A quel âge commencent les concours de bateaux ? C’est la question que je me suis posée hier en observant l’action qui se déroulait dans un petit bassin, triomphant entre un monument aux morts et un stand de barbe à papa, sur la grande place d’une ville moyenne.
Vers 15h45, un premier duo père-fils fait son entrée. L’enfant, qui semble avoir entre 3 et 6 ans, dépose un catamaran miniature sous le regard fier de cet adulte qui l’encourage. Le vent s’engouffre dans les voiles du jouet, le petit garçon fait le tour du bassin en courant pour rattraper son navire de l’autre côté. Puis, deux autres enfants, en marinière, entrent en scène. Sans la délicatesse du premier, ils balancent un yacht télécommandé au milieu de l’ovale en béton. La version Polly Pocket de cet artéfact pour milliardaires fait de la houle et le bruit d’un scooter débridé.
Le premier petit garçon n’est plus fier, il est submergé par la jalousie (Instagram n’a rien inventé). Incapable de revenir à sa réalité, il plante dans le granit la coque en bois de son engin, sans quitter des yeux celui de ses voisins. Le père tente mollement de remporter cette bataille perdue d’avance : « Regarde, ton bateau, comme il avance… » Il se maudit, maintenant, d’être ce bobo qui n’achète que du bois. Les propriétaires du yacht s’en rendent compte. Du haut de leurs trois pommes, ils jubilent. Le petit garçon au catamaran, lui, ne tient plus. Honteux de son jouet vintage qui subit les caprices du vent et n’a pas l’option marche arrière, il baisse la tête et s’en va. Lui succède alors dans l’arène aquatique un bolide au bec affûté, peinture chromée comme dans un James Bond.
Le yacht et la flèche noire se tournent désormais autour dans une fiévreuse natation synchronisée passive-agressive. Puis, une petite fille qui passe par là trempe dans l’eau une feuille de chêne. « C’est interdit ! », lui aboient dessus les propriétaires de bateaux.
Il y a dans ce bassin un cours de géopolitique, une leçon de philosophie et un bon vieux concours de bateaux. Il semblerait qu’il n’y ait pas d’âge pour voir des masculinités, même naissantes, s’affronter à la manière d’un match de MMA (finalement avorté) entre Elon Musk et Mark Zuckerberg.
Barbara Krief
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