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dimanche 3 janvier 2016

Présidentielle : François Hollande joue son va-tout



         Présidentielle : François Hollande joue son va-tout


LE MONDE |  • Mis à jour le  |


                

C’est un paradoxe : 2015, année la plus sombre qu’ait connue la France depuis des lustres, promettait, pour François Hollande, d’être le millésime politiquement le plus positif de son quinquennat. Ces dernières semaines, les bonnes nouvelles s’étaient même multipliées pour le chef de l’Etat : après avoir été salué, y compris par ses adversaires, pour la digne et juste tonalité de sa réaction aux attentats du 13 novembre, M. Hollande a pu se féliciter d’avoir, au cours du même week-end de décembre, obtenu un accord mondial sur le climat et limité la casse aux élections régionales. Pour lui, 2015 se terminait sur des sondages de popularité auxquels même ses partisans les plus fervents n’osaient plus rêver depuis longtemps : l’un d’entre eux, réalisé par IFOP-Fiducial pour Paris Match et Sud Radioles 27 et 28 novembre 2015, alla même jusqu’à le créditer de 50 % d’opinions favorables. Du jamais-vu depuis 2012 ! Dès lors, tous les espoirs pour 2017 étaient à nouveau permis.
Et puis est arrivée cette ténébreuse affaire de déchéance de nationalité. Proposée par le chef de l’Etat devant le Congrès réuni à Versailles, le 16 novembre 2015, la mesure semblait devoir être remisée : c’est ce que crut pouvoir annoncer la garde des sceaux, Christiane Taubira, dans un entretien à la télévision algérienne, diffusé le 22 décembre. Il n’en fut rien : dans le projet de Loi constitutionnelle présenté le lendemain en conseil des ministres, la mesure figurait bel et bien. A la clé : un « couac » monumental, tel que le gouvernement n’en avait commis depuis longtemps, et une levée de boucliers comme il ne s’en était pas produit à gauche depuis le début d’un quinquennat pourtant riche en « frondes ».
Même au sein du gouvernement, l’affaire embarrasse au plus haut point. « Le président est en train de faire la faute principale de son quinquennat, estime ainsi un ministre. Celui-ci reposait sur le fait qu’on tordait le bras à la gauche sur le plan économique mais qu’on compensait cela en lui donnant des gages sur le plan sociétal. En gros, on espérait lui faire avaler le pacte de responsabilité en lui rappelant qu’on avait quand même fait le mariage pour tous. C’est ce subtil équilibre qui est rompu aujourd’hui : désormais, on ne peut même plus dire que ce qui distingue Hollande de Sarkozy se trouve dans la dimension morale de l’action politique. »

« Hollande dilapide son autorité morale »

Pour Gérard Grunberg, coauteur avec Alain Bergounioux d’une étude de référence sur le rapport des socialistes français au pouvoir au XXsiècle (L’Ambition et le Remords, Fayard, 2005), ce point est capital : « Hollande, avec cette affaire de déchéance de nationalité, dilapide son autorité morale. Or on ne joue pas impunément avec les valeurs, surtout à gauche, où la politique est censée, beaucoup plus qu’à droite, obéir à une exigence éthique. » A écouter le politologue, les conséquences sur la campagne présidentielle de 2017 peuvent être cataclysmiques : « Toute la stratégie de Hollande consistant à avoir le moins de concurrents à gauche en 2017 est mise à mal : avec cette affaire, la gauche de la gauche, qui était moribonde, va sans doute retrouver un certain punch, sans compter que peut aussi resurgir la demande de primaires, dont on ne parlait plus guère ces derniers mois. »
Pour Gérard Grunberg, le PS serait même sur le point de connaître sa crise la plus grave depuis la fin de la IVRépublique : « Pour moi, on est en 1958, quand Guy Mollet voulut faire accepter à la SFIO le ralliement à de Gaulle et à la Constitution de la VRépublique. A l’époque, le parti l’a très mal vécu, d’autant plus que cela venait après des années déjà très tendues en raison de la politique algérienne de Mollet. Là, on est dans une situation comparable : la déchéance de nationalité, ce peut être le coup de fièvre de trop sur un corps déjà bien malade. Je n’exclus pas que tout ça se finisse par un éclatement du PS. »
Si chacun, y compris à l’Elysée et à Matignon, reconnaît que l’ampleur de la contestation a été sous-estimée par le chef de l’Etat et son premier ministre, tout le monde convient que cette affaire rebat largement les cartes pour la présidentielle. « C’est tout le joli schéma imaginé depuis des mois pour 2017 qui vient de tomber à l’eau en quelques jours, se désole un habitué de l’Elysée. Pour nous, 2016 devait avoir un objectif : ne pas fâcher la gauche afin que François Hollande fasse le meilleur score possible au premier tour. Là, tout est foutu en l’air : même des députés loyalistes sont vent debout. Alors qu’on devait amadouer les frondeurs, on réussit l’exploit d’en créer de nouveaux. Chapeau ! »

Candidature alternative à gauche

Alors qu’il croyait enfin naviguer dans des eaux moins tumultueuses, François Hollande voit ainsi le ciel s’assombrir à nouveau dangereusement, et ce à seize mois d’une présidentielle qui, avant même que ne s’ouvre ce nouveau front de contestation, se présentait pour lui sous de difficiles auspices. Désormais, sa priorité sera d’abord de se sortir de cette malheureuse ornière. Or, comme tout le monde en convient, il n’a le choix qu’entre deux mauvaises solutions. « Pour le président, deux choix sont possibles : reculer, au risque de dilapider son autorité, ou tenir bon, au risque de casser sa majorité. Dans les deux cas, pour lui, ce serait une catastrophe », résume Jérôme Jaffré, directeur du Centre d’études et de connaissance sur l’opinion publique.
Apparaître comme le candidat naturel de son camp en 2017 : M. Hollande en est donc à nouveau là aujourd’hui, au point que la question que plus personne ou presque ne posait à gauche depuis plus d’un an retrouve potentiellement quelque pertinence. « Il y a un mois, j’aurais dit le contraire, mais depuis quelques jours je commence à croire que s’ouvre un vrai espace pour une candidature alternative à gauche, qu’elle soit PS ou pas PS », estime un ministre. Pour Jérôme Jaffré, M. Hollande, à force de pratiquer l’art de la « triangulation », c’est-à-dire d’emprunter à ses adversaires leurs idées afin de les neutraliser, court tout simplement le risque de ne plus être reconnu comme « l’incarnation évidente de son camp pour 2017 ». Ce que le politologue résume d’une jolie formule : « En théorie, la triangulation ne devrait pas conduire à l’autostrangulation. »

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