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mardi 3 décembre 2024

LSDJ (La Sélection du Jour) < -Médias Edward Bernays : le père de la propagande moderne - Mercredi 3 décembre 2024

 

La Sélection Du Jour
03 Décembre 2024 - N°2336

Médias

Edward Bernays : le père de la propagande moderne

Image : Le couple Doris E. Fleischman et Edward Bernays à son arrivée en France le 7 mars 1923. (Wikimedia Commons)
Les termes ont changé, mais les techniques restent les mêmes. De la « publicité ciblée » au « marketing », du « storytelling » à la « communication », notre époque est saturée de pratiques qui reçoivent tous types de noms sauf celui qui leur correspond vraiment : « propagande ». À l'origine de cette mécanique d'influence, un nom : Edward Bernays (1891 – 1995). Le comprendre, c'est prendre du recul vis-à-vis d'une réalité à laquelle plus personne n'échappe.

Le Time Magazine le classe parmi les 100 personnalités américaines les plus influentes du XXe siècle. Joseph Goebbels le lisait crayon en main. Bernays est pourtant loin d'être le seul à l'origine de la propagande moderne (citons Walter Lippmann). Son coup de maître – en quoi il surpasse tous ses concurrents – aura été de s'imposer aux yeux de la postérité comme le « père de la propagande moderne ». Le mot « propagande » est-il trop connoté ? Sur le conseil de sa femme, il ne parlera plus que de « relations publiques ».

Incroyable coup du destin, Bernays est le neveu de Freud ! En dépit du mépris de son oncle pour son activité, il a sans vergogne exploité cette prestigieuse ascendance pour forger sa légende. Né austro-hongrois, il est naturalisé américain à un an. Sa trajectoire épouse ensuite l'émergence de la société de consommation et le triomphe de l'image sur l'écrit. En 1928, il théorise sa pratique dans Propaganda. Il postule l'existence d'un « inconscient collectif ». Les masses sont irrationnelles. Il faut, pour les dominer, s'appuyer sur leurs désirs les plus primaires et leur instinct grégaire. 

Contrairement aux régimes autoritaires, la démocratie ne contraint pas, du moins… en apparence ! Voilà pourquoi elle offre le cadre idéal à la propagande. Tout l'art du propagandiste consiste à diriger les désirs du consommateur ou de l'électeur de sorte que ce dernier prenne son désir fabriqué pour authentique. L'opération est réussie lorsque celui-ci est convaincu d'agir librement. Dans les faits, il suit la mode. Chacun se croit différent, mais chacun veut la même chose… La soumission parfaite est invisible et indolore. C'est la fabrique du consentement. Sans elle, estime Bernays, la démocratie sombrerait dans le chaos.

Le père des relations publiques doit ses techniques à la commission Creel (1917), première expérience de propagande massive et généralisée. Alors même que Wilson avait été élu sur le thème de la paix, elle est parvenue en moins d'un an à faire accepter l'entrée en guerre à une opinion isolationniste. Affiches, tracts, documents sonores, films, caricatures, discours publics… Tous les moyens ont été employés. Bernays en tire la conclusion que « si l'on peut utiliser la propagande pour la guerre, on peut certainement l'utiliser pour la paix ». 

Il se présentait fièrement comme l'homme ayant imposé dans les mœurs la cigarette aux femmes et le petit-déjeuner américain. Au début des années 1920, une femme qui fume est mal vue. Engagé par l'American Tobacco, Bernays fait de la cigarette un symbole féministe. Avec le soutien de médecins, il la vend comme produit minceur et organise à New York un défilé de jeunes femmes fumant des « torches de la liberté », faisant d'un produit nocif un symbole d'émancipation ! Pour vendre le petit-déjeuner « eggs and bacon », il reprend sa méthode. Il s'entoure de figures d'autorité « désintéressées ». Il demande à 5 000 médecins si un repas matinal plus copieux profiterait aux Américains. Des milliers approuvent, et Bernays lance une campagne médiatique de masse. Les ventes de bacon s'envolent. Ces deux coups illustrent sa philosophie : cliver, organiser des événements spectaculaires, mobiliser des figures d'autorité et manipuler l'idée de progrès pour ouvrir de nouveaux marchés. La publicité transforme non seulement les mœurs, mais les mentalités d'une société tout entière.

Exemple de l'utilisation des méthodes de Bernays portées à un degré d'efficacité inégalé : Apple. Son essor inexorable débute avec l'iMac, premier PC disponible en couleur. Avec pour slogan « Think different », Steve Jobs vantait moins les qualités techniques que les valeurs qu'Apple prétendait incarner : la rébellion contre le conformisme, la créativité contre la routine, le futur contre le passé. Apple devient une religion avec son messie (Steve Jobs), ses temples (les Apple Store), ses messes (les lancements de produits spectaculaires en direct dans le monde entier, les fameux keynotes) et ses adeptes, convaincus d'appartenir à une communauté d'élite. Fidèle à Bernays, Apple utilise des leaders d'opinion. Oprah Winfrey, reine du talk-show outre-Atlantique, n'a-t-elle pas déclaré que l'iPad était la meilleure invention du siècle ? 

À l'ère des réseaux sociaux mondialisés et du marketing numérique, l'esprit de Bernays règne, invisible, mais omniprésent. On « reproche » souvent à Netflix de faire de la propagande progressiste. Netflix, dont le fondateur n'est autre que Marc Randolph… le neveu de Bernays ! Quand on sait que Bernays considérait le cinéma de divertissement comme le moyen de propagande le plus efficace…

Aujourd'hui, les algorithmes forgent les préférences individuelles, les influenceurs « lifestyle » façonnent des tendances mondiales. La logique grégaire s'étend à la planète entière. À chaque élection, comme dans les rapports internationaux, la guerre cognitive bat son plein. 

Avec une puissance sans précédent, la mécanique reste inchangée : faire résonner des idées en écho, manipuler des figures d'autorité et travestir la soumission en émancipation en jouant sur les émotions. Le but est le même : obtenir le consentement volontaire des masses au profit d'une élite de décideurs. Qui influence vos choix ? Y réfléchir, c'est s'en affranchir... un peu !


 

Maximilien Kopriwa

Propaganda, la fabrique du consentement

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