Entretien de Jean-Pierre Chevènement à L'Est Républicain, propos recueillis par Jean-Pierre Tenoux, mercredi 30 octobre 2019.
- L'Est Républicain : Que vous inspire cette énième relance du débat sur la laïcité ?
Jean-Pierre Chevènement : On a besoin de concepts clairs sur ces sujets qui sont des sujets minés. Beaucoup de démagogues interviennent avec des vues courtes. Ils ne se rendent pas compte que ce qui est menacé, c'est la paix civile elle-même. L'exemple des guerres de religion nous rappelle que celles-ci avancent à très bas bruit. La première exécution, au temps de François-1er, a eu lieu en 1623. Le massacre de la Saint-Barthélemy, c'est 1672, cinquante ans après. Donc il faut de la modération, de la retenue de part et d'autre, ce qui ne signifie pas le confusionnisme. Aujourd'hui, on voit des actes criminels aussi stupides qu'odieux comme celui qui a visé la mosquée de Bayonne. C'est le fait de gens qui sèment la graine de la guerre civile. Si on encourageait ce type de comportements, on finirait par la récolter.
- Il y a de la confusion, autour du terme laïcité...
Ce n'est pas du tout l'athéisme ou l'agnosticisme comme veulent le faire croire ses adversaires. Elle n'est dirigée contre personne. Ce principe est issu de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen qui proclame la liberté d'opinion religieuse. Il a fallu plus d'un siècle pour définir les règles d'une séparation des Etats et des Eglises. La loi de 1905 est pragmatique car elle prévoit des exceptions, les aumôneries militaires notamment.
- Quelle en est votre définition ?
La laïcité sépare le religieux de l'espace commun où les citoyens s'efforcent de parvenir à la définition du meilleur intérêt général à travers un débat argumenté, à la lumière de la raison naturelle, d'où le rôle de l'école laïque dans la République. Et ce débat se déroule en dehors de la révélation propre à chacun, dans laquelle chacun est certes libre de puiser ses motivations mais qu'il ne peut pas imposer aux autres par un argument d'autorité. Chacun est libre d'exercer sa religion dans l'espace public, dès lors qu'il ne trouble pas l'ordre public et ne met pas en cause la cohésion sociale. C'est ma définition.
- Pourquoi est-il si difficile de l'appliquer ?
Ministre de l'Intérieur, j'ai lancé une consultation qui a abouti à la signature d'un texte avec toutes les sensibilités musulmanes. Elles y reconnaissaient la laïcité, la séparation des Eglises et de l'État, l'égalité homme-femme, la liberté de changer de religion. Ce n'est jamais rappelé, on a l'impression que ça fait partie des choses acquises, oubliées. Mais ces engagements ont été pris et ils doivent être tenus. S'agissant de la signalétique vestimentaire ou capillaire, elle ne résulte pas d'une prescription religieuse. Je me le suis fait confirmer par le cheikh d'Al-Azhar, la plus haute autorité de l'Islam sunnite. Donc M. Blanquer a raison d'appeler à la discrétion et je souhaiterais qu'il soit soutenu.
Source : L'Est Républicain
Chevenement.fr
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