soit de droite ou de gauche, afin de permettre la formation d’un gouvernement en Espagne.
Vers « une campagne moche »
L’ESPOIR GÉNÉRÉ PAR L’IRRUPTION DE NOUVELLES FORMATIONS S’EST EN GRANDE PARTIE ENVOLÉ
La campagne électorale n’aura pas grand-chose à voir avec celle qui a fait voler le bipartisme en éclats, le 20 décembre dernier. Dans la société espagnole, l’enthousiasme et l’espoir générés par l’irruption de nouveaux partis visant à renouveler le paysage politique, en finir avec les scandales de corruption et tourner la page de la crise et des politiques d’austérité, se sont en grande partie envolés. Le parti de la gauche radicale, Podemos, et Ciudadanos, la formation libérale et antinationaliste, n’ont pas réussi à construire avec les grands partis traditionnels, le Parti populaire (PP, droite, 123 députés) et le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE, 90 députés), des majorités suffisantes pour obtenir la confiance d’un Parlement très fragmenté.
« La campagne va être moche, centrée sur qui est le coupable du blocage et des nouvelles élections », prédit Pablo Bustinduy, député de Podemos de 33 ans et ancien professeur de philosophie. Pour lui, il va sans dire que le « responsable » est le PSOE. « A aucun moment il n’a reconnu nos cinq millions d’électeurs et le fait que nous avions fait presque match nul,affirme-t-il. Il ne s’est pas rendu compte que la société a changé et que nous n’allions pas accepter d’avoir un rôle subalterne, sans réels pouvoirs de décision politique. »
Avant même de débuter les négociations, le chef de file de Podemos, Pablo Iglesias, avait exigé la vice-présidence et la moitié des portefeuilles ministériels d’un éventuel gouvernement de coalition. Il avait aussi réclamé la tenue d’un référendum d’autodétermination en Catalogne et mis son veto à la participation de Ciudadanos dans les discussions. Pour le PSOE, qui a refusé toutes ces conditions, c’est Podemos qui a rendu impossible un accord entre les deux formations politiques.
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Montée de l’abstention à gauche
« JE SUIS LASSE DE VOIR QUE LA GAUCHE NE PARVIENT PAS À SE METTRE D’ACCORD »
Chez beaucoup d’électeurs de gauche, le désenchantement s’est installé. « Je suis lasse de voir que la gauche ne parvient pas à se mettre d’accord », soupire Carmen Alonso, psychologue de 57 ans venue participer à la Fête du printemps, organisée par Podemos dimanche 24 avril dans le parc Tierno Galvan de Madrid. Arantxa Herrero, 33 ans, à la tête d’une petite entreprise, se dit à la fois déçue par « la manière de négocier de Pablo Iglesias », tout en pensant que « le PSOE n’aurait pas dû privilégier un accord avec Ciudadanos ».
Plus virulent, Juan M., monteur de 43 ans, est venu avec des amis. « Je me sens trahi, affirme-t-il. Les leaders de Podemos ont mis leur soif de pouvoir au-dessus de l’intérêt général. Ils se sont mis à dos tout l’arc parlementaire. Pablo Iglesias s’est montré immature, prétentieux et sectaire. Il aurait été plus logique qu’ils avancent petit à petit… » Il votera donc pour les écolo-communistes de la Gauche unie (Izquierda unida, IU). Une alliance entre IU, qui avait réuni près d’un million de voix en décembre, et Podemos semble désormais possible avant juin, ce qui pourrait leur permettre de devancer le parti socialiste comme deuxième force politique en Espagne, mais sans la voix de Juan : « Dans ce cas, je vais peut-être m’abstenir… »
C’est parmi les anciens électeurs du PSOE, qui s’étaient ralliés à Podemos portés par la fraîcheur de leur discours et de leurs candidats, que l’on trouve le plus de mécontents. « J’ai voté Podemos avec l’espoir de rééquilibrer la gauche, de réorienter les positions du PSOE qui allaient trop à droite à mon goût. Mais je suis terriblement déçu et démotivé,regrette Jorge Sanchez-Cabezudo, réalisateur de 44 ans. Ils se disaient sociaux-démocrates, mais ils ont montré qu’ils appartiennent à la gauche révolutionnaire et font passer leurs idéaux romantiques et leurs positions jusqu’au-boutistes avant la réalité. Je pense qu’ils n’ont jamais cherché l’accord avec le PSOE, mais simplement le moyen de le dépasser et de le détruire… »
« Dès le soir du 20 décembre, je me suis rendu compte que je m’étais trompée, regrette aussi Inès V., coach de 36 ans. Au lieu de parler de tendre des ponts, d’aborder les mesures sociales pour lesquelles on les avait élus, ils ont brandi une première ligne rouge : le référendum en Catalogne, et n’ont parlé que d’eux, avec arrogance. J’ai la sensation qu’ils n’ont pas compris ce que signifie le verbe négocier… »
Miroir de l’ambiance qui règne en Espagne, les sondages parus ces derniers jours signalent une montée de l’abstention chez les électeurs de gauche, qui pourrait renforcer le Parti populaire de Mariano Rajoy. Mardi, Pedro Sanchez, chef du PS espagnol, s’est cependant voulu confiant : « Le changement est repoussé de deux mois mais le changement arrivera. »
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- Sandrine Morel (Madrid, correspondance)
Journaliste au Monde
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