Le dernier entretien avec Joan Didion, qui date de 2011, a été réalisé par le romancier Hari Kunzru. Hari lui avait rendu visite dans son appartement de l’Upper East Side. L’entretien avait été raccourci mais
le voici.
Joan Didion explique comment elle a écrit « Blue Nights », ou plutôt comment elle ne l’a pas écrit : « Je voulais écrire sur les enfants, (…) à ce moment-là, je me suis dit que j’avais de plus en plus de mal à écrire, et je me suis dit que je n’étais pas obligée de le faire, que je pouvais rendre l’argent à Knopf et ne pas le faire. J’ai donc pensé cela pendant quelques semaines, puis quelque chose d’autre m’est venu à l’esprit et je l’ai écrit, puis j’ai vu qu’il ne s’agissait pas totalement d’enfants, mais d’autres choses, comme le vieillissement, et j’ai continué. »
Elle a tourné pas mal en rond, ce qui semblait être le processus habituel dans son cas. Il ne s’agissait pas, il ne devait surtout pas s’agir d’aller directement au but. Marquer un but n’a jamais été l’objectif principal.
Son avant-dernier livre, « Blue nights », a été traduit en français par « Le Bleu de la nuit » (Grasset), mais quelque chose s’est perdu dans la traduction. Le bleu, ça faisait plus intello, mais en bonne intello de base, Didion était aussi bien autre chose, et le cadet de ses soucis était probablement d’apparaître comme une thésarde. Le titre, dit-elle, lui est venu comme ça (de manière non-intello donc). Elle commente/confirme : « Cela semble fou. Que vous commenciez un livre parce que vous avez pensé à deux mots qui vous rendent heureux. »
La pensée de Joan Didion, si souvent citée, si souvent érigée en absolu du journalisme littéraire, vaut d’être réévaluée à la baisse, pour la rendre à son hasardeuse ampleur véritable.
Mais voici que Hari entretient maintenant Joan (nous quittons là les sujets d’importance) des bagnoles californiennes au temps où elle vivait en Californie. Joan possédait une Corvette jaune − le nec plus ultra. Rouler en Corvette jaune, c’était vivre une sorte d’éternelle jeunesse, faite de drogue sans ingurgitation : il suffisait d’appuyer sur le champignon et on se sentait bien. Une jeunesse qui, on s’en souvient, prit fin à la mort du mari de Joan. Elle confirme/commente : « En fait, quand John est mort, pour la première fois j’ai réalisé à quel point j’étais vieille. Et cela a continué depuis lors. Quand j’ai abandonné la Corvette jaune, je l’ai littéralement abandonnée, je l’ai échangée contre un break Volvo. »
Ils rient. Hari et Joan. On imagine Joan qui rit dans son petit corps-squelette. « C’est une manœuvre assez extrême », commente joliment Kunzru. Et elle de répondre sur le même ton, presque britannique : « Le concessionnaire était déconcerté. » Mais son mari était mort, que voulez-vous. On ne roulerait jamais plus dans une voiture de midinette. La vie, désormais, ressemblerait à un vilain corbillard, une grosse berline scandinave pratique en cas de déménagement.
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