Aux États-Unis, le wokisme a ses partisans, mais aussi ses opposants, jusqu'ici organisés en groupes de réflexion, de blogs et de conférences. Cette année, un groupe de professeurs a lancé une nouvelle université, la « University of Austin », pour défendre la liberté de pensée et le débat.
L'état des universités américaines inquiète aux États-Unis, tant les courants dits « woke » sont présents dans les revendications des étudiants et les programmes d'enseignement et de recherche. Pour contourner ce phénomène, des professeurs de toutes disciplines, soutenus par des sponsors, ont fondé l'université d'Austin, ou UATX, dans le Texas. Depuis le lancement du projet en 2020, l'université a récolté 200 millions de dollars, une somme considérable pour une institution dépourvue d'un réseau d'alumni. Pour la première rentrée de UATX, au mois de septembre 2024, 92 étudiants ont répondu présent. Parmi les principaux sponsors de l'université, on trouve le trader Jeff Yass, le promoteur immobilier et milliardaire Harlan Crow et l'investisseur Len Blavatnik. Harlan Crow est certainement l'une des figures les plus connues du trio. Républicain engagé, il a donné jusqu'à 5 millions de dollars au Parti républicain. Il est par ailleurs connu pour sa proximité avec le juge conservateur de la Cour suprême américaine, Clarence Thomas, à qui il a financé quelques voyages coûteux.
Les meilleures universités américaines ont connu cette année des crises sans précédent depuis mai 1968. Le déclenchement de la guerre entre Israël et le Hamas, à la suite des attentats du 7 octobre 2023, a été un tournant majeur. Le soutien d'une partie des étudiants et des professeurs à la cause palestinienne a entraîné avant l'été des semaines de blocages et de grèves. Par ailleurs, les polémiques successives sur les propos et pratiques antisémites sur les campus universitaires de l'Ivy League — Harvard, University of Pennsylvania (UPenn) et Massachusetts Institute of Technology (MIT) — ont abîmé l'image de ces universités auprès des Américains et de certains pays étrangers. Dans ce contexte, la présidente de l'université de Harvard, Claudine Gay, puis celle de UPenn, Liz Magill, ont d'ailleurs démissionné. La menace de retirer leurs fonds, brandie par plusieurs sponsors en désaccord avec le tournant pris par leurs anciennes universités, a été décisive. Parmi eux, on trouve les milliardaires juifs new-yorkais Bill Ackman et Marc Rowan, deux anciens de Harvard et de UPenn, ce qui a fortement déstabilisé la hiérarchie de leurs anciennes universités respectives.
L'université d'Austin aspirerait à être un havre de paix, où étudiants et professeurs seraient préservés du wokisme et de la « cancel culture ». Le terme « woke » dérive du verbe « awaken », « éveillé » en français. Le verbe était utilisé par les milieux afro-américains dans le contexte de la lutte contre les discriminations raciales, dès la fin du XIXe siècle. Puis, dans les années 1930, le terme « woke » s'est répandu dans les milieux afro-américains avant d'apparaître dans un article du New York Times en 1962, toujours en référence à la lutte afro-américaine contre la ségrégation et les discriminations. À la fin des années 2000, le concept s'est élargi à toutes les personnes éveillées et attentives aux discriminations, notamment contre les droits sociaux. En 2014, le mouvement Black Lives Matter, organisateur des manifestations de Ferguson, a généralisé l'usage du terme « woke » dans le langage médiatique. Puis, à partir de 2015, le « wokisme » en tant qu'idéologie s'est répandu au Canada, au Royaume-Uni et en Europe continentale avec un élargissement du terme à la vigilance sur toutes les formes : raciales, sexistes et sexuelles (LGBTQI+). Les universités américaines ont été touchées par cette idéologie, caractérisée par l'accentuation de la discrimination positive lors de la sélection des étudiants à l'entrée, jusqu'à l'interdiction de certains cours et à l'exclusion d'étudiants ou de professeurs au discours ou à l'enseignement contraire aux principes du wokisme. Ces pratiques furent qualifiées par les partisans et les opposants au wokisme de « cancel culture », deux termes devenus péjoratifs aujourd'hui.
L'objectif affiché de UATX est de remettre la liberté de débat et d'enseignement au sein de l'institution. Dans ses vidéos de présentation sur YouTube, l'université texane a mis en contraste les manifestations propalestiniennes sur les campus américains avec des témoignages des premiers étudiants de l'université, désireux de débattre librement de leurs opinions. Le message de fin d'une des vidéos est radical : « Ils brûlent, nous construisons. » Dans son discours d'inauguration, le président de l'université, Pano Kanelos, a qualifié les étudiants et l'université de « pionniers » et de « héros ». Il a poursuivi : « Ce qui est réellement héroïque [...] est ce qui dirige le cours de l'histoire et des vies vécues dans le courant de l'histoire, dans une direction autre que celle vers laquelle elles [les autres universités] tendaient. »
Malgré un financement important, des sponsors et des professeurs prestigieux, dont l'historien Niall Ferguson, UATX doit faire face à des difficultés inhérentes au lancement d'écoles et d'universités. Elle ne possède pas encore d'accréditations officielles et ne pourra les obtenir qu'après que sa première promotion aura obtenu son diplôme, d'ici deux ans au minimum.
Max George
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