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samedi 22 juin 2024

L'actualité littéraire hebdo avec BIBLIOBS - vendredi 21 juin 2024

 



BibliObs

Vendredi 21 juin 2024

Le chef de l’Etat a parlé : dissolution de l’Assemblée nationale. C’était un soir où l’on s’apprêtait à décortiquer les résultats des élections européennes et peut-être à profiter de quelques secondes de soulagement à l’idée que l’extrême droite ne progresse pas dans tous les Etats-membres. Mais Emmanuel Macron a tiré la couverture à lui. Panique générale. Dans dix jours maintenant, il faudra faire un choix alors que plane la menace brune. Maelström d’émotions. Peut-être que le seul objet culturel à saisir le présent est « Vice-Versa 2 », le film d’animation qui donne corps à nos sentiments. Comme chez son héroïne, l’ado Riley, Anxiété a posé ses valises dans nos cerveaux. Et pour de bon.

Emmanuel Macron s’autoproclame depuis 2017 « maître des horloges ». Si on le prend au sens le plus littéral, il y est parvenu. Le président a dissous le temps. Mais les montres qui lui obéissent sont celles des tableaux de Dalí : molles, difformes, inquiétantes. Nous sommes en sursis. Nous n’entendons rien d’autre que le tic-tac du compte à rebours qui prendra fin le 7 juillet. Dans « Chants d’adieu » (Bayard), Denise Riley parle d’une « étrange sensation d’avoir été retirée du temps, comme une naufragée échouée en pleine lumière ». Des mots si justes pour qualifier l’état de sidération actuel, bien que la comparaison soit malvenue. Car dans ce court récit, l’écrivaine britannique décrit son paysage intérieur après le décès brutal de son enfant. Sommes-nous en deuil ? Et si oui, de qui, de quoi ? D’une République plus juste ? D’un président qui ne nous tordait pas le bras ? Qu’est-ce qui est mort au juste le 9 juin ?

Anecdotique sans doute, mais la décision d’Emmanuel Macron intervient à une période où la temporalité est déjà étrange pour les journalistes littéraires. C’est le moment-charnière où nous regardons à la fois vers l’arrière et vers l’avant. Arrière : ces romans parus depuis le mois de janvier que nous continuons d’évoquer. Avant : la rentrée littéraire qui se profile. Mais tout ceci a-t-il un sens ? Comment se projeter dans des œuvres qui ne portent pas la marque des résultats du 9 juin ? On voudrait pouvoir lire des livres qui s’écriraient en temps réel, des phrases qui nous éclaireraient sur la situation. Or les auteurs semblent eux aussi pris dans la paralysie générale. Seules émergent quelques tribunes timides.

Faut-il plutôt chercher l’évasion à travers la littérature ? Lecture qui m’a comblée ces derniers temps : « La Femme aux mains qui parle », novella de Louise Mey (Au Diable Vauvert). L’histoire d’une jeune femme aveugle, sourde, muette, qui vit seule au sein d’un grand domaine. Les « chiens du dehors », comme elle les appelle intérieurement, la protègent contre les vrais prédateurs − les hommes. La merveilleuse Louise Mey, qui avait déjà signé le polar « Petite sale » (JC Lattès), a cette capacité à créer des personnages de femmes fines, qui parviennent à tirer leur épingle du jeu. Quelques minutes après avoir refermé le livre, je tombe sur le programme rétrograde du RN sur les droits des femmes. Dur d’échapper au réel en ce moment.

Amandine Schmitt

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