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16.janvier.2019
Une légitime défense, par Michel Onfray
Source : Michel Onfray, janvier 2019
“Si tout le monde agresse tout le monde, la société se défait.”
Macron, Lettre aux Français
Neuvième acte des gilets-jaunes. Envie de vomir en écoutant les commentaires des journalistes ou de philosophes comme Ferry ou BHL qui veulent absolument associer la violence aux gilets-jaunes alors qu’avec leurs discours, auxquels il faut ajouter ceux du pouvoir et de Macron, ils font tout pour la créer.
Je songe par exemple à cette galette des rois au cours de laquelle Macron en a profité pour gifler à nouveau les gilets-jaunes. Chacun a bien compris le message présidentiel quand il dit: “Les troubles que notre société traverse sont aussi parfois dus, liés au fait que beaucoup trop de nos concitoyens pensent qu’on peut obtenir sans que cet effort soit apporté. Parfois on a trop souvent oublié qu’à côté des droits de chacun dans la République – et notre République n’a rien à envier à beaucoup d’autres – il y a des devoirs. Et s’il n’y a pas ce sens de l’effort, le fait que chaque citoyen apporte sa pierre à l’édifice par son engagement au travail.”
Cette déclaration est un authentique crachat lancé au visage de ceux qui, à la moitié du mois, alors qu’ils travaillent dur et ne sont ni des professionnels de l’allocation ni des assistés, ne peuvent plus faire face aux dépenses de base! Après l’illettrisme, l’alcoolisme, le tabagisme, l’intelligence limitée des pauvres face à sa pensée complexe, les gens qui ne sont rien parce qu’ils n’ont rien, voilà une nouvelle variation sur le thème du mépris: la fainéantise des gens modestes. Qui crée la haine? Qui la sème? Qui ne cesse d’en faire usage? Qui l’excite et l’énerve alors qu’il en est son pouvoir de la calmer?
Je ne cesse de dire que notre époque s’effondre sous les coups de boutoirs de la moraline. Nos temps ont mis derrière elle la généalogie qui, jadis, avec les Lumières en un autre moment emblématique, permettait de se demander d’où venaient les choses et non s’il fallait en rire ou en pleurer comme les esprits contaminés par la moraline ne cessent de faire aujourd’hui.
Les chaînes d’information continue attendent la cogne, elles guettent la castagne, elles s’impatientent devant les foules calmes: c’est leur nourriture. Des crétins qu’on nous présente comme des journalistes -l’un d’entre eux n’a cessé de parler la veille des “planches en bois” apposées sur les vitrines des banques…- sont à l’affût du moindre vélo retourné ou de la moindre poubelle répandue sur le sol afin d’envoyer le message de la Présidence et du ministère de l’Intérieur: les gilets-jaunes sont violents. Hors dictatures, on n’avait jamais vu à un tel point la collusion entre pouvoir d’Etat et journalisme.
Faisons de la généalogie.
1 LE TEMPS DES RONDS-POINTS
Je rappelle qu’au commencement, c’était le temps des ronds-points, les gilets-jaunes revendiquaient des choses simples: du pain et de la dignité. Rien d’autre. Ils ne sont pas contre les impôts comme le disent d’autres crétins [1] qui affabulent car où et quand l’auraient-ils fait savoir? Une seule phrase d’un seul gilet-jaune disant qu’il ne voulait plus du tout payer d’impôts et je m’incline… Les gilets-jaunes ont juste dit deux choses. La première: “nous ne refusons pas de payer des impôts mais pourquoi, alors qu’ils devraient financer le service public, le voit-on disparaître dans les provinces? Nous payons des impôts directs et indirects et les écoles ferment, les maternités et les hôpitaux aussi, ainsi que les lignes de chemin de fer et les petites gares de campagne. Il existe des plans Banlieue pour lesquels les milliards coulent depuis des années, et personne n’a rien à redire à cela, mais pourquoi dans le même temps n’y en-a-t-il aucun pour les campagnes?” Il n’y a donc pas refus de l’impôt mais revendication d’un droit de regard sur son affectation, ce qui ne fait pas une revendication de droite, voire d’extrême-droite ou bien encore poujadiste, mais clairement républicaine.
Je rappelle que l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme stipule ceci: “Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses de l’administration, une contribution commune est indispensable; elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.”
L’article suivant, quant à lui, dit ceci: “Les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.”
Ces deux articles font-il de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen un bréviaire de la haine? Un manifeste poujadiste? Un tract d’extrême-droite? Un marqueur rouge-brun du refus de l’impôt? Allons donc! Il faut raison garder…
Les gilets-jaunes demandent rien moins que le respect des Droits de l’homme: personne chez eux n’a jamais parlé contre l’impôt dans l’absolu, en soi, sur le principe, car tous savent que la force publique et l’administration de l’Etat sont indispensables et qu’il faut les financer. Aucun n’a souhaité l’abolition de la police et de l’armée, du statut de fonctionnaire dans les écoles, les hôpitaux, les gares, ni même dans l’administration du recouvrement de l’impôt puisqu’ils demandent même la pérennité et la multiplication du service public.
Ils souhaitent en revanche, et c’est le contenu de l’article 14, que l’impôt soit également réparti entre tous les citoyens “en raison de leurs facultés”. Ils ont par exemple l’impression que Carlos Ghosn, ou les grandes entreprises du GAFA, ne paient pas l’impôt proportionnellement à ce qu’ils peuvent. Ils savent en même temps qu’eux paient plein pot, si je puis dire, puisque la taxe sur le diesel était un impôt clairement levé sur les plus modestes que l’Etat prenait ainsi sciemment à la gorge. On ne sache pas que Ghosn roule (enfin roulait…) autrement qu’en véhicule hybride avec chauffeur -des voitures payées par la régie, donc par le contribuable- ou en jet privé dont le kérosène n’est pas polluant … puisqu’il n’est pas taxé! A quoi l’on voit d’ailleurs que l’écologie était un pur prétexte.
Par ailleurs, les gilets-jaunes veulent également, c’est cette fois-ci le contenu de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, constater par eux-mêmes la nécessité de la contribution publique! “Par eux-mêmes”, parce qu’avec le temps ils ont compris que leurs représentants ne les représentaient pas sur ce terrain parce qu’ils étaient juges et parties. Ils veulent consentir librement à l’impôt, mais ne pas être les seuls à subir celui que Macron leur impose à l’instant même où il en libère les plus riches.
Ils veulent avoir leur mot à dire sur la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée de l’impôt: autrement dit, ils souhaitent faire l’impôt par le peuple, pour le peuple, et non le subir quand il est concocté par les politiciens populicides de Maastricht. Les gilets-jaunes savent en effet que l’impôt macronien, quand il porte sur les campagnards qui se déplacent dans de vieilles voitures diesel et non dans des avions privés, n’est pas équitable, juste, égal proportionné: cet impôt se montre faible avec les forts et fort avec les faibles.
2 LE TEMPS DES PAVES
Le temps des ronds-points a été suivi par le temps des pavés. Le mouvement est d’abord profus, divers, multiple et surtout provincial. C’est l’époque où La France insoumise se tâte et se pince le nez. Clémentine Autain affirme qu’elle ne participera pas à la manifestation du 17 novembre 2018: trop de ploucs, trop de pécores, trop de péquenots, trop de provinciaux, trop de pauvres en vrai, pas assez du bon peuple relooké par Terra Nova.
Cette gauche intellectuelle et urbaine, mondaine et parisienne n’aime pas ce peuple old school qu’elle estime trop proche de Marine Le Pen -et pour cause, cette gauche germanopratine ayant tourné le dos à ce peuple, il s’est retourné vers ceux qui lui ouvraient les bras: la force du Rassemblent national s’initie dans le mépris de cette gauche mondaine pour ce peuple de gens simples et modestes dont c’est aujourd’hui le retour en jaune.
Ce fameux think tank Terra Nova a invité à jeter ce peuple aux poubelles de l’Histoire afin de lui préférer le néo-peuple constitué par les marges de ce même peuple -femmes du féminisme et LGBT, immigrants et “racisés” comme il est dit dans le vocabulaire néo-raciste, phallocrates, misogynes, violents et antisémites des banlieues, pourvu que ce soit au nom de l’islam.
Or ce néo-peuple n’est pas un anti-peuple ni même un contre-peuple, mais une partie du peuple, une partie et pas son entièreté. Une partie ne saurait revendiquer d’être le tout, sauf coup d’Etat idéologique. La gauche culturelle, l’extrême-gauche, la gauche mondaine et parisienne ont effectué ce coup d’Etat idéologique sans vergogne: ce peuple qui “fume des clopes et roule en diesel” détesté par Griveaux qui vient de la gauche maastrichtienne, la gauche culturelle l’a envoyé se faire voir chez les Le Pen. Il y est allé.
Sauf BHL qui parle pour elle, ou Ferry qui l’accompagne sur le siège arrière de son véhicule idéologique, le silence de la gauche germanopratine si prompte à se mobiliser pour les grandes causes humanistes, pourvu qu’elles ne sentent pas la nicotine et le fuel, fait sens. Où sont en effet les chanteurs et les acteurs, les comédiens et les écrivains, les sportifs et les artistes, les people et les “humoristes” qui, parfois lucides, se présentent de temps en temps comme des enfoirés?
Si l’on évite la moraline qui fait de ce peuple méprisé par la gauche mondaine de méchantes chemises brunes, fascistes, racistes, homophobes, antisémites, soraliennes, complotistes, populistes, et qu’on veut procéder en généalogiste du refoulement de ce peuple par la porte qui revient par la fenêtre, on voit bien qui il faut remercier!
Ce temps des pavés est celui des récupérations. C’est toujours un moment stratégique déterminant dans l’économie des révolutions lors de ses premiers temps. C’est aussi le moment le plus dangereux. Les sans-culottes, les sections, la Commune de Paris et les Enragés qui portaient la parole populaire après 1789 ont été instrumentalisés par Robespierre et les siens. La Loi sur les suspects, le tribunal révolutionnaire et la guillotine se trouvaient au bout de ce chemin.
On ne comprend les tergiversations de Mélenchon, donc de La France insoumise qui le suit le doigt sur la couture du pantalon, qu’en regard de son opportunisme carriériste. Comment parler de conviction chez un homme qui fut si longtemps sénateurs socialiste, ministre de Jospin, admirateur, encore aujourd’hui, de Mitterrand (au point parfois de le singer avec galurin noir et écharpe rouge…), mais surtout fervent partisan et thuriféraire de l’Etat maastrichtien pour lequel il a fait campagne en 1992, un programme qu’il n’a critiqué que bien longtemps après pour en faire son fond de commerce aujourd’hui ?
Je ne confond pas les électeurs et les sympathisants ni même les membres de La France insoumise et Mélenchon leur chef. J’ai même dit ma sympathie politique pour François Ruffin. Mais il faut avoir la mémoire courte pour ne pas se souvenir que Mélenchon ne fut acquis à la cause des gilets-jaunes bien après qu’ils eussent montré leur force et leur constance. Il adhère, mais comme la tique au chien.
Je n’oublie pas non plus que, toujours pour des raisons électoralistes, et nullement pour le bien du peuple et du pays, Mélenchon hésite entre deux lignes: un rassemblement de la gauche old school ou la fédération d’un souverainisme de gauche. Ce sont deux lignes de fractures puisqu’elles séparent la gauche libérale, maastrichienne et écologiste de Hamon, et la gauche antilibérale anti-maastrichienne. La gauche de Hamon a échoué après avoir eu les pleins pouvoirs depuis 1992. Elle avait pour objectif de réaliser le programme de l’Etat maastrichtien dont la police tabasse aujourd’hui les GJ dans la rue: Hamon devrait être modeste, toute sa carrière politique s’est faite contre ces gens qui affirment aujourd’hui en avoir par dessus la tête …
J’aime, dans La France insoumise, le lignage souverainiste de gauche. Or, Mélenchon ne sait pas s’il est rentable électoralement. Voilà la raison pour laquelle il ne le porte pas, après avoir tout de même tenté deux ou trois sorties dans cette direction en forme de ballon d’essai.
Pour l’heure, il a clairement éjecté sans ménagement [2], et par le seul fait du prince rouge, deux personnes de qualité qui incarnaient cette ligne de force: Djordje Kuzmanovic et François Cocq. Ces deux hommes auraient dû être les fers de lance d’une ligne qui tourne le dos au gauchisme mondain, urbain et parisien, souvent islamo-gauchiste, qui pèse lourd dans le logiciel électoraliste de Mélenchon.
Ce geste politique digne d’un dictateur old school montre que Mélenchon décide de la ligne tout seul -ou avec une garde prétorienne à ses ordres. S’il écrit droit et clair, pourquoi pas. Mais il écrit de travers, cherche et se cherche, puis triomphe moins dans le courage politique d’une ligne claire que dans ce qu’il sait le mieux faire: la harangue médiatique dans la logique de la vieille politique politicienne.
Le voilà qui fait l’éloge d’Eric Drouet en confessant une “fascination” -le mot est fort mais Mélenchon n’aime rien tant que se prosterner devant les leader virils. Car Drouet, c’est aussi le nom d’un acteur de la Révolution française, ce qui met le lider minimo en transe. Qui était-il? Rien moins qu’à Varennes le délateur qui donne le roi et toute sa famille… Or, Louis XVI n’est pas un assassin, lui: il n’a pas fait tirer sur la foule, il n’a rien mis en place qui ressemblerait, sur le terrain de l’injustice, à un tribunal révolutionnaire où la défense est interdite, ou, sur la façon d’appliquer cette justice, à l’activation de la guillotine en place publique. Drouet, c’est aussi un homme qui, élu à la Convention pour prix de cette dénonciation qui va induire la mort d’un homme, d’une femme et d’un enfant, excusez du peu, peu proclamer à la tribune: “C’est le moment de verser le sang des coupables. Qu’avons-nous besoin de notre réputation en Europe? De tous les côtés ne vous appelle-ton pas des scélérats, des brigands, des assassins? Et bien, puisque notre vertu, notre modération, nos idées philosophiques ne nous ont servi de rien, soyons brigands pour le bonheur du peuple!” Après la Révolution, l’homme fut sous-préfet à Sainte-Menehould, une cité bien connue pour ses pieds de cochon, et finit comme pâtissier à Mâcon, ce qui, sous la plume de Mélenchon, donne: “Le Drouet de Varennes est resté un révolutionnaire républicain jusqu’à son dernier souffle.” On ne sache pourtant pas qu’il ait révolutionné la pâtisserie.
Quant Mélenchon était trotskiste, son pseudonyme était Santerre. Qui était Santerre? Le commandant de la Garde nationale qui, au pied de l’échafaud, fit rouler les tambours afin d’empêcher que la foule entende ce que Louis XVI avait à lui dire avant d’être assassiné. C’est aussi l’homme qui, grande gueule, demanda un commandement pour aller massacrer en Vendée -une idée de Robespierre- et s’y si montra si nul qu’il fut rappelé à Paris. Il spécula sur les biens nationaux mais, même là, il fut tellement mauvais, qu’il fit faillite et mourut ruiné. Quant il nomme ses héros de la Révolution française et qu’il ne choisit pas Robespierre -un tyran-, Mélenchon avance les noms d’un délateur, Drouet, et celui d’une nullité doublée d’un trafiquant, Santerre… Chez lui qui passe pour cultivé auprès des journalistes incultes, notamment en matière de Révolution française, le choix de ces références renseigne sur sa véritable nature. Serait-il bon que Mélenchon s’empare des gilets-jaunes à la manière dont Dolmancé possède l’Eugénie du marquis de Sade? Je ne le crois pas…
Il existe une autre récupération, et elle me semble bien plus dangereuse car elle a l’appui et le soutien du pouvoir, c’est celle des casseurs -nommons-les comme ça. N’importe quel observateur de l’actualité sait qu’il existe depuis des années une frange d’individus pour lesquels la violence est en soi révolutionnaire -du moins, qui croit qu’elle précipiterait l’avènement d’une société sans classes.
On trouve ces milices armées aux sommets des G20, à Notre-Dame-des-Landes, à Davos, lors des rencontres internationales ou à l’occasion de sommets avec des chefs d’Etat, elle sont présentes à la moindre manifestation syndicale mais sont plus ou moins contenues par les services d’ordre desdits syndicats. On connaît ses actions rapportées par quantité de journaux télévisés depuis des années, bien avant les gilets-jaunes.
Ces milices laissent des traces avec des bombages clairement d’extrême-gauche: ils ont été abondamment photographiés et filmés sur l’Arc de Triomphe. On pouvait y lire ceci: “Justice pour Adama”, “Anarchiste” et son sigle, un A dans un cercle, “L’ultra droite perdra”, des signatures d’extrême gauche et bien d’autres slogans parmi lesquels un “Les Gilets Jaunes vaincront”.
Il est étonnant que “Le Parisien”, “Vingt Minutes”, France-Info TV, “Paris Match”, LCI pour ne prendre que quelques médias consultables sur le net et qui arrivent en tête des consultations quant on tape “tag arc de triomphe”, publient des photos sur lesquelles tous les slogans sont effacés, sauf le dernier. Les formules de toutes les couleurs, de toutes les graphies qui maculent le monument ont miraculeusement disparu des clichés, sauf celui qui désigne explicitement les gilets-jaunes comme seuls et uniques tagueurs…
J’ai déjà dit mon étonnement que des casseurs puissent dépaver l’avenue des Champs-Elysées sous le regard des caméras qui diffusent les images en direct sans que le ministère de l’Intérieur ne donne l’ordre de les arrêter afin d’empêcher ce qui ne manquera pas d’arriver après que les pavés auront été dégagés: ils seront balancés sur la police et dans les vitrines… Il semble que le principe de précaution, si cher au politiquement correct quand il faut pourrir la vie du citoyen lambda, cesse d’être d’actualité quand il s’agit d’empêcher les dégradations.
Mais on comprend dès le lendemain pourquoi ces détériorations ont été nécessaires au pouvoir: elles permettent aux journalistes de planter leur caméra devant l’une des trois ou quatre vitrines cassées sur les Champs-Elysées afin d’illustrer leur direct qui effectue d’infinies variations sur le thème des sauvages qui ont dégradé la plus belle avenue du monde! Pendant ce temps, on ne parle pas des revendications citoyennes et républicaines des gilets-jaunes: on montre, images à l’appui, que ce sont tous des casseurs qui détruisent, salopent, cassent, brisent, brûlent, incendient, sans une seule fois se demander pourquoi, alors que tous les Français ont pu voir tout cela tranquillement se dérouler sur leurs écrans, la police n’intervenait pas… Place Beauvau, le mot d’ordre était: “Laissez dépaver, laissez empaver, avec ça, nous allons les dépraver…”
On ne verra jamais les journalistes qui filment la casse prélever un casseur afin d’effectuer leur travail de journaliste en lui demandant qui il est, quel est son travail, quel est son niveau d’études, d’où il vient, quel est son revenu mensuel, quelles sont ses revendications. Le micro-trottoir fait pourtant partie des ficelles du métier chez les paresseux idéologisés. Le journaliste laisse croire qu’il prélève par hasard quelqu’un qui passe par là et à qui on demande son avis, alors qu’il a soigneusement sélectionné le péquin à qui il fera tenir le discours officiel du média. Le casting des pigeons fait partie du métier. Mais on n’aura jamais vu un casseur filmé qui aurait été sollicité verbalement par un journaliste afin de témoigner, même à visage couvert: et pour cause, on découvrirait alors que ces violents sont là pour la violence et qu’il leur suffit de porter un gilet jaune pour se fondre tranquillement dans la foule -et au passage discréditer le mouvement dans sa totalité avec les services du ministère de l’Intérieur et des journalistes, des éditorialistes et des intellectuels du système maastrichien.
Il faudrait également disposer de quelques renseignements sur le noyautage des casseurs par la police. C’est une histoire vieille comme le monde. On sait en effet que le pouvoir a intérêt à créer la violence qu’il instrumentalise ensuite en prétendant qu’elle vient d’ailleurs. C’est le B.A.BA du métier d’envoyer des fonctionnaires de police fomenter la violence qui agrège à elle les mécontentements de ceux qui se trouvent dans la rue justement parce qu’ils ont déjà des motifs de ne pas être contents! Le premier qui arrache un poteau de signalisation, tape dans une voiture, balance un vélib, brûle un véhicule, tague ou défonce une vitrine, crée un appel d’air dans lequel s’engouffrent des gens surchauffés par les slogans de la foule, l’ambiance fraternelle des masses, le délire festif des rassemblements, la clameur sonore des pétards et des sirènes. Pas besoin d’avoir lu ‘La Psychologie des foules” de Gustave Le Bon ou “Masse et Puissance” d’Elias Canetti pour savoir comment conduire un foule où l’on veut -pour le meilleur et, bien souvent, pour le pire.
C’est dans cette perspective qu’il faut inscrire l’épopée du boxeur qui fait reculer tout seul quelques policiers casqués, armés, protégés par le kevlar de leurs gilets, le plexiglass de leurs boucliers et leur savoir-faire d’assaut -c’est leur métier. Cet homme seul cogne, cogne, cogne et met la police de l’Etat en déroute, le tout devant les caméras de télévision du monde entier.
Les images de cette scène incroyable ont été montrées par les médias du système après avoir été montées. Hors montage, quand on montre ce qui n’a pas été monté, le film brut, on voit bien le déchaînement de violence de la police contre un groupe dans lequel se trouve le nouveau Marcel Cerdan avant son pétage de plomb. On enlève les images d’avant car elles expliquent les images d’après qui sont isolées et diffusées: il s’agit en effet de montrer une violence qui sortirait de nulle part et qui serait à elle-même sa propre cause et sa propre fin. Une violence dont la cause serait le caractère délinquant du seul boxeur.
Il suffit ensuite de transformer ce boxeur en figure emblématique de ces gilets-jaune pour en faire le porte-parole idéal: “voyez-vous comme ils sont tous? Regardez cet homme qui boxe pour boxer. Tout est là.” Ni les défenseurs du système ni les victimes du système ne s’y sont trompés.
Côté défenseur du système, le sommet a été atteint par Luc Ferry qui estime que l’une des plus grandes armées du monde devrait régler le problème en tirant -avec des armes non létales dira-t-il le lendemain, après le buzz, en feignant d’ignorer que ces armes non létales sont déjà tellement utilisées depuis le début qu’elles ont défiguré un très grand nombre de personnes. Dans son esprit il s’agissait bien d’armes létales, car, sauf à mépriser la logique, on ne saurait conseiller d’utiliser des armes dont l’usage est avéré depuis des semaines.
Côté victimes du système, une cagnotte a été organisée. Le système y est allé de sa propagande: “Une cagnotte pour payer ceux qui veulent tuer les flics.” Qui a dit cela? Quand? Où ? Cette cagnotte a été initiée par des gens qui savent que, quand on se trouve entre les mains de la justice, qui plus est de la justice d’Etat et opposé à ce monstre froid, on n’a pas intérêt à être impécunieux. Cette solidarité était celle de pauvres à l’égard de l’un d’entre eux et non une gratification de qui aurait invité à tuer la police! Il n’y a que ceux qui paient et se font payer en tout pour ne pas comprendre que l’argent est ici le nerf d’une guerre juridique. Pour l’heure, le boxeur est en prison. Il vaut mieux boxer des policiers dans les territoires perdus de la République, où le cogneur ne craint rien, que dans le centre de Paris un jour d’échauffourées, pris entre le pouvoir qui envoie ses forces de l’ordre pour maintenir un ordre injuste et les sujets qui se font tabasser pour avoir demandé en vain du pain et de la dignité depuis des semaines.
Le pouvoir a organisé une contre-cagnotte pour les policiers. Je me suis amusé des arguments convaincants de ceux qui ont estimé que les dons arrivaient surtout groupés et la nuit, ce qui pose la question d’un robot à clics -si j’osais: un robot à flics…- et des contre-arguments pas convaincants du tout du patron du site incriminé.
Les Français aiment leur police, sauf quelques gauchistes attardés. Ils savent que les CRS ne sont pas des SS, ni les gendarmes mobiles, ni les policiers qui sont bien souvent eux-aussi des prolétaires de l’Etat maastrichtien -modestes paies, conditions de travail pénibles, absence de soutien de l’Etat en cas de ce que la presse du gauchisme culturel présente comme des “bavures”. Quelques-uns qui regardent ma web-TV m’écrivent discrètement pour me raconter leur quotidien: il est plus proche de celui des gilets-jaunes que des profiteurs de l’Etat maastrichtiens qu’ils sont malgré tout professionnellement obligés de protéger et de défendre.
Après les robespierristes embusqués, les casseurs masqués, la récupération est également à craindre du côté du Rassemblement national. Car ce parti godille depuis des années en tirant des bords entre l’ultralibéralisme de Jean-Marie Le Pen et l’ultra-protectionnisme de la ligne Philippot, entre l’homophobie du premier et l’homosexualité du second, entre l’antisémitisme du père et le philosémitisme de la fille, entre la complaisance pour Pétain, Vichy, la troupe nazie, l’Algérie française du géniteur et l’aveu que la Shoah fut la plus grande catastrophe de son siècle effectué par sa fille, on se perd.
Si l’on prend acte que le Rassemblement national n’est plus le Front national, car un changement de tête et un nouveau nom ne sont pas rien, les choses ne paraissent pas plus claires: entre l’ultralibéralisme du grand-père repris et porté par sa petite fille Marion Maréchal très suivie dans le parti, et le protectionnisme social de sa tante, quelle ligne est celle du RN? Et puis, on l’a vu lors de ce fameux débat d’entre les deux tours de la présidentielle, qu’en est-il de l’euro? De la monnaie unique? De l’Europe? Faut-il un Frexit? Doit-on sortir de l’Etat maastrichtien? Est-il envisageable de revenir au franc? Est-ce qu’une monnaie commune pourrait exister en lieu et place d’une monnaie unique? Sur ces sujets Marine Le Pen godille sévère.
Or, le mouvement des gilets-jaunes est très clairement l’aveu d’une souffrance induite par l’Etat maastrichtien depuis 1992. Les médias du régime parviennent à éviter cette question qui est totalement absente des débats, pourtant nombreux, parce que c’est la véritable généalogie de ce qui advient.
In fine, la généalogie des généalogies du mouvement des gilets-jaunes, c’est celle-là: l’Etat maastrichien broie les plus faibles depuis plus d’un quart de siècle pendant qu’elle rend la mondialisation heureuse à une aristocratie arrogante et cynique, suffisante et insultante.
On ne voit pas que Marine Le Pen ait envie de remettre en cause cet Etat-là par une proposition dont j’estime qu’elle devrait être communaliste libertaire afin de permettre un réel pouvoir du peuple par le peuple pour le peuple. Sous la pression du réel, Marine Le Pen à Matignon ou à l’Elysée, ce ne serait guère plus que le retour de Charles Pasqua.
3 LE TEMPS DES PROVINCES
L’acte IX semble ouvrir un troisième temps: celui des provinces. C’est également celui des brassards blancs. Après le temps des ronds-points, le temps des pavés, voici donc venu le temps des provinces. “Monter à Paris” était tentant: c’est le lieu du pouvoir, c’est la ville du cynisme et de l’opportunisme, c’est le champ d’action des Rastignac, on y trouve toute la France d’en-haut qui tient dans une main de fer toute la France d’en-bas. L’envie d’aller narguer ces gens-là était compréhensible. Mais c’était se jeter dans la gueule du loup.
Le centralisme de l’Etat français depuis Philippe le Bel, confirmé par Louis XIV, les jacobins de 1793, Napoléon, Pétain ou le général de Gaulle, a fait de la capitale la tête -l’étymologie en témoigne- d’un corps fait de provinces ponctionnées et aux ordres. Ce chef, toujours l’étymologie, se nourrit du sang et de l’énergie des régions. Les girondins, décapités par Robespierre et les siens, n’ont pas demandé par hasard que Paris fut réduit à 1/83° de son influence -autrement dit : que cette ville pèse autant qu’un autre département français et pas plus.
Le repli stratégique en province avec dissémination géographique rend le mouvement insaisissable par la police, l’armée et les journalistes qui tiennent leur camp à Paris. Il devient incontrôlable et les casseurs qui sont peu ne pourront être partout. L’infiltration par la police n’est plus possible pour les mêmes raisons. D’autant qu’en province, chacun se connaît et il est plus facile de repérer les casseurs venus d’ailleurs, le gilet-jaune qui dérape entraîné par eux ou le policier qui travaille à ce que l’on appelait jadis les Renseignements généraux.
Un seul foyer parisien se noyaute facilement: c’est un cas d’école pour les forces de l’ordre. Une multiplicité de foyers dispersés, éparpillés, donne moins un signe de faiblesse qu’un témoignage d’une force recouvrée ailleurs et autrement. S’il fallait recourir à des métaphores militaires, renvoyons à ce que Clausewitz nommait la “petite guerre”, la guérilla, capable de faire pièce à la “grande guerre” ancien modèle.
Précisons que cette petite guerre doit être pacifique: le non-violence est supérieure à la violence pour parvenir à ses fins. L’apparition de brassards blancs qui distinguent le service d’ordre est le premier pas positif vers l’organisation nécessaire afin d’écarter les charognards de la politique politicienne, tous, sans exception, et pour couper à la base toute velléité d’instrumentalisations médiatico-politiques.
Quitter les pavés de Paris, revenir en province, là où tout a commencé, mais ailleurs que sur les ronds-points, voilà qui fait sens. Solliciter les brassards blancs pour le service d’ordre, voilà un autre signe que du désordre peut naître un ordre nouveau. Voici une pulsion, une impulsion, une énergie qui prend forme, donc force.
Les provinces sont les lieux historiques de cette révolte contre l’Etat maastrichtien devenu empire. Créer un parlement délibératif dans chacune d’entre elle, mais pas seulement, serait un grand pas. Aller en mairie pour répondre aux questions du catéchisme maastrichtien proposées par Macron n’est pas la solution: il enfume et embrouille, il n’en fera rien, il l’a déjà dit, il ne changera pas de cap. Voici l’heure venue des girondins contre les jacobins. Cet acte IX pourrait bien être l’acte I d’une nouvelle pièce… A voir.
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[1] Christophe Bourseiller: “Les gilets jaunes évoluent dans une orbite idéologique de droite”
Source : Michel Onfray, janvier 2019
Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]
Fritz // 16.01.2019 à 06h59
Bon, il y a quelques paragraphes en trop (?) pour régler les comptes avec Mélenchon et les “robespierristes embusqués”. Michel Onfray vient du Calvados, département girondin qui avait envoyé Charlotte Corday à Paris… Mais ce n’est pas ce que je retiens de ce texte bienvenu.
Les étapes successives du mouvement social sont bien distinguées, comme le mépris d’une certaine gauche mondaine et parisienne, comme le tropisme policier des médias, comme le mépris abject des Macron et Griveaux (“les gens qui roulent au diesel et fument des clopes”). Les atermoiements du RN et de sa cheftaine sont bien analysés.
Je retiendrai d’abord le passage sur Christophe Dettinger, qui donne le titre du billet : “une légitime défense”. Onfray a raison de souligner “l’épopée du boxeur qui fait reculer tout seul quelques policiers casqués, armés, protégés par le kevlar de leurs gilets, le plexiglass de leurs boucliers et leur savoir-faire d’assaut -c’est leur métier. Cet homme seul cogne, cogne, cogne et met la police de l’Etat en déroute, le tout devant les caméras de télévision du monde entier.”
Oui, Dettinger n’a fait que répondre aux violences des gendarmes. Oui, il était seul, et non équipé. Oui, il a fait reculer les pandores, il les a repoussés sur la passerelle. Et pour les victimes des violences policières, pour les gazés, les mutilés, les énucléés ; mais aussi pour les victimes du néolibéralisme à l’œuvre depuis 1983, Dettinger fait figure de vengeur.