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mardi 10 janvier 2017

Hollande, Gayet, Ayrault... Les confidences d'Aquilino Morelle

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Hollande, Gayet, Ayrault... Les confidences d'Aquilino Morelle

BONNES FEUILLES - C'est le livre qui va semer le trouble parmi les socialistes. DansL'Abdication, Aquilino Morelle, ancien conseiller politique de François Hollande et témoin privilégié du quinquennat, raconte comment une somme de renoncements a conduit à la renonciation. Extraits exclusifs.

Aquilino Morelle, ancien conseiller politique de François Hollande et témoin privilégié du quinquennat. (Eric Dessons/JDD)

Promesses, "mensonge" et "trahison" 

Pendant deux ans et demi, le Président a fait semblant de conduire la politique pour laquelle il avait été élu, celle présentée et détaillée dans le discours du Bourget. Il a singé le volontarisme, mimé le patriotisme, simulé une politique de lutte contre la finance spéculative jamais engagée, proclamé à répétition une réorientation de l'Europe sans cesse repoussée. Toute une chorégraphie politique destinée à donner le change. En vain. Intelligent, très intelligent, le peuple français possède une longue et riche culture politique, ancrée dans l'histoire tumultueuse de la plus vieille nation d'Europe ; et, s'il est désabusé, il est déniaisé de longue date : il a rapidement compris, au bout de six mois, que toute cette mise en scène n'offrait qu'un seul spectacle - pas seulement celui de l'impuissance, mais celui de l'impuissance voulue et consentie, cette impuissance singulière qui porte le nom d'abdication.
A son monarque républicain, comme à ses prédécesseurs, le peuple français aurait été prêt à pardonner bien des choses : son manque de charisme, ses palinodies, son irrésolution, ses doutes, sa malchance météorologique, ses frasques amoureuses. Mais pas son abdication. On ne se choisit pas un souverain démocratique, on ne convoque pas quelque 45 millions de Français afin qu'ils élisent un roi, pour voir ensuite celui-ci déposer, paisiblement, benoîtement, au bout de seulement quelques mois, sans explication et avec le sourire, le pouvoir qu'on vient de lui confier.

«Dès septembre 2012, les citoyens ont saisi que de changement, il n'y aurait pas ; ni maintenant, ni après»

Une abdication, dissimulée - maladroitement - derrière un simulacre de changement : voilà ce que les Français ne peuvent pardonner à François Hollande, voilà la cause profonde et irrémédiable de leur rupture avec lui, une rupture consommée très vite. […] "Le changement, c'est maintenant" : tel avait été l'engagement. Or, dès septembre 2012, les citoyens ont saisi que de changement, il n'y aurait pas ; ni maintenant, ni après, ni aujourd'hui, ni demain, ni jamais. Puis, au fil des mois, compris que l'homme choisi par eux avait d'autres intentions, qu'il leur avait cachées ; qu'il était en mouvement vers une destination qui n'était pas celle qu'il leur avait indiquée. […]
Plus que d'une trahison, il s'agissait là d'un mensonge, un triste et banal mensonge. Pas un mensonge nécessaire, utile, un mensonge rendu inévitable par le cours de l'Histoire, conçu pour le bien du peuple, le mensonge que peut être amené à endosser un grand politique, face à la nudité de l'événement, pour sauver ce qui doit l'être, tel le général de Gaulle à Alger, levant les bras au ciel pour assener un "Je vous ai compris!" que chacun pouvait comprendre à sa guise. […] Pas un mensonge nécessaire mais un mensonge utilitaire, un mensonge pour se protéger soi-même, un mensonge pour continuer à mentir, un mensonge pour seulement gagner, un mensonge pour berner le peuple et non pour le sauver. Pas un mensonge politique, un mensonge politicien. Un mensonge désormais éventé.

Florange, "la journée de dupes"

[Fin 2012, après avoir affronté en tête-à-tête le PDG d'ArcelorMittal, François Hollande prend le parti de Jean-Marc Ayrault dans le bras de fer qui l'oppose à Arnaud Montebourg, partisan de la nationalisation des hauts-fourneaux de Florange.]

Certes, le Président se montre tranchant dans le ton ; mais face au mur de glace, lisse et froid, qu'oppose Mittal, il n'a pas prise. Surtout, à aucun moment il n'ose franchir le pas et évoquer la solution préconisée publiquement par son ministre. Emmanuel Macron, alors soutien - au moins en apparence… - de la nationalisation provisoire, nous commentera l'attitude du Président, le soir même, dans le langage fleuri qu'il affectionne en privé : "A aucun moment, Hollande n'a évoqué la nationalisation devant Mittal. Pas une seule fois. Ce soir-là, il a baissé son bénard." La réunion dure un peu plus d'une heure. Mittal n'a cédé sur rien. […]
[Montebourg, fou de rage, veut démissionner. Ayrault l'appelle]

«Violent, très violent. Il n'a pas laissé Ayrault en placer une et l'a exécuté»

- Oui, Jean-Marc. Je sors du bureau du Président. Non, je n'ai pas encore pris de décision. Mais une chose est sûre. Ce que tu as fait est inadmissible. Tu t'es couché devant Mittal et tu as enterré la promesse de Hollande. C'est lamentable. Ah, tu fais un beau général! Non seulement tu laisses tes soldats monter seuls au front, mais tu envoies ta propre aviation nous mitrailler dans le dos! Tu es tout juste bon à présider le conseil municipal de Nantes… Et encore! Quand je pense que toi qui n'es même pas capable de te dépêtrer de ton histoire d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes, tu t'es permis de débiner Serin [le repreneur qu'envisageait Montebourg] ! Alors qu'il allait mettre 400 millions d'euros pour reprendre Florange! Mais c'est un vrai patriote, lui, pas comme toi!
Assis sur un canapé, Emmanuel Macron est plongé dans la contemplation studieuse de la tapisserie qui lui fait face ; quant à Christian Gravel [alors conseiller en communication du Président], il scrute avec une attention soutenue le tapis de sol qui étale ses franges à ses pieds.
- Ce que je vais faire? Je ne le sais pas encore. Je vais voir. Tu le sauras en regardant le journal télévisé ce soir.
Il raccroche et se tourne vers nous.
- Comme ça, vous pourrez dire que vous y étiez… Allez, j'y vais. Aquilino, on se parle tout à l'heure?
Il s'en va, nous laissant interloqués. Je me dirige vers le bureau présidentiel.
- Alors, comment ça s'est passé? me demande Hollande en levant un regard inquiet vers moi.
- Mal. Très, très, très, très mal.
- C'est-à-dire?
- Violent, très violent. Il n'a pas laissé Ayrault en placer une et l'a exécuté.
- Il est parti?
- Oui, à l'instant.
- Tu sais ce qu'il a en tête?
- Non, il n'a pas encore décidé.
- Garde le contact avec lui. Je vais l'appeler après le déjeuner et voir d'ici là ce qu'on peut faire.
Dans l'après-midi, à la demande du Président, le Premier ministre fera diffuser un communiqué rendant hommage au ministre du Redressement productif et saluant le travail par lui accompli. Quelques lignes qui n'abuseront personne, en guise de réparation symbolique. Le soir, interrogé par Claire Chazal, Arnaud Montebourg annoncerait, combatif, qu'il ne démissionnerait pas. Le troisième homme de la primaire est ainsi demeuré au gouvernement, et moi dans le bureau à côté de celui du Président. Mais les choses ne seraient plus jamais ce qu'elles étaient auparavant. Ni pour le Président, ni pour lui, ni pour moi.

L'inéluctable limogeage d'Ayrault

En cet automne 2013, changer de Premier ministre était devenu une priorité […]. Gauche et droite confondues cette fois, la colère des Français se voyait alimentée quotidiennement par le spectacle d'un gouvernement approximatif et à la peine. Chaque jour apportait son lot de cafouillages, de confusions, de cacophonie, aboutissant à une forme de crise gouvernementale larvée. L'impression donnée était celle de l'inexpérience politique, du flottement dans la ligne suivie, de l'impréparation des décisions, de la maladresse en termes de communication, de la désinvolture personnelle, du manque de solidarité collective. Bref, de l'amateurisme.
Alors que sa vocation était de rassurer, le gouvernement inquiétait. Alors que sa responsabilité était d'en diriger l'action, le Premier ministre hystérisait le gouvernement.
Conséquence de ce grand gâchis gouvernemental, le président de la République se trouvait de plus en plus directement exposé. Pour la première fois dans l'histoire de la Ve République, le chef de l'Etat était ainsi devenu le bouclier de son Premier ministre. Renversement politique contre nature, qui ne pouvait persister ni rester sans conséquence. Des entretiens réguliers avec les divers responsables d'instituts d'opinion qui nourrissaient ma réflexion, et dont je faisais part scrupuleusement au Président, un même constat émergeait : à l'automne 2013, avoir franchi de tels seuils d'impopularité au bout seulement de dix-huit mois d'exercice du pouvoir condamnait presque certainement toute perspective de rétablissement. Tout était dans le presque, bien entendu. De fait, les choses paraissaient irrémédiablement compromises, à moins… A moins d'un changement politique et symbolique très fort. Qui ne pouvait être, au moins dans un premier temps, que le départ du Premier ministre, même si l'échec politique était partagé. […]

Pour Matignon, "tu laisses en blanc"

[Au lendemain du désastre des municipales de mars 2014, François Hollande tergiverse quant au nom du successeur de Jean-Marc Ayrault]
Le lundi 31 mars, nous nous retrouvâmes de très bonne heure.
Il me passa commande du texte de l'allocution qu'il prononcerait le soir même, à 20 heures, afin d'annoncer aux Français les enseignements et les actes que lui avait inspirés la correction politique que ces derniers venaient de nous infliger. Après avoir discuté du fond du message et du ton à utiliser, je lui posai la seule question qui valait :
- Et qui dois-je indiquer comme Premier ministre?
- Personne. Tu laisses en blanc, lâcha-t-il de façon ostensiblement détachée.
- En blanc?
- Oui, en blanc.
- Très bien, lui répondis-je en souriant, et aussi tranquillement qu'il m'avait donné son indication sibylline.
Tôt dans la matinée, le Président reçut d'abord Manuel Valls. Immanquablement, leur entrevue débuta par la formule rituelle : "Dans l'hypothèse où…", et se termina sans qu'une décision explicite fût annoncée à l'impétrant. Celui qui était encore ministre de l'Intérieur pour quelques heures vint ensuite, entre amusement et agacement, partager sa perplexité avec moi.
- Alors?
- Alors, je ne suis pas sûr. Il est tout de même incroyable. Il m'a demandé de réfléchir à un nouveau gouvernement et de me tenir prêt "au cas où", mais il ne m'a pas dit : "Je vais te nommer à Matignon." Il est vraiment curieux.
Arriva un peu plus tard l'échéance tant redoutée par le Président, le moment du face-à-face avec Jean-Marc Ayrault. De fait, le Premier ministre ne vint pas lui remettre sa démission, loin de là. Il trouva même des arguments tirés de la déroute que nous venions de vivre pour justifier, selon lui, son maintien à Matignon, faisant montre par là d'une forme d'impavidité et de ténacité qui, sans aller jusqu'à forcer l'admiration, témoignaient néanmoins d'un certain caractère. De son côté, le Président ne lui fit pas part de ses intentions réelles – peut-être parce qu'il n'en avait pas encore.
Après le déjeuner, nous nous remîmes au travail. Vers 17 heures, le texte était prêt. Mais ne comportait toujours pas le nom du nouveau Premier ministre. Respectant la consigne jupitérienne, j'avais laissé libre un espace, là où le nom du bienheureux élu devait figurer. La salle des Fêtes était prête, l'équipe de techniciens aussi, il était temps d'enregistrer l'allocution. J'en informai le Président qui me demanda de lui remettre la dernière version, à laquelle il apporta quelques ultimes amendements ; puis, après avoir relevé la tête et planté ses yeux dans les miens durant plusieurs secondes, de sa petite écriture et à l'encre bleue, il inscrivit les mots "Manuel Valls" dans l'espace laissé vide à cette fin et me tendit les quatre feuilles en me disant : "Voilà, c'est fait."

Le "choc des photos" de Closer

Le lundi 6 janvier 2014, vers midi, je reçus l'appel d'un journaliste important ; il m'informait que l'hebdomadaire Closer publierait, dans son édition du vendredi suivant, des photographies qui ne laisseraient plus de doute sur l'existence de la liaison du Président. Catégorique, il me précisa même qu'il tenait cette information de l'entourage de Nicolas Sarkozy qui, selon lui, "s'en pourléchait d'avance les babines". Rentré de déjeuner, un second coup de téléphone d'un de ses confrères confirma la teneur de cette première révélation. […] Il fallait prévenir le Président. Nous le fîmes immédiatement.
Le coup était rude ; il l'encaissa presque sans sourciller, étonnamment calme, reculant son fauteuil vers la cheminée pour nous lancer un regard un peu triste, où se lisait une certaine résignation. Que faire? Rien. Ou si peu. […] Le Président continuait à travailler, à écrire, à recevoir, à présider - le Conseil des ministres, des réunions avec ses collaborateurs. Il donnait parfaitement le change, en dépit de la rumeur qui enflait ; il se préparait intérieurement à ce "choc" qui ne serait pas que rhétorique cette fois - le "choc des photos". Arriva le jour fatidique, le jeudi 9 janvier. […] Vers 20 heures, le Président convoqua une réunion en comité restreint, afin d'envisager la réaction à adopter etles éventuelles suites judiciaires à donner à une publication désormais imminente. Nous étions là pour l'entourer autant que pour le conseiller. Toujours maître de lui, d'apparence tranquille, on avait peine à croire qu'il savait devoir affronter, dans quelques heures, quelques minutes, à la fois une tornade politique et médiatique et un séisme intime.

«Quand le brouhaha de la conversation lui accorda un court instant de répit et qu'il releva les yeux sur moi, la tristesse de son regard était insondable»

[…] Fatigué d'attendre et d'entendre le secrétaire général répéter la même rengaine depuis le début de la soirée - "avec la disparition des Renseignements généraux, il n'y a plus moyen de disposer des journaux avant leur parution" -, j'informai le Président de mon intention de joindre le ministre de l'Intérieur. Notre entretien fut bref et sa conclusion nette et précise : le préfet de police de Paris allait m'appeler incessamment. Ce fut chose faite quelques minutes après ; il allait "se débrouiller", l'exemplaire me serait porté à l'Élysée et remis en main propre par son chauffeur personnel dès qu'il aurait "mis la main dessus".
Une vingtaine de minutes plus tard, la voiture que je guettais depuis le vestibule du premier étage pénétra dans la cour du palais et s'immobilisa devant le perron. L'enveloppe me fut remise ; je vérifiai son contenu ; elle comportait bien l'exemplaire fatal accompagné d'une carte renseignée de la main du préfet de police. Je retrouvai le cénacle réuni autour de la petite table ronde du bureau du Président ; je lui remis le magazine ; il le prit en main, donna l'impression de le soupeser, l'examina avec une sorte de soulagement, l'ouvrit, le parcourut, le commenta avec un détachement qui me laissa pantois - il semblait qu'il s'agît d'un autre, qu'il connaissait bien certes, mais un autre. Par moments, son appréciation se faisait presque technique : la qualité des images, le contenu des commentaires, l'impression générale dégagée par le reportage. Le spécialiste de la presse décortiquait avec précision le travail de ceux qui l'avaient piégé. Mais quand le brouhaha de la conversation lui accorda un court instant de répit et qu'il releva les yeux sur moi, qui me tenais debout à son côté, la tristesse de son regard était insondable, celle d'un homme seul et conscient du gâchis qu'il avait causé comme de l'épreuve qui l'attendait. […]
Tous, nous laissâmes le Président seul, passer les appels téléphoniques personnels que la situation imposait. Il était plus de 1 heure du matin quand il poussa la porte de mon bureau et s'assit pour échanger quelques phrases, "poser son sac", comme il le faisait souvent - il était bien lourd, cette fois. Puis, avec un soupir, il se leva et sortit par la porte qui donnait sur la charmante petite pièce d'où l'on accédait à son appartement privé ; je l'accompagnai. Là, il se retourna et m'embrassa pour prendre congé. Ce n'était pas le chef de l'État qui m'étreignit alors, mais un homme pour qui l'heure était venue d'affronter sa responsabilité et d'aller dire la vérité à la femme qui l'aimait et qui partageait sa vie. Un homme que je n'ai jamais autant que cette fois-là, dans la nuit et le calme trompeur de l'Elysée, cru être mon ami.

Le président à l'isolement

«Tu rentres dîner en famille… Quelle chance tu as. Si tu savais comme je t'envie…»

A la solitude du chef de l'Etat, François Hollande ajoutait la sienne propre, celle de l'homme, liée à ses choix de vie ou aux actes posés par d'autres ; solitude plus terrible encore, car l'exercice du pouvoir, pour froid et dur qu'il puisse être, grandit celui qui l'exerce dans le même temps qu'il répond à son appel intérieur. Une première fois, au mois de septembre 2012, la vision de ce qu'était devenue sa vie m'emplit de tristesse. Il était tard, un vendredi, et je m'apprêtais à rentrer chez moi où j'étais attendu. Comme chaque soir, j'allai le saluer et le trouvai presque dans la pénombre, le vaste salon doré tout juste éclairé des deux lampes de travail posées sur son bureau. Quand je lui annonçai mon départ, en me lançant un regard désolé il ne put s'empêcher de soupirer : "Tu rentres dîner en famille… Quelle chance tu as. Si tu savais comme je t'envie…"
Bien souvent, plus tard, c'est encore seul que je le verrais, attablé devant le journal télévisé d'une chaîne d'information continue ou bien un match de football, n'ayant pas même pris le temps ou la peine de rejoindre son appartement privé ; spectacle affligeant que celui de ces mets fins, de ces crus de qualité choisis dans de bons millésimes, servis sur un plateau d'argent, dans la porcelaine de Sèvres et le cristal, synonymes d'amitié, de conversation, d'échange, de gaieté et de rire, mais réservés à un seul convive. Celui-là qui n'a personne avec qui partager son repas peut bien être président, il n'est qu'un malheureux.
dimanche 08 janvier 2017
 
   
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