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jeudi 30 mars 2023

Gérald Darmanin, le ministre du mensonge le 29.03.2023

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Gérald Darmanin, le ministre du mensonge

En une semaine, le ministre de l’intérieur a multiplié les déclarations péremptoires... mais fausses, qu’il s’agisse du profil des « casseurs » dans les manifestations, des BRAV-M, des munitions tirées à Sainte-Soline ou des secours empêchés sur place. Le Conseil d’État vient de qualifier un de ses propos d’« erroné ».

Matthieu Suc

29 mars 2023 à 19h16


Un homme est en danger de mort. Samedi 25 mars, des incidents éclatent lors de la mobilisation contre la mégabassine de Sainte-Soline. Un observateur de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et un médecin présents sur la base arrière de la manifestation, où ils assurent le suivi des opérations à distance, téléphonent aux pompiers du département des Deux-Sèvres, puis discutent avec un opérateur du Samu.

Les secours ont été bloqués au moment d’intervenir malgré les alertes sur l’état de santé d’un manifestant (toujours entre la vie et la mort à ce jour). Un enregistrement – révélé par Le Monde et dont Mediapart a diffusé des extraits sonores – dévoile le contenu de la conversation. Les deux hommes insistent sur la situation en urgence vitale et la nécessité d’intervenir vite.

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Sur la répression des manifestations, les munitions tirées à Sainte-Soline ou les profils des casseurs, Gérald Darmanin a multiplié les déclarations péremptoires et fausses. © Photo illustration Sébastien Calvet / Mediapart avec Sipa et AFP

« On a eu un médecin sur place et on lui a expliqué la situation, c’est qu’on n’enverra pas d’hélico ou de Smur sur place, parce qu’on a ordre de ne pas en envoyer par les forces de l’ordre », répond l’opérateur du Samu. Celui-ci l’ignore, mais cette simple phrase vient apporter un implacable démenti à Gérald Darmanin.

Face à la polémique qui commençait à enfler – l’enregistrement n’avait pas encore été révélé par Le Monde et Mediapart –, le ministre de l’intérieur affirmait en effet lundi 27 mars : « Non, les forces de l’ordre n’ont pas empêché les secours d’intervenir. C’est les gendarmes et les secours qui ont été empêchés d’intervenir par certains casseurs. »

L'allocution du ministre de l'intérieur après la tragédie de Sainte-Soline © BFM-TV

Lors de cette même allocution, Gérald Darmanin va proférer deux autres mensonges qu’il sera contraint de démentir lui-même par la suite… « Non, les gendarmes n’ont pas lancé de LBD en quad. Seules des grenades lacrymogènes ont été tirées. Non, aucune arme de guerre n’a été utilisée par les forces de l’ordre à Sainte-Soline », martèle-t-il face aux caméras. Quelques heures plus tard, sur le plateau de « C à vous », il rectifie : « Il y a eu deux lanceurs de LBD, c’est totalement proscrit. Ils seront suspendus », professe-t-il à l’égard des gendarmes qui les ont utilisés depuis leur quad.

Par ailleurs, toujours ce même jour, Christian Rodriguez, le directeur général de la gendarmerie nationale, lui remet un rapport, depuis rendu public, tirant un « premier bilan des opérations d’ordre public » à Sainte-Soline. Il y est écrit que les gendarmes ont fait usage de 5 015 grenades lacrymogènes, de 89 grenades de désencerclement GENL et de 81 tirs de LBD (dont les deux depuis des quads). Or, comme le rappelle Amnesty International, les grenades de désencerclement et les LBD sont classées comme matériel de guerre selon le Code de la sécurité intérieure. Ces armes dites à « létalité réduite » sont susceptibles de blesser gravement et de tuer.

Dès les premières heures, les observateurs de la Ligue des droits de l’homme (LDH) avaient mis en cause « un usage immodéré et indiscriminé de la force sur l’ensemble des personnes présentes, avec un objectif clair : empêcher l’accès à la bassine, quel qu’en soit le coût humain ». Dans un point presse à 17 heures le jour même des affrontements, Gérald Darmanin avait tenu à apporter son « soutien total, absolu » aux gendarmes et revendiqué un usage de la force « proportionné ».

Le parquet de Niort a ouvert une enquête sur les circonstances dans lesquelles plusieurs manifestants, dont une jeune femme de 19 ans, ont été grièvement blessés. Et, à l’heure où ces lignes sont écrites, deux trentenaires sont toujours dans le coma.

Enfin, toujours à propos de son allocution, le ministre de l’intérieur a asséné : « Et non, les forces de l’ordre n’ont pas utilisé de lacrymogènes contre les individus blessés qui étaient en retrait. » Dans un entretien accordé à Mediapart, Marine Tondelier, la secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les Verts, dénonce cet énième mensonge de Gérald Darmanin. Elle était présente à Sainte-Soline, elle faisait partie des élus qui ont cherché à protéger les blessés et, selon son témoignage, les forces de l’ordre ont bien tiré des grenades lacrymogènes en direction de ceux-ci.

Un festival d’approximations et de contrevérités

Mardi, devant l’accumulation de révélations, le chercheur au CNRS Sebastian Roché, spécialisé dans les questions de sécurité, a souligné sur les réseaux sociaux qu’il y a « un sacré problème de manque de sincérité dans la communication du ministère de l’intérieur ». Les mensonges de Gérald Darmanin n’ont rien d’un épiphénomène. Le locataire de la place Beauvau multiplie depuis une semaine les contrevérités.

Cela a commencé dans la soirée du jeudi 23 mars. La manifestation du jour contre la réforme des retraites est perturbée, notamment à Paris, par plusieurs centaines d’individus vêtus de noir qui ont brisé des vitrines et du mobilier urbain. Ils ont aussi lancé des pavés, bouteilles et au moins un projectile incendiaire sur les forces de l’ordre. Plusieurs poubelles et trottinettes ont également été incendiées.

Le ministre de l’intérieur se rend à la préfecture de police de Paris où le préfet Laurent Nuñez lui fait un état de lieu. Les micros d’un groupe de journalistes sont ouverts dans une mise en scène calculée. Gérald Darmanin interroge le préfet de police sur le profil des casseurs.

On entend alors Laurent Nuñez répondre : « Des jeunes. Il n’y a pas eu de modifications des profils », comprendre par rapport aux précédentes manifestations durant lesquelles les personnes interpellées n’étaient pas connues pour un engagement politique ou radical, comme nous l’avait confirmé la préfecture de police quelques jours plus tôt. En tenue à côté du ministre, Jérôme Foucaud, le directeur de la Direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC), acquiesce à cette analyse livrée par le préfet de police. 

Gérald Darmanin enregistre et va, cette fois loin des micros, serrer les mains des autres policiers se trouvant dans la salle de commandement. Au bout de cinq minutes, il revient sur ses pas et fait face aux caméras pour répondre aux questions des journalistes.

Il s’en prend à ces « casseurs » venus « casser du flic » qui ont été interpellés. Interrogé sur leur profil, il explique d’abord que c’est trop tôt pour savoir… avant d’expliquer que c’est un « profil plutôt jeune, connu de l’ultragauche ». Gérald Darmanin se lance alors dans un discours confus dans lequel il associe ou mélange les concepts d’extrême et d’ultragauche. Il parle de « la bordélisation » voulue « par l’extrême gauche ». Il affirme ensuite : « Nous avons pu documenter que l’ultragauche est derrière cette violence » avant de conclure une phrase plus loin que la « violence est organisée par l’extrême gauche »

Cette assimilation de tout un pan de la gauche parlementaire à l’insurrection présente un avantage politique évident mais ne correspond en rien au résumé que viennent de lui faire le préfet de police et le directeur de la DOPC.

A-t-il été informé que ses accusations ne résisteraient pas à la réalité des faits ? Le lendemain, sur le plateau de CNews, Gérald Darmanin abandonne son antienne sur les casseurs d’ultragauche pour parler à la place de « black bourges »« des enfants de bonne famille qui font ça, qui se griment en noir, et qui vont attaquer des Burger King, des McDonald’s, une bijouterie ».

Mensonges sans conséquence

Ce n’est pas tout. Vendredi 24 mars en fin d’après-midi, Le Monde, suivi de Loopsider et Mediapart, publie un enregistrement dans lequel on entend des fonctionnaires des brigades de répression de l’action violente motorisée, les BRAV-M, insulter, menacer et infliger des coups à des jeunes interpellés dans le IIIe arrondissement de Paris en marge d’une précédente manifestation contre la réforme des retraites. 

Laurent Nuñez, le préfet de police de Paris, se dit « très choqué » et annonce la saisine de l’IGPN, la police des polices. Interrogé lors de l’émission « C à vous », Gérald Darmanin affirme que bien que les policiers mis en cause dans l’enregistrement « n’[aient] pas été identifiés formellement », leur « section » ne sera pas « engagée » à la manifestation du 28 mars..

Manque de chance, le lendemain, le site StreetPress révèle, photos à l’appui, la présence de ladite section, la 21e CI . Cela obligera la préfecture de police à répondre que « les fonctionnaires mis en cause dans le cadre de l’enregistrement […] n’étaient pas engagés aujourd’hui sur le dispositif ». Ce qui est soit un nouveau mensonge ou alors la preuve que les fonctionnaires fautifs avaient bien été identifiés... 

Toujours la semaine dernière, lors d’une visite à la caserne de police Bessières, dans le XVIIe arrondissement de Paris, Gérald Darmanin avait assuré que toute participation à une manifestation non déclarée constituait un « délit » méritant « une interpellation ». Le Conseil d’État a déploré mercredi 29 mars le « caractère erroné » de ces propos du ministre, considérant que ses déclarations relayées sur son compte Twitter étaient « regrettables »… « Ni l’article R. 644-1 du Code pénal, ni aucune autre disposition légale ou réglementaire n’incrimine le seul fait de participer à une manifestation non déclarée », avait tranché la Cour de cassation, plus haute juridiction de l’ordre judiciaire, dans un arrêt du 14 juin 2022. 

Si l’on résume : Gérald Darmanin a professé des contrevérités à propos des secours non empêchés, des LBD tirés par les gendarmes en quad, de l’usage d’armes de guerre à Sainte-Soline, il en a dit d’autres à propos du profil des casseurs et de la présence des BRAV-M, enfin il modifie à sa guise le Code pénal. Le ministre de l’intérieur est peut-être mal informé. Ou alors il entretient une relation élastique avec la vérité. Un élément de réponse se trouve, sans nul doute, dans un passé assez récent.

Quatre jours après la finale gâchée de la Ligue des champions, le ministre de l’intérieur avait ainsi justifié, au Sénat, la situation chaotique devant le Stade de France par l’afflux de « 30 000 à 40 000 » supporters britanniques sans billets ou munis de faux billets. Cette foule aurait submergé les stadiers et les forces de l’ordre agissant de concert pour filtrer et canaliser les accès. Il avait insisté sur une « fraude massive, industrielle et organisée de faux billets »

Trois semaines plus tard, l’UEFA lui apportait un cinglant démenti. Il n’y a eu que 2 600 faux billets et l’instance européenne d’expliquer qu’elle ne croit pas au « chiffre mentionné » par le premier flic de France, qui n’a été désavoué par personne à Matignon ou à l’Élysée.




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