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vendredi 8 novembre 2019

Assistants parlementaires du MoDem : François Bayrou convoqué en vue de sa mise en examen - le 5.11.2019



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Assistants parlementaires du MoDem : François Bayrou convoqué en vue de sa mise en examen


Les juges soupçonnent le parti centriste d’avoir utilisé des crédits européens pour rémunérer des assistants parlementaires d’eurodéputés.

Par  et   Publié le 05 novembre 2019 à 14h18 - Mis à jour le 06 novembre 2019 à 09h21

François Bayrou, président du MoDem, le 17 octobre à Bruxelles.


François Bayrou, président du MoDem, le 17 octobre à Bruxelles. ARIS OIKONOMOU / AFP
L’affaire des emplois « fictifs » du MoDem sort brutalement de sa léthargie judiciaire. Les principales figures du parti centriste, Sylvie Goulard, Marielle de Sarnez et François Bayrou ont été convoquées « aux fins de mise en examen » respectivement les 2, 5 et 6 décembre. L’ouverture d’une procédure judiciaire avait entraîné, en juin 2017, la démission de M. Bayrou du poste de garde des sceaux, de même que celle de la ministre des affaires européennes, Marielle de Sarnez, et de sa collègue des armées, Sylvie Goulard. Ouverte le 19 juillet 2017 pour « abus de confiance et recel, escroquerie et détournement de fonds publics », l’information judiciaire a été confiée aux juges Charlotte Bilger, Bénédicte de Perthuis et Patricia Simon, qui veulent entendre au total quatorze personnes, entre le 15 novembre et le 6 décembre.
Parmi elles, huit personnalités du MoDem ayant siégé entre 2007 et 2019 au Parlement européen : outre Mmes de Sarnez et Goulard, il s’agit de Claire Gibault, Nathalie Griesbeck, Jean-Luc Bennahmias, Bernard Lehideux, Thierry Cornillet et Janelly Fourtou. Jean-Jacques Jégou, trésorier du MoDem depuis 2009, et son prédécesseur Michel Mercier, ancien garde des sceaux, sont également convoqués, fin novembre. Le MoDem est soupçonné d’avoir utilisé, depuis 2007, les crédits européens pour rémunérer des assistants parlementaires travaillant au service du parti.

Remboursement de 45 000 euros au Parlement européen

Au mois de septembre, Mmes Goulard – dont la candidature au poste de commissaire européen a été rejetée le 10 octobre par le Parlement européen – et de Sarnez, M. Bayrou et plusieurs anciens assistants parlementaires avaient été interrogés par les policiersLe Monde a pu prendre connaissance de leurs dépositions et des découvertes faites par les enquêteurs qui, en deux ans, ont accumulé témoignages accusateurs et documents troublants, même s’ils laissent la place à des marges d’appréciation.
Ils se sont notamment appuyés sur les déclarations de Corinne Lepage, députée européenne de 2009 à 2014, qui avait dénoncé publiquement l’existence d’un système d’emplois fictifs. Entendue comme témoin le 26 juin, Mme Lepage, qui a quitté le MoDem, a évoqué un document qu’elle aurait refusé de signer « puisqu’il était précisé que je devais mettre à disposition un assistant parlementaire au siège du MoDem, et je m’y suis opposée ». D’après Mme Lepage, les dirigeants du parti « n’étaient pas contents, cela a semé la zizanie, d’autres eurodéputés étaient plus souples que moi »« Marielle de Sarnez a dû marquer son mécontentement, a-t-elle ajouté. J’ai refusé de signer ce document après [avoir été] élue, et donc le parti n’avait pas de moyen de pression sur moi. »
Interrogée par la suite, le 10 septembre, Sylvie Goulard a été mise en difficulté sur le contrat d’assistant parlementaire consenti à Stéphane Thérou. Des doutes persistants entourent la nature du travail effectué depuis 2009 par M. Thérou, dont le bureau était situé… au siège du MoDem, à Paris. Selon Mme Goulard, « il faisait le lien avec les acteurs locaux : une association d’insertion, un patron, etc. ».
Au printemps 2014, M. Thérou – convoqué le 29 novembre par les juges – fait part de son souhait de partir dans le privé. A partir de ce moment, il aurait cessé de travailler pour le Parlement européen, estiment les policiers. Pourtant, Mme Goulard lui fait signer un nouveau contrat : « Il était prévu qu’il démissionne après quelques mois. (…) Mais cette période s’est révélée beaucoup plus longue que ce que Stéphane Thérou m’avait laissé entendre et même promis. » A la demande du Parlement européen, Mme Goulard a été contrainte de rembourser 45 000 euros brut, soit les sept mois de salaires versés à M. Thérou de juillet 2014 à février 2015. « J’ai finalement été très humaine dans cette affaire, peut-être trop », concède-t-elle.

Témoignages problématiques et note gênante

Impliquée à double titre dans la procédure en ses qualités de vice-présidente du MoDem et d’ex-députée européenne (de 1999 à 2017), Marielle de Sarnez a contesté devant la police judiciaire, le 12 septembre, avoir participé à la moindre malversation. Elle a notamment été questionnée sur les déclarations de Quitterie Delmas-de Villepin. Cette ex-assistante parlementaire de M. Lehideux et de Mme Fourtou du temps de l’UDF, ancêtre du MoDem, a assuré aux enquêteurs avoir travaillé uniquement pour ce parti, et non pour le Parlement européen.
« Ma supérieure hiérarchique était Marielle de Sarnez qui était numéro deux de l’UDF à ce moment-là », a même précisé Mme Delmas à la police judiciaire, en janvier. « Je pense que les faits dont vous me parlez sont faux, s’est agacée Mme de Sarnez. Tout le monde connaissait Quitterie Delmas à travers sa volonté d’être tête de liste aux élections européennes [en 2009] pour la région Centre, ce qui n’a pas été le cas au final. Je pense que le fait qu’elle n’ait pas été choisie comme tête de liste a pu générer chez elle une certaine amertume. »
Mme de Sarnez est également mise en cause, en tant qu’ex-parlementaire cette fois, par l’un de ses anciens assistants (de novembre 2009 à mai 2010), Benoît Auguste. Ce dernier a affirmé aux policiers n’avoir jamais travaillé pour le Parlement européen, mais s’être mis au service des ambitions personnelles de la vice-présidente du MoDem, qu’il aurait notamment « aidée à préparer des discours ». Il se souvient par exemple que Mme de Sarnez lui avait « demandé d’être à la Maison de la chimie pour la campagne des régionales [en mars 2010]. Je précise que c’était une obligation. (…) On ne peut pas dire non à Marielle de Sarnez. Si je disais non, elle me virait, d’autant plus que j’étais en période d’essai ». Des accusations que Mme de Sarnez a réfutées : « C’est une invention et c’est de surcroît parfaitement incrédible. »
Autres témoignages problématiques, ceux d’assistants parlementaires européens rattachés à Mme de Sarnez qui ont révélé avoir passé l’essentiel de leur temps à l’aider à écrire un livre, L’Urgence européenne (Thaddée, 2014), fruit d’entretiens entre l’eurodéputée et Sandro Gozi, un ancien secrétaire d’Etat italien. « Les retranscriptions représentaient la majorité de mon travail »a ainsi assuré Hadrien Laurent« Ce livre a été édité, publié et vendu sous votre nom. (…) C’était donc un ouvrage de propagande à votre bénéfice ? », ont demandé les policiers. « Non, pas du tout, a réfuté Mme de Sarnez. C’était un livre au seul bénéfice de l’Europe. »
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Et puis il y a cette note gênante, signée de M. Lehideux, le 15 février 2011, révélant que les députés MoDem se devaient de recruter leurs assistants « parmi le personnel maison », c’est-à-dire « travaillant ensemble au siège du MoDem ». « C’est une note qui n’engage que lui », a rétorqué Mme de Sarnez.

« Une pure et simple diffamation »

Interrogé le 11 septembre, François Bayrou a d’abord rappelé des éléments de contexte, notamment les graves difficultés financières rencontrées par son parti après les législatives de 2012. « Nous n’avons quasiment plus de députés, donc notre financement passe de l’ordre de 2,5 millions à 1 million d’euros par an. » Conséquence : seize licenciements, sur un effectif de vingt-cinq personnes. « Et surtout, insiste M. Bayrou, nous vendons l’usufruit pour cinq ans de 40 % des locaux de notre mouvement. (…) Ainsi, lorsqu’on nous accuse d’avoir fait des opérations frauduleuses pour pallier des difficultés financières, c’est une pure et simple diffamation. »
S’agissant des assistants parlementaires, M. Bayrou confirme que « la plupart travaillaient » au siège du parti, mais que seuls les députés y avaient des bureaux réservés. Parmi eux, Sylvie Goulard, qui s’est faite plus rare à partir de 2012. M. Bayrou croit savoir pourquoi : « Je pense qu’elle souhaitait se rapprocher du pouvoir. J’ai été très choqué par la phrase de Mme Goulard dans une interview où elle a déclaré : “Un député européen, ça ne s’adresse pas au petit peuple français.” Cette phrase-là, dont je voyais bien qu’elle représentait sa pratique, je l’ai trouvée très choquante. » Concernant la nature du travail fourni par les attachés parlementaires, M. Bayrou a renvoyé systématiquement aux députés eux-mêmes, seuls « ordonnateurs » de leurs assistants. « Je n’ai pas la compétence sur la gestion des assistants parlementaires », a résumé le patron du MoDem.
Ainsi, s’agissant de Matthieu Lamarre, détaché auprès du député Jean-Luc Bennahmias, mais qui a déclaré avoir travaillé uniquement pour le MoDem, M. Bayrou s’est emporté : « C’est un pur mensonge, et s’il n’a pas fait le travail prévu au contrat avec M. Bennahmias, c’est lui qui est en faute professionnelle grave. » Pour M. Bayrou, les déclarations de M. Lamarre, désormais chargé de la communication d’Anne Hidalgo, ne doivent rien au hasard : « Evidemment, une telle dénonciation ne peut avoir été faite sans l’accord de la maire de Paris. Lorsqu’il a quitté le MoDem, il a déclaré : De toute façon, je me vengerai… » M. Bayrou rappelle qu’à cette période le MoDem avait « deux conflits majeurs avec Mme Hidalgo ».
M. Bayrou a par ailleurs pris soin de voler au secours de Mme de Sarnez, notamment au sujet de Karine Aouadj. Assistante parlementaire de l’ex-députée européenne, elle aurait en fait été à son service personnel. Mme Aouadj gérait pour Mme de Sarnez l’intendance administrative (déclarations à l’Ursaff de ses femmes de ménage, gestion du syndic de sa copropriété, héritage et succession avec son notaire, entretien de sa maison en Grèce...). « Je tiens à souligner la dérive complète des accusations à la base de cette affaire, a tonné M. Bayrou. On dit que Karine Aouadj travaillait comme “la gouvernante de Mme de Sarnez” pour ses affaires privées, ce qui est n’importe quoi. » Quant à la note embarrassante de M. Lehideux, M. Bayrou assure qu’il en ignorait l’existence, mais pense qu’il doit s’agir d’« une confusion ».
Réagissant mardi 5 novembre au soir à l’annonce de sa convocation, M. Bayrou a déclaré : « Ce n’est pas parce qu’il y a une convocation qu’il y aura une décision de mise en examen. »

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