J’ai encore oublié le mot de passe. Élaboré en 27 caractères un jour de résolution vertueuse de protection de mes données, il s’avère trop performant pour ma mémoire trouée. Je recrée une formule lettres-chiffres-caractères spéciaux que j’espère, contre toute vraisemblance, plus durable que la dernière. La réservation AirBnB enfin effectuée, il est temps de payer… Mais d’abord, franchir le Pass Sécurité de l’appli bancaire. Je pianote sur le tableau de chiffres en désordre, je valide d’un clic las. C’est gagné… Pas si vite. Le vigile numérique fait du zèle : « Veuillez entrer le code de vérification reçu par SMS. » Je tapote 26… 98… 72… Elle est où, déjà, cette appli AirBnB ? Surprise ! Une épreuve bonus : identifiez les passages piétons qui se trouvent sur cette mosaïque de photos ! L’écran tangue, la migraine guette, un drôle de chagrin m’assaille. Bienvenue dans le jeu vidéo le plus nul du monde. Combien de temps, d’énergie mentale engouffrons-nous dans les dédales de ces déverrouillages successifs, à nous débattre avec les cylindres de ces serrures virtuelles ? Imaginons une seconde l’équivalent en live : votre placard, votre portefeuille, votre frigo, toutes vos denrées seraient verrouillées à triple tour, chaque jour. Jusqu’à votre mort de faim, par dépit, sur le sol de votre cuisine. J’en viens à éprouver une nostalgie rageuse quand je vois à l’écran Cary Grant acheter son billet de train du premier coup au guichet d’une gare auprès d’une hôtesse souriante, et pourtant aucune femme saine d’esprit ne voudrait vivre dans un film d’Hitchcock. Je sais que cette diatribe sonne boomer. Ne vous y trompez pas, j’adore les internets, et je défends la nécessité d’une bonne sécurité numérique. Je m’interroge, néanmoins, sur ses modalités. Je ne veux pas perdre cette vie sur terre à cliquer sur des photos floues de feux de signalisation ou à pêcher des codes à six chiffres dans mes spams. C’est médiocre. Donnez-moi de l’épreuve flamboyante façon Indiana Jones, des runes anciennes à déchiffrer, des fosses de serpents à franchir. Mettez du panache dans cette épopée du quotidien. Il est temps d’envoyer cet article, je rouvre le portail dédié, et vous le saviez avant moi : j’ai encore oublié le mot de passe. |
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