Oserais-je dire « je » ? C’est la question que je me suis posée le dernier jour de l’année. Il faut dire que l’on m’a confié la délicate mission d’inaugurer la saison 2023 des newsletters du service Société Rue89, en pleine trêve des confiseurs, au moment où il ne se passe rien, ou plus précisément au moment où toutes les conditions sont réunies pour que nos sept chakras (il y en a bien sept, j’ai joué au Trivial Pursuit hier) soient fermés à la rumeur du vaste monde. La rédactrice en chef adjointe, toutefois, a été précise dans sa commande. Pas besoin de rebondir sur l’actualité. Il s’agira désormais de se saisir d’une anecdote du quotidien pour broder un propos existentiel en 2200 signes, pas un de plus (ma voisine de bureau propage depuis des années la légende que j’écris long). J’ai senti poindre dans ces précisions méthodologiques une suspicion sous-jacente vis-à-vis de l’ancêtre que je suis. Oui, je suis d’une génération ancienne (mais pas tant) où l’usage du « je » n’était pas commun, sinon proscrit. D’où la présence encore assez courante de ce « nous » de politesse dans les articles des journalistes de presse écrite de plus de 40 ans. Nous de politesse qui M’a toujours mis mal à l’aise. Pour son côté perruque et dentelle – le « nous » de majesté n’est jamais loin, et les gros melons dans les médias, itou. Mais aussi pour ce qu’il dit de la prétendue objectivité des journalistes, que les écoles de journalisme nous serinaient encore au début du siècle. Sous la férule de ma rédactrice en chef adjointe et de la non moins terrible Emilie Brouze, grande superviseure (visrice ?) de cette newsletter je fais donc ma conversion au « je ». C’est une mutation compliquée mais plutôt saine. Je ne renonce pas au principe du contradictoire qui fait la beauté de ce métier quand il est bien fait. J’éprouve une jouissance renouvelée à me frotter aux opinions adverses pour les décomposer ou mieux encore pour m’en trouver changé. En revanche, j’assume de ne pas parler depuis des limbes éthérés mais bien depuis un quotidien qui façonne mes ressentis, mes préoccupations et mes représentations. Cette newsletter a donc l’intérêt de rendre notre journalisme plus incarné, donc plus honnête, donc plus sérieux. C’est MON avis. Et bonne année. Par Gurvan Le Guellec |
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