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vendredi 28 juin 2019

ALGÉRIE. L’EXIGENCE DE TRANSITION DÉMOCRATIQUE SE FAIT IRRÉPRESSIBLE le 4.06.2019



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ALGÉRIE. L’EXIGENCE DE TRANSITION DÉMOCRATIQUE SE FAIT IRRÉPRESSIBLE


Une marche en hommage au prisonnier politique Kamel Eddine Fekhar, mort le 28 mai dernier. Ryad Kramdi/afp

Le Conseil constitutionnel a officialisé, dimanche, le report de l’élection présidentielle prévue le 4 juillet. Mais les hommes du système refusent toujours le scénario d’une instance collective chargée de conduire la transition.

Mardi, 4 Juin, 2019

Pas de candidats, pas d’élections. Sans surprise, le Conseil constitutionnel a annoncé, dimanche, l’annulation de l’élection présidentielle prévue le 4 juillet. Seuls deux prétendants, inconnus des Algériens, s’étaient finalement manifestés : leurs candidatures n’ont pas été validées. Mais là n’est pas l’essentiel : dans son communiqué, le Conseil constitutionnel juge que « les conditions adéquates pour l’organisation de cette élection dans la transparence et la neutralité » ne sont pas réunies. En fait, le ­mouvement populaire rejette, depuis la démission d’Abdelaziz Bouteflika, la perspective d’élections précipitées, dans un cadre institutionnel et politique toujours verrouillé par le système. « Makanch ­intikhabat y’al issabat ! » (« Oh, les gangs, pas d’élections ! »), scandaient encore les manifestants, vendredi, dans les rues des grandes villes du pays.

Une certaine fébrilité dans les coulisses du pouvoir

Ce nouveau repli témoigne de la fébrilité qui règne dans les coulisses du pouvoir. Jeudi, le chef d’état-major des armées, Ahmed Gaïd Salah, qui veut se poser en homme fort du pays depuis la chute du clan Bouteflika, plaidait encore pour la tenue, coûte que coûte, du scrutin, tout en jugeant incontournables le « dialogue », le « consensus » et le « compromis » sur la base des revendications exprimées par le mouvement populaire. Un vocabulaire moins brutal que celui de la semaine précédente, quand ce général, longtemps pilier du règne de Bouteflika, mettait en garde contre l’exigence, « dangereuse » selon lui, de départ du système.
Entre-temps, la mort en détention, au cinquantième jour d’une grève de la faim, d’une figure de l’opposition et de la défense des droits humains, Kamel Eddine Fekhar, a provoqué dans le pays une onde de choc. Dans les défilés de vendredi, le visage de ce médecin de Ghardaïa, porte-voix de la communauté mozabite, ancien élu du Front des forces socialistes (FFS), déjà passé par les geôles de Bouteflika, était partout sur les pancartes, les banderoles. « C’est l’État qui l’a tué ! », « Pouvoir ­assassin ! », clamaient les marcheurs. Le lendemain, une foule immense accompagnait sa dépouille au cimetière d’El Alia, à Alger.
Très affaibli par une longue grève de la faim, le compagnon de lutte et codétenu de Fekhar, tout juste libéré, assistait à ses funérailles, qui ont réuni les représentants de toutes les sensibilités de l’opposition démocratique. Dans son oraison funèbre, l’avocat du défunt, Me Salah Dabouz, très ému, s’en est sévèrement pris aux autorités, accusées d’acharnement, d’arbitraire et de négligence à l’égard de ce militant arrêté et emprisonné pour une interview dans laquelle il dénonçait les discriminations subies par sa communauté. Il s’agit tout bonnement, pour lui, d’un « crime » dont les auteurs doivent être poursuivis.

Mise en lumière du sort des détenus

La mort de Fekhar jette une lumière lugubre sur le sort des détenus d’opinion, à commencer par celui de Hadj Ghermoul, un militant de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH) et de la Coordination nationale de défense des droits des chômeurs (CNDDC), écroué le 29 janvier et condamné une semaine plus tard à six mois de prison pour « outrage à corps constitué » par le tribunal de Mascara. Son crime : avoir osé brandir une pancarte portant le slogan « Non au cinquième mandat ». Faute de justice indépendante et d’un État de droit digne de ce nom, le pouvoir garde les mains libres pour se livrer contre ses opposants au jeu sinistre de la répression, des arrestations abusives, du harcèlement judiciaire. Quitte à noyer certains d’entre eux dans les mêmes eaux sales que quelques oligarques et généraux déchus, à la faveur d’une opération mains propres aussi opaque qu’opportune : c’est le cas de Louisa ­Hanoune. La cheffe du Parti des travailleurs (trotskiste), inculpée pour « complots » contre l’État et l’armée par la justice ­militaire, est toujours incarcérée à la prison de Blida, en dépit d’un état de santé fragile.
Hier, l’ancienne sénatrice Zohra Drif, figure du combat d’indépendance, adressait au général Gaïd Salah une lettre ouverte l’exhortant, après la mort tragique de Kamel Eddine Fekhar, à « libérer Louisa Hanoune et tous les détenus politiques et d’opinion ». « Vous et moi connaissons parfaitement le prix de la liberté puisque nous en connaissons la terrible privation, ayant vécu sous le joug colonial. (…) Faites de ces libérations un gage de sincérité dans le but de rebâtir le socle de confiance si malmené par le régime en place », insiste-t-elle.
À l’initiative de militants d’horizons divers, un Réseau de lutte contre la répression et pour la libération des prisonniers politiques a pris corps, ces jours-ci. Avec un premier succès : la libération, hier, du blogueur Abdellah Benaoum, condamné en avril 2018 à deux ans de prison ferme pour « outrage » à l’ex-président Bouteflika. En grève de la faim depuis trois mois, il avait été transféré, samedi, en soins intensifs à l’hôpital de Sidi Bel Abbès.
Sous pression d’un mouvement populaire que le jeûne du mois de ramadan n’a jamais essoufflé, le ­pouvoir n’en finit plus de manœuvrer en recul. Mais il resquille encore.
En reportant sine die le scrutin, le Conseil constitutionnel prolonge de fait le mandat du président par ­intérim, Abdelkader Bensalah, une personnalité honnie. Pas question, pour l’instant, d’envisager son départ : ceux qui tiennent les rênes du pays excluent toujours, pour l’heure, le scénario d’une transition conduite par une instance collective, auquel ils opposent la promesse d’une commission électorale « indépendante ».

« Nous revendiquons le départ de tout le système »

Mais cette ultime manigance ­pourrait se fracasser à son tour contre une détermination populaire intacte. « En reportant des élections qui ­n’auraient de toute façon pas pu se tenir, ils nous jettent de la poudre aux yeux pour tenter de se maintenir. Mais le peuple algérien veut qu’ils partent tous : il réclame une transition sans eux. Une fois que nous aurons adopté une nouvelle constitution, nous ­pourrons parler d’élections », tranche Hania Chaabane, une jeune militante du Mouvement démocratique et social.
Autre génération, même conviction : l’ancienne combattante Louisette Ighilahriz veut, elle aussi, « qu’ils s’en aillent tous ». « Nous sommes très en colère en ce moment parce qu’ils ne veulent pas de transition. Ce qui est antidémocratique. Ils prolongent le mandat de Bensalah, ce qui équivaut à un cinquième mandat de Bouteflika. Nous revendiquons le départ de tout le système. Nous voulons une véritable démocratie, pleine et entière. Nous voulons une constitution dans des conditions de liberté et de démocratie. » Un horizon encore lointain et ­brumeux, tant le système est ­enraciné et ses hommes décidés à s’accrocher.
Rosa Moussaoui

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