Salué comme un succès par l'Ukraine mais décrié par la Russie et boycotté par la Chine, le bilan du « sommet pour la paix en Ukraine » qui a eu lieu en Suisse est plutôt mitigé. Quelque 80 pays participants ont signé la déclaration finale. Les abstentions sont néanmoins bien plus révélatrices, surtout en ce qui concerne le « Sud global ».
Quelle a été l'utilité du « sommet pour la paix » qui s'est tenu récemment au Bürgenstock, en Suisse, au sujet de la guerre en Ukraine ? Le président ukrainien Volodymyr Zelensky l'a certes salué comme un premier pas vers une résolution du conflit, remerciant plus de 80 pays et organisations internationales qui ont signé le communiqué final. Le Kremlin a cependant jugé « proches de zéro » les résultats de cette rencontre où la Russie n'était pas invitée et à laquelle elle n'a pas souhaité participer. Quelques jours auparavant, Moscou avait présenté ses propres conditions pour la paix, interprétées par l'Ukraine et de nombreux participants au sommet comme un simple ultimatum à Kiev. La Russie a notamment exigé le retrait des troupes ukrainiennes de territoires encore sous leur contrôle comme condition préalable à un cessez-le-feu.
Avant même le début du sommet suisse, il était clair que rien de concret ne pourrait être réalisé sans la Russie ou la Chine, cette dernière ayant décliné l'invitation au motif que les Russes n'étaient pas invités. La stratégie à Bürgenstock a donc été de construire une coalition internationale aussi large que possible mais autour d'objectifs très limités. Dans le cadre du respect de la Charte de l'ONU, le sommet a insisté sur l'inviolabilité de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de tout État, y compris l'Ukraine. Le communiqué a notamment ciblé trois questions :
- La nécessité de garantir la sécurité des installations nucléaires en Ukraine (dont la centrale de Zaporijjia) et l'inadmissibilité de l'utilisation ou de la menace d'utilisation d'armes nucléaires dans la guerre contre Kiev.
- La nécessité de garantir la sécurité du transport des produits alimentaires ukrainiens par voie maritime (question surtout importante pour les pays en voie de développement).
- L'échange complet des prisonniers de guerre et le retour des civils ukrainiens illégalement déplacés et détenus, en particulier les enfants.
Parmi les signataires du communiqué figurent plusieurs pays dont la position à l'égard de l'Ukraine et de la Russie était jusqu'à présent ambivalente, comme la Hongrie, la Slovaquie, la Serbie et la Turquie. Malgré cette avancée, le fait le plus marquant du sommet, qui a suscité le plus de commentaires des analystes, est probablement le refus de 13 pays représentés à Bürgenstock de signer le communiqué. Parmi eux se trouvent des acteurs mondiaux majeurs du groupe élargi des BRICS : Inde, Brésil, Afrique du Sud, Arabie saoudite et Émirats arabes unis, ainsi que le Mexique et l'Indonésie.
Quelles étaient les motivations pour ces refus ? L'Afrique du Sud a cité la présence d'Israël parmi les signataires, l'accusant d'hypocrisie en soutenant l'Ukraine (Pretoria a porté plainte devant la Cour internationale de Justice pour le comportement d'Israël dans la bande de Gaza). D'autres pays ont motivé leur refus de signer par l'absence de la Russie, même si on ne peut réduire leur attitude à un soutien pur et simple à Moscou — sur le modèle de la Corée du Nord par exemple. Tout indique que ces nations ont plutôt agi par pragmatisme, cherchant à rester en contact à la fois avec l'Occident et avec la Russie pour des raisons politiques et économiques. Elles semblent aussi prudentes, attendant de voir l'évolution de la situation au front pour ne pas se ranger du côté du perdant.
Le Brésil a été l'auteur avec la Chine d'une proposition de négociations de paix, esquissée en mai et vue favorablement par Moscou. Elle comporte des points similaires au communiqué du Bürgenstock au sujet de la sécurité nucléaire et de l'échange de prisonniers, sans toutefois faire référence à l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Cette initiative brésilienne et chinoise semble cohérente avec les efforts des BRICS pour développer des partenariats court-circuitant l'Occident. Ils visent à accélérer la fin de son hégémonie mondiale au profit d'un monde multipolaire. Cette démarche passe au moins en partie par une sorte de réactivation du mouvement des « pays non-alignés » de la guerre froide, caractérisé par un anticolonialisme qui l'a parfois rapproché du bloc soviétique. Cependant, comme l'a récemment souligné Christophe Ventura de l'IRIS à propos de l'Amérique latine, il serait trop simpliste de considérer le « Sud Global » comme un bloc unifié. Certains pays voient la guerre en Ukraine à travers un prisme anticolonial qui les oblige à se distancer des positions occidentales par principe. D'autres en revanche, sympathisent avec Kiev, considérant l'Ukraine comme la victime d'une agression coloniale de la part de Moscou. C'est le cas du président du Ghana Nana Akufo-Addo (déclaration à Bürgenstock).
Le sommet pour la paix en Suisse n'a peut-être pas apporté grand-chose en termes de résolution du conflit sur le terrain. Reste à voir si un deuxième sommet conviant la Russie et la Chine verra le jour. Toutefois, les participants en Suisse ayant été poussés à prendre position sur la guerre en Ukraine, ce sommet aura certainement mis en lumière des tendances de fond en matière de relations internationales. Et ce sont elles qui risquent bien de façonner les années à venir.
Peter Bannister
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