Dois-je censurer l’ado que j’étais ? C’est la question que je me suis posé en recevant le 11 septembre dernier un communiqué de presse de l’agence d’Anne Vaudoyer. Celui-ci n’avait rien à voir avec mon champ d’expertise actuel – l’éducation – mais, pour une fois, je n’ai pas maugréé et appuyé sur le petit bouton poubelle. Mon œil est resté accroché au nom « Ruth Orkin » apparaissant en incipit du message.
L’espace d’un instant, grâce à cet envoi en masse de Mme Vaudoyer que finalement je remercie chaudement, je me suis en effet retrouvé plongé dans les vapeurs romantiques de mon adolescence. Depuis exactement trois décennies, « American girl in Italy », œuvre iconique de la photographe américaine Ruth Orkin, trône dans ce qui fut ma chambre d’enfant. Ma mère a refait toute la déco mais le port altier et intrépide de Ninalee Craig, étudiante shootée par sa copine Ruth au milieu d’une composition de mâles italiens, dont l’attitude alterne entre l’égrillard et le concupiscent, est toujours là, dernier vestige de ma jeunesse avec ma collection de « Scrameustache » et de « Tuniques bleues ».
Il y a quelques années, en pleine tempête Me Too, l’interview (que je ne retrouve plus) d’un curateur français (dont je ne me souviens plus du nom) m’avait crûment interpellé. Ce monsieur expliquait s’être rendu compte grâce à des visiteuses à l’œil aiguisé que l’œuvre qu’il exposait constituait une apologie, ou du moins une présentation complaisante de la « culture du viol » sévissant sous nos latitudes. Ayant l’esprit volontiers woke (mais pas tout le temps), j’ai interrogé l’image, ai songé un temps à la décrocher avant de me dédire considérant que je n’avais aucunement le droit de censurer a posteriori l’ado que je fus avec ses qualités et ses défauts.
Le communiqué m’a confirmé dans cette intention. Non seulement la photographe, loin d’avoir sombré dans les oubliettes de la cancel culture, fait l’objet d’une grande exposition à la Fondation Cartier-Bresson à Paris. Mais « American Girl in Italy », à en croire la presse américaine, possède de nombreux défenseur.es qui, dans l’attitude de Ninalee Craig, ne voient aucunement de la peur mais plutôt un défi hautain au patriarcat tout puissant.
Sans réécrire l’histoire, je crois que c’est bien ce mélange de classe, de self-control et de témérité face à la meute qui avait accroché mon œil d’adolescent. Etonnamment, « American girl in Italy » reste d’ailleurs l’un de mes idéals féminins trente ans plus tard. Puis-je l’assumer ouvertement ?
Gurvan Le Guellec
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