Hélène et Yannick se sont mariés, ont eu trois enfants, puis ont divorcé. C’était dans les années 1990, quand l’époque était moins conciliante avec les bricolages intimes. Pourtant, ils n’ont jamais cessé de faire des efforts pour que leur vie reste la plus douce et heureuse possible. Jusqu’à ce que la mort les sépare.
Qui ?
Hélène : 65 ans, orthophoniste retraitée
Yannick : orthophoniste, décédé il y a deux ans, à 65 ans
La rencontre amoureuse
J’ai rencontré Yannick à la fac d’orthophonie. On y était tous les deux étudiants et un jour, alors que je sortais de l’université avec une copine, on est tombées sur lui. Comme mon amie le connaissait, on a commencé à se parler. J’avais une grande maison en carton sous le bras (notre projet de fin d’année à l’école), il m’a dit qu’elle était belle et je crois qu’on est tout de suite tombés amoureux. Dès lors, on est sortis ensemble et on a vécu une vie très gaie. On avait énormément de points communs, les mêmes goûts, les mêmes hobbies. On adorait danser ensemble et on sortait souvent. Moins d’un an après notre rencontre, on s’est mariés, puis nos trois enfants sont nés.
Se séparer…
On était heureux, mais au fil des années tout s’est un peu compliqué et des tensions sont apparues. En réalité, il était en dépression et a entamé une psychothérapie pour en sortir. C’est grâce à ce travail qu’il a compris qu’il était attiré par les hommes. Ce coming out n’a pas été sans heurts. A la maison, il était tourmenté, mentalement absent. Je crois que tout était compliqué pour lui : il était très amoureux de moi, mais sentait aussi qu’il ne pouvait pas fuir son destin, qu’il avait quelque chose à vivre.
Un jour de septembre 1992, il a donc fini par tout m’avouer et m’annoncer qu’il souhaitait, à regret, me quitter. Sa phase exacte fut : « Si j’avais vraiment le choix, je choisirais d’être avec toi. » A l’époque, je me souviens avoir pensé ouvrir notre couple mais on vivait dans une petite ville et, dans notre milieu, s’autoriser de telles libertés était inenvisageable. Aujourd’hui, je pense que ce serait différent. On a donc pris la décision de se séparer, mais on est quand même partis en vacances, à Venise. Là, on a vécu une véritable semaine en amoureux, comme si de rien n’était et on a fait l’amour pour la dernière fois. Puis on est rentrés en France et on s’est quittés pour de bon.
… et tout reconstruire
Il a d’abord fallu encaisser cette nouvelle situation, que j’ai ressentie comme un changement de statut. Avec Yannick, on était beaux et jeunes, on travaillait dans le même cabinet où on avait des jobs passionnants : notre couple était envié par tout le monde et soudain, les gens sont tombés des nues. D’un point de vue narcissique, j’ai aussi dû digérer son changement de bord. C’était un peu humiliant qu’il parte avec un homme : tout aurait été, je pense, plus simple s’il était parti avec une femme.
Dans le même temps, je ne me voyais pas bouleverser notre vie, ni celle de nos enfants. Il n’a jamais été question qu’ils ne voient plus leur père, par exemple. Notre plus petit garçon avait 4 ans, on avait une maison qu’on n’avait pas fini de payer, un lieu de travail commun – et surtout, on s’aimait beaucoup. Je ne voulais pas entrer en guerre avec Yannick. Nous entendre et faire équipe n’était pas une option, mais la seule voie envisageable. Yannick est devenu le frère que je n’avais jamais eu, mon confident et on a continué à beaucoup rire et à se raconter nos vies.
Un mois après notre rupture, on a fêté l’anniversaire de l’un de nos fils ensemble. Ensuite est arrivé le premier Noël et là encore, on s’est retrouvés. Mes parents, qui trouvaient cette situation farfelue, ont refusé de se joindre à nous. Je leur ai dit : « Tant pis pour vous. » Et notre vie s’est organisée comme ça, en douceur. Nous avons tenu le coup et avons passé toutes les fêtes de famille ensemble, avec nos enfants. Quand je partais en vacances, Yannick prenait les enfants, mais aussi le chien et le chat.
Assez rapidement, je me suis remise en couple et lui aussi. On se voyait avec nos compagnons. Même si ce n’était pas toujours simple. Les difficultés qu’on a rencontrées sont d’ailleurs venues des « pièces rapportées ». Yannick était à cette époque en couple avec un homme avec qui tout se passait très bien. Mais de mon côté, mon partenaire était très jaloux. Il ne comprenait pas notre relation de fraternité. Comme il était lui-même en guerre avec son ex, notre situation ne lui était pas intelligible. Des années plus tard, à une fête, j’ai eu la chance de rencontrer mon compagnon actuel. Il était très ami avec Yannick, avant même que je ne le rencontre, et nous sommes devenus une belle famille agrandie.
Avec Yannick, nous n’avons jamais divorcé. Un jour, je lui ai demandé s’il pensait qu’on devrait faire, ne serait-ce que pour qu’il puisse se marier avec son compagnon. Il m’a répondu : « On ne se marie qu’une fois dans une vie. » En vérité, je crois qu’il ne voulait pas rompre le lien entre nous. Après notre séparation, j’ai enlevé mon alliance tout de suite, mais lui l’a gardée très longtemps. Par affection pour moi, bien sûr, mais pas seulement : à une époque où l’homosexualité était moins acceptée, notre lien le sécurisait. Et qu’importe si aux yeux de ceux qui aiment les situations carrées, nous étions des originaux. Nous avons gardé la même salle d’attente jusqu’à notre départ à la retraite et certains nouveaux patients pensaient que nous étions frère et sœur.
La mort de Yannick
Cela va faire deux ans aujourd’hui que Yannick est décédé d’un cancer. Je savais qu’il était malade, mais pour me préserver, il ne m’a pas prévenue tout de suite que c’était la fin. Plus aucun traitement ne fonctionnait. Il a attendu le dernier moment, dix jours avant son décès, pour me téléphoner et me dire qu’il était à l’hôpital. Je l’avais alors vu une semaine avant et je voyais bien qu’il n’était pas en grande forme, mais je n’avais pas compris qu’on en était là. Pendant ces dix derniers jours, j’ai essayé d’être présente un maximum, lui rendant visite très régulièrement.
Le jour de sa mort, je me suis rendue à l’hôpital avec son compagnon. On a choisi ensemble les vêtements qu’on allait lui mettre dans son cercueil. Après sa mort et ses funérailles, j’ai ressenti un immense chagrin, comme si j’avais perdu mon frère. J’ai dû prendre des anxiolytiques.
Pourquoi ça a marché ?
Ces dernières années, mon fils traverse lui-même une séparation difficile. Avec son histoire, je comprends que réussir à bien s’entendre après une séparation n’est pas donné à tout le monde. L’être humain est complexe : chacun a sa propre histoire, son propre chemin et il faut surtout très bien se connaître pour se comprendre et s’entendre. Il faut aussi avoir confiance en soi, pour accepter que l’autre refasse sa vie et soit heureux.
Avec Yannick, je crois qu’on a réussi ce challenge parce qu’on avait tous les deux beaucoup travaillé sur nous. Lui avait fait cette thérapie qui l’a amené à comprendre son homosexualité, et moi, j’avais fait une analyse personnelle et didactique. Peut-être avions-nous des armes que d’autres n’ont pas…
Aujourd’hui
Aujourd’hui, on peut parler de Yannick de façon joyeuse avec les enfants. Il a une place dans nos cœurs à tous. Il m’arrive encore d’avoir des réflexes que j’avais de son vivant. Par exemple, je viens d’être grand-mère pour la quatrième fois. Après le coup de fil de mon fils, m’annonçant que la petite sortait de la néonatalogie et que tout allait bien, l’espace d’une seconde, je me suis dit qu’il fallait que j’appelle Yannick.
Je m’étais toujours imaginé qu’on deviendrait des petits vieux et qu’on vieillirait ensemble. Je sais que certaines personnes n’ont pas compris notre proximité. Mais l’essentiel, pour moi, c’était que tout le monde soit heureux, et surtout nos enfants. Aujourd’hui, ils sont adultes et me remercient. Ils ont compris que nos arrangements leur ont permis de mener une vie plus douce qu’elle n’aurait pu l’être. Entre nous, jamais le respect mutuel et l’affection n’ont disparu et je suis très fière de ce qu’on a construit ensemble.
temoignagesrue89@gmail.com
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