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dimanche 23 juin 2024

Rue 89 avec L'OBS - Dimanche 23 juin 2024

 

Dimanche 23 juin 2024

Mais pourquoi je regarde « les Chroniques de Bridgerton » ? J’avoue, j’ai craqué. Après avoir abandonné l’année dernière au milieu de la deuxième saison, au bord de l’overdose de niaiserie, j’ai replongé quand Netflix a diffusé la troisième, le 12 juin dernier. J’étais alors en pleine crise de « démo-anxiété », post-annonce de dissolution, et après avoir passé plusieurs heures devant les chaînes d’info à constater l’inexorable montée des idées d’extrême droite en France, j’ai eu un moment de faiblesse. Les psychodrames de la haute société anglaise du XIXe siècle, les décors en carton-pâte, les robes chichiteuses et les cupcakes flashy me sont apparus comme un doux refuge. Résultat : au terme d’un binge watching compulsif, « les Chroniques de Bridgerton » s’est révélé un puissant anxiolytique.

Et pas seulement pour la capacité de la série à changer les idées. Mais parce que cette troisième saison met en lumière des personnages de femmes que l’on voit peu à l’écran – ou en tout cas rarement sous cet éclairage. Il est en effet assez inédit, aujourd’hui encore, que dans une fiction mainstream, une jeune fille qui ne fait pas une taille 36 soit filmée comme un corps sensuel, aussi désiré que désirant. Ainsi, les scènes de sexe entre l’emblématique Penelope et je-ne-dirai-pas-qui (pour ne pas tout spoiler) mettent en valeur la beauté de ses courbes voluptueuses. Et surtout, elles opèrent un fascinant renversement des codes habituels : c’est sur son corps à elle que l’on devine les signes de la montée du plaisir, et c’est bien elle – et non le Pygmalion – qui cherche activement et finit par trouver toute seule le chemin vers la jouissance. Et il est assez réjouissant qu’une série à large audience offre à ses spectateurs l’occasion d’être érotisés par une femme aux mensurations si éloignées des canons de beauté traditionnels.

Alors oui, l’intrigue de la série est cousue de fil blanc. Oui, les anachronismes piquent les yeux. Oui, les enjeux narratifs sont d’une nunucherie inégalée. Et pourtant, « les Chroniques de Bridgerton » ont sauvé ma semaine.

Anna Topaloff

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Pour commencer cette histoire d’amitié par le début, voici le premier épisode.

Canicule oblige, avec mes potes, on passe la semaine en vase clos, un peu comme dans le « Loft » de M6, autour de notre piscine Airbnb. Entre deux ploufs, j’envoie mes exploits aquatiques à Mehdi, (c’est le prénom du mec du RER) qui ne cesse de me répéter : « Profite ! » Lui ne prend pas de vacances. Il travaille dans une brasserie sur les Grands Boulevards, à Paris. Par la suite, Mehdi changera souvent de job, mais ça, c’est plus tard. Pour l’heure, je tue la monotonie des jours, rythmés par les missions au Leclerc (qui a l’avantage d’être climatisé) et les corvées domestiques (faire des salades melon-pastèque-fêta pour douze ; courir après les gamins pour leur étaler de la crème solaire), en discourant sur Instagram avec Mehdi. Lorsqu’il me surprend en train de pianoter sur mon écran, mon mari ne se gêne pas pour me tancer : « Donc, tu vas passer toutes les vacances sur ton téléphone ? » Comme s’il s’adressait à une ado accro à TikTok.

Je me fiche pas mal de ses reproches. Je cristallise à fond, comme dirait Stendhal. Tout, chez Mehdi, me ravit. Au-delà de nos badineries, j’aime son infinie gentillesse, son enthousiasme à tous crins, son humour imparable et, par-dessus tout, les vidéos de ses dingueries dans le RER B (j’ai dû mater cent fois celle où on le voit remonter une rame avec une chauve-souris empaillée sur l’épaule, provocant des cris épouvantés chez les passagères). Mon cœur bondit dans ma poitrine le matin quand je reçois son premier message de la journée, du style : « Comment va la vacancière mdr ? » (cela ne vous aura pas échappé, Mehdi ponctue chacune de ses phrases par « mdr »). L’après-midi, c’est plutôt « Alors, ça bronze mdr ?? » Ce à quoi je réponds : « Mec, à côté de moi, t’es allemand. »

Le premier jour, à peine débarquée, je lui ai fait faire le tour du propriétaire. Après avoir découvert notre villa à 5 000 euros la semaine, Mehdi m’a enregistré un vocal en prenant la même voix enjouée que celle des annonces RATP : « La Mission patrimoine confiée à Stéphane Bern contribue à la sauvegarde du patrimoine français dans toute sa diversité. » J’ai pouffé de rire au milieu du salon tandis que les autres s’écharpaient pour l’attribution des chambres. C’est un peu à cause de Mehdi si j’ai hérité de la plus chaude, sous les combles.

Pendant que l’on préparait l’apéro, Mélody s’est approchée pour me demander pourquoi j’étais constamment sur mon téléphone (décidément, cette semaine, je suis placée sous haute surveillance). Mon mari, avec un mauvais accent du Sud-Ouest : « Parce qu’elle a rencontré quelqu’un, la drôle ! » Face aux six paires d’yeux qui me fixent, je me suis sentie obligée de leur raconter mon coup de foudre amical dans le RER B (lire l’épisode précédent). Avant de passer à un autre sujet (la préparation d’une tarte à la tomate), Mélody a décrété que j’allais vite me rendre compte que je n’avais rien en commun, si ce n’est le mode de transport, avec mon nouvel ami.

Après le dîner, pendant que les filles dansaient sur les Rita Mitsouko, j’ai écrit à Mehdi « tfq » pour « Tu fais quoi ». Il m’a envoyé un selfie de lui dans le RER B en précisant « Lieu de rencontre mdr :)) » Il partait taffer au resto. Je lui ai demandé s’il en avait fait d’autres des rencontres, depuis la nôtre. Il m’a rassurée : « Bien sûr que non, après je cherche pas mdr :)) ». Quand ont résonné les premières notes de « DKR » de Booba (« C’est pas le quartier qui me quitte/C’est moi j’quitte le quartier… »), je me suis levée spontanément pour rejoindre la piste. Mélody a exigé qu’on mette un Céline Dion.

Les jours suivants, je me suis levée aux aurores, c’est-à-dire à l’heure où les bébés commencent à brailler dans les lits parapluies, pour aller courir. Chaque matin, j’avale des kilomètres de bitume en ligne droite avec la house de Mehdi dans les oreilles. Portée par son beat, je fends les pins noirs plongés dans la brume. A ce train-là, je pourrais aller jusqu’à l’océan. Faire demi-tour devant le fronton du village me coûte à chaque fois un peu plus. Faute d’avoir réussi à dépanner le robot de la piscine, qui a viré vert fluo, je passe mes après-midi étendue nue sur mon lit, face au ventilateur. Dans ma torpeur, impossible de lire ni même de réfléchir. A Mehdi qui me demande « Alors, tu kiffes mdr ? », je réponds laconiquement « Bof, j’ai envie d’être à Paris ». Pour trouver le sommeil, je me surprends à compter les dodos qui me séparent de la fin de cette colocation.

« J’ai passé la nuit à cogiter sur les relations hommes-femmes »

Hier soir, n’y tenant plus, j’ai lancé le fameux « Appel à un ami » de l’émission « Qui veut gagner des millions ? » en la personne de Gabriel, mon autoproclamé meilleur ami gay avec qui j’ai couché une fois, bourrée, au lycée. Quand je le joins, Gab est alité dans une cabine de bateau quelque part en mer Egée, foudroyé par une sciatique. Il m’entreprend : « Meuf, c’est l’angoisse t’as pas idée. » Je lui sers les banalités d’usage en rassemblant le maigre savoir que j’ai sur la sciatique (pas grand-chose) mais Gab me coupe net. Ce n’est pas sa sciatique qui le préoccupe. Il a flashé sur un des mecs du bateau, marié, comme lui. Ils se sont chopés l’avant-veille alors qu’ils faisaient escale à Mykonos. Mais depuis, le gars fait comme si rien ne s’était passé. Pire, il l’évite. Pour le coup, je ne sais trop quoi lui conseiller, j’ai toujours été nulle en infidélité. A la place, je l’update sur le Mec du RER. Sur un ton douloureux, il gémit : « Je crois qu’il n’y a rien de pire que de se faire “friendzoner”. »

Après avoir raccroché, j’ai tapé par curiosité le mot « friendzone » dans Google. Un article du magazine « Psychologies » la définit comme un « déséquilibre relationnel majeur » où « une personne est amoureuse de son ami sans aucune réciprocité ». La psy interviewée ajoute qu’une telle relation « fait souffrir l’amoureux […] qui attend que l’autre change d’avis ou se rende à l’évidence ». Redoutable sagacité des psys des magazines. J’ai basculé sur le forum Urban Dictionary, ma bible en matière de développement personnel, sur lequel un certain PineappleMan écrivait, en 2014 : « Un mot qui décrit une peur terrible, pétrifiante... La mort. La friendzone se situe juste avant l’enfer. Les hommes et les garçons y sont envoyés quand ils sont rejetés par une femme à qui ils ont offert leur amour et leur soutien. » Plus loin, Cakenub illustrait cet état par un court dialogue très éloquent :
Garçon1 : « Elle m’a dit que j’étais trop important pour elle pour qu’elle prenne le risque qu’on se mette en couple. C’est fort. »
Garçon 2 : « Mec, t’es trop stupide. Tu viens de te faire “friendzoner”. »

J’ai réfléchi à ce que je ressentais pour Mehdi. J’ai fait défiler nos échanges depuis le début :
Moi : « J’aime bien ton son ! Par contre ton nom d’artiste ça va pas du tout !
MDR : – T ki mdr :)) ?
Moi : – Ah ouais… T’es amnésique ma parole.
MDR : – Bah je t’avoue je suis un peu fonfon mdr.
Moi : – La meuf du RER… »

C’est émouvant les débuts. Même s’ils sont récents, on ne cesse de s’émerveiller devant le miracle qui nous a fait nous rencontrer. Ce qu’il y a de bien aussi avec les débuts, c’est qu’ils demeurent toujours mystérieux, insaisissables. Et bon, pour être tout à fait honnête, dans la brume de mes débuts avec Mehdi, un truc, vraiment tout minus, m’a paru ambigu. Lundi, il a couronné une story de moi en maillot de bain d’un emoji flamme en ajoutant : « La photo est archi flow ! Mes respects, mdr :)) » Dans la foulée, il a supprimé sa photo de profil où il apparaît avec sa copine pour en mettre une autre, en mode BG. J’ai fini par éteindre la lumière sous la pression des moustiques tigres. J’ai passé le reste de la nuit à cogiter à propos des relations hommes-femmes et à rallumer pour les exploser à coups d’espadrille.

Le samedi, on a fait le check-out de la maison, réparti les cubis de rosé, chargé les coffres, attaché les gosses dans les sièges-auto. Devant le portail, on s’est embrassés, donné l’accolade, promis d’aller boire des coups à la rentrée. Tandis que l’on remontait le sentier avec mon mari et mes enfants dans notre voiture de location, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai écrit à Mehdi : « Bon alors, on se voit quand ? »

A suivre...

temoignagesrue89@gmail.com

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