Le livre s’appelle « Bien trop petit », il est signé d’un écrivain jeunesse éprouvé, Manu Causse. Il s’adresse aux ados. Il parle de sexualité, ce qui ne devrait pas être une surprise dans la collection « L’Ardeur » de l’éditeur Thierry Magnier. Celle-ci se propose en effet d’aborder « l’adolescence telle qu’elle est, avec ses zones d’ombre, ses excès, ses émotions exacerbées ».
« Bien trop petit » raconte l’histoire de Grégoire qui, après avoir subi, à la piscine, des remarques humiliantes sur la taille de son sexe, va se réfugier dans l’écriture d’une fiction contenant des scènes érotiques. Il va découvrir, comme nous l’avons tous fait, le pouvoir de l’imagination dans la construction de sa sexualité.
Lundi 17 juillet, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a interdit la vente de ce livre aux mineurs… c’est-à-dire à son lectorat naturel. Il se base sur une loi du 16 juillet 1949, qui prohibe dans les publications jeunesse tout « contenu à caractère pornographique ». Ce faisant, le ministre a assuré la meilleure publicité possible à « Bien trop petit », selon la loi désormais bien connue de « l’effet Streisand » : en 2003, l’actrice avait maladroitement cherché à bloquer en justice la diffusion sur le web d’une image aérienne de sa propriété, ce qui avait fait exploser sa propagation. « Bien trop petit » a été retiré des librairies, pour bientôt revenir avec un bandeau absurde : « Interdit aux mineurs ».
On pourrait donc rire de toute cette affaire, si elle ne trahissait pas les pulsions liberticides qui taraudent le gouvernement. S’il y a des gens que la « cancel culture » imprègne, ce sont bien ceux qui la dénoncent régulièrement. Comme dans les caricatures d’antan, sous les traits de « Madame Anastasie », la censure qui frappe « Bien trop petit » est à la fois puritaine, brutale et aveugle : elle ne voit pas que Thierry Magnier, avec sa collection l’Ardeur, cherche justement à se battre contre la surconsommation d’images pornographiques violentes par les plus jeunes. On est très loin, avec les livres doux de l’éditeur, de certains mangas ou ouvrages de « dark romance » surfant sur la culture du viol. Il s’agit au contraire d’apporter l’antidote à cette pornographie-là, et « d’irriguer la libido » des ados, pour reprendre les mots du Goncourt Nicolas Mathieu.
Sur Instagram, ce dernier a lancé une campagne contre la décision du ministre qui, dit-il, « bafoue le droit à la création » : « A 15 ans, on aime et on désire comme des dingues. La littérature a quelque chose à dire de ces états ». Il a eu une idée originale : sous le hashtag #WhenIwas15, il invite chacun à raconter ses troubles adolescents. Nos lectures intimes d’alors : combien elles ont pu nous faire du bien et nous aider à comprendre les bouleversements de nos corps. Cela donne de très émouvants récits. Ils seront peut-être un jour reliés et publiés. Dans une édition jeunesse, qui sait ?
Pascal Riché
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