« C’est quoi cette histoire avec Bastien Vivès ? » Pour la première fois en presque dix ans à suivre l’actualité de la BD, voilà que le neuvième art apparaît dans mon quotidien de manière inopinée. Dans les dîners, sur WhatsApp ou à la machine à café, des gens qui n’ont rien à voir, de près ou de loin, avec cette industrie, et qui, du reste, ne s’y intéressent pas particulièrement (c’est autorisé), ont eu vent des remous que traverse le Festival d’Angoulême. Est-ce à dire que la polémique autour du dessinateur de « Polina » et de « Petit Paul » est si singulière et complexe qu’elle transcende l’actualité généraliste ? Ou que la bande dessinée est enfin vue autrement que comme un vivier de petits plaisantins qui griffonnent sur les nappes au restaurant ? Comme un vrai milieu socio-professionnel qui charrie les mêmes problématiques que tout autre milieu socio-professionnel ?
Quoi qu’il en soit, la BD infuse là où on ne l’attendait pas. Hier apanage de la contre-culture, elle est aujourd’hui célébrée par des hautes sphères intellectuelles. Jugez plutôt : Benoît Peeters, tintinophile qui est aussi spécialiste de Derrida et de Paul Valéry, donne un cycle de cours passionnants, complets, drôles sur cette discipline dans le révéré Collège de France. Catherine Meurisse, ex de « Charlie Hebdo », a été officiellement installée à l’Académie des Beaux-Arts, où elle est la première dessinatrice de bande dessinée (depuis rejointe par Emmanuel Guibert). Elle y a découvert la passion secrète des académiciens : la BD. Elle nous confiait que Frédéric Mitterrand n’osait pas ouvrir « la Mort de Spirou » de Benjamin Abitan, Sophie Guerrive et Olivier Schwartz, tremblant à l’idée du sort réservé au fameux groom belge.
Nous avons réuni ces deux ambassadeurs sous la Coupole, pour un dialogue très riche où il est question des deux institutions, de l’histoire de la BD qui reste à construire, mais aussi de questions plus insolubles comme le statut précaire de l’auteur ou l’incontournable « affaire » susnommée. Et surtout, nous avons parlé de joie. De la joie de partager ce formidable médium avec le plus grand nombre. Cette gaieté, cette émotion et cette légèreté qui régnait lors de l’installation officielle de Meurisse au fauteuil n°6. A Angoulême, le cas Bastien Vivès est forcément dans tous les esprits, mais n’ébranle pas totalement l’émerveillement. Celui de s’offrir un peu de Julie Doucet grâce au distributeur de fanzines installé dans sa rétrospective. De recevoir Junji Ito, très aimable et poli devant ses dessins de massacres et autres métamorphoses immondes. De participer au concours « Poème en forme de gros nez » organisé par la maison d’édition l’Articho. Le Festival d’Angoulême est un événement qui doit assumer le fait d’allier rencontres artistiques et prix littéraires à une foire commerciale. Mais c’est aussi une fête.
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