Enneigé et glacé, le puy de Dôme sommeille dans la brume. Vendredi 26 janvier, Emmanuel Macron achève un déplacement de deux jours au chevet du monde rural par une expédition au sommet du volcan endormi. Depuis la cabine panoramique, où l'on a parfois une vue à couper le souffle sur la chaîne des puys, on ne voit rien. Tout est gris et blanc.
" Il faut accepter les caprices de la montagne (…).
Si on n'aime les choses que par beau temps, on ne les aime pas vraiment ", philosophe le président de la République. Concentré sur une carte volcanologique, il observe attentivement les croûtes, les plaques et les failles sismiques. Des taches de couleur, roses, vertes et bleues, représentent chacune un volcan.
A Paris aussi, les situations éruptives s'accumulent pour le gouvernement. Près de neuf mois après leur arrivée au pouvoir, l'état de grâce serait-il en passe de se terminer pour Emmanuel Macron et son premier ministre, Edouard Philippe ? Jusqu'à présent, le couple exécutif a réussi à éviter une contestation sociale large et coordonnée contre sa politique, notamment pour la réforme du code du travail par ordonnances. Mais il se voit aujourd'hui rattrapé par des contestations catégorielles, plus difficiles à anticiper et à régler.
" Le gouvernement a donné l'impression de privilégier les salariés du privé avec les ordonnances et une baisse des charges qui doit favoriser le pouvoir d'achat de ces Français, estime Dominique Andolfatto, professeur de science politique à l'université de Bourgogne-Franche-Comté et spécialiste des syndicats.
En revanche, les fonctionnaires ont pu avoir le sentiment d'un manque de bienveillance de la part du nouveau pouvoir, qui semble les considérer à la fois comme peu flexibles et comme des nantis. Cette attitude explique un mécontentement latent. Dès lors, n'importe quelle étincelle peut favoriser la colère. "
Tensions dans les prisons depuis trois semaines, avec une mobilisation sans précédent des surveillants après l'agression de trois d'entre eux par un détenu dans le Pas-de-Calais le 11 janvier. Colère dans les maisons de retraite médicalisées, avec un appel à la grève lancé pour le mardi 30 janvier par tous les syndicats représentatifs, mais aussi par les directeurs d'établissement, du jamais-vu dans ce secteur. Ebullition dans les hôpitaux publics, incarnée sur les réseaux sociaux par le hashtag #balancetonhosto qui dénonce les conditions de travail des personnels. Inquiétude dans les lycées et les universités, avec la mise en place de la plate-forme Parcoursup – accusée de faire de la " sélection cachée " – et la réforme du bac, au point que plusieurs organisations syndicales (CGT, FO, FSU, Solidaires, SUD), mais aussi étudiantes et lycéennes (UNEF, UNL, SGL), ont lancé un appel commun à la grève pour le jeudi 1er février…
Autant de bombes à retardement potentielles pour le gouvernement, auxquelles s'ajoute la délicate évacuation de Notre-Dame-des-Landes sur laquelle l'exécutif joue sa crédibilité à faire respecter l'Etat de droit. Ou la situation tendue en Corse, avec la manifestation organisée sur l'île le 3 février par les forces nationalistes, trois jours avant la venue du président de la République à Ajaccio pour l'hommage au préfet Claude Erignac, assassiné il y a vingt ans.
Bains de foule et selfiesFace à cette multiplication des fronts, l'exécutif tente de déminer, avec le déblocage en urgence par la ministre de la santé, Agnès Buzyn, de 50 millions d'euros supplémentaires pour les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), ou l'annonce d'un nouveau plan national pour l'hôpital en février. Sa collègue de la justice, Nicole Belloubet, espère, elle aussi, sortir de la crise pénitentiaire avec un projet d'accord accepté vendredi par l'UFAP-UNSA, premier syndicat des gardiens de prison. Difficile de savoir si cela suffira.
" Macron est rattrapé par le réel et le réel est souvent imprévisible ", affirme le député (PS) des Landes Boris Vallaud, qui considère qu'
" à vouloir tout dépolitiser, l'exécutif s'expose à un retour du politique par le biais de la société ".
Il y a quelques jours, un " visiteur du soir " de l'Elysée s'interrogeait sur la suite du quinquennat en émettant deux hypothèses. L'une optimiste :
" Dans cette société médiatique, on veut un acteur qui donne confiance au pays et Macron peut partir statufié, comme Obama aux Etats-Unis. " L'autre pessimiste : " Il peut se passer quelque chose de la base qui montrera que le roi est nu et n'a pas prise sur le réel. " Et ce proche du chef de l'Etat de résumer : " C'est tout le problème du rapport du politique à la réalité. La politique moderne tend à s'éloigner de la réalité. "
" Nous savons que le risque de tous les politiques, surtout dans l'action gouvernementale, c'est de perdre de vue les préoccupations des Français, les réalités de ce qu'ils vivent chaque jour ", a lui-même mis en garde Christophe Castaner, délégué général de La République en marche (LRM), vendredi, lors de sa conférence de presse de rentrée.
Emmanuel Macron semble avoir senti ce danger. Après sa récente séquence internationale et économique très dense, de Versailles à Davos (Suisse) devant le gotha de l'économie mondiale, il a pris tout son temps, jeudi et vendredi en Auvergne, au contact de la France rurale. Multipliant les bains de foule, les poignées de main et les selfies, il s'est défendu de toute déconnexion avec le pays, expliquant qu'au Forum économique mondial ou à Clermont-Ferrand, il était tout entier consacré
" à la vie des gens ".
Le gouvernement est aussi confronté à son choix originel de nommer plusieurs ministres qui ont peu ou pas d'expérience politique, comme Nicole Belloubet et Agnès Buzyn, deux femmes en première ligne ces derniers jours. Une plus-value au regard de l'opinion, méfiante à l'égard des professionnels de la politique, mais qui peut poser des problèmes en cas de tempête sociale.
" Nicole Belloubet est une juriste talentueuse, mais elle n'était pas préparée à gérer un conflit social comme celui des prisons. Elle a mis beaucoup trop de temps à réagir ", s'agace un député LRM.
" La situation des personnels dans l'hôpital public est hautement inflammable. Je ne suis pas sûr qu'Agnès Buzyn ait pris la mesure du malaise ", s'inquiète un autre élu de la majorité qui a récemment évoqué le sujet avec la ministre de la santé.
Pour l'instant, l'exécutif défend ces ministres dits " de la société civile ".
" Il y a une différence entre ce qu'ils peuvent donner à voir médiatiquement et leur travail en coulisses. Ils ont l'avantage de bien connaître et d'être partie prenante de leur secteur ", affirme l'Elysée.
" On savait qu'en prenant ce genre de profils, on s'exposait à des difficultés possibles. Mais on ne va pas reculer à la première difficulté, sinon cela n'aurait aucun sens ", appuie-t-on à Matignon.
" Construction journalistique "S'ils se disent attentifs aux foyers de tension, certains macronistes plaident pour que le pouvoir reste ferme face aux revendications catégorielles.
" Il ne faut pas faire du François Hollande et donner l'impression qu'on a peur. Les Français ont été traumatisés par des épisodes comme la suppression des portiques écotaxe, où l'Etat a reculé devant quelques bonnets rouges ", estime un proche du chef de l'Etat.
" Depuis son élection, Emmanuel Macron a restauré l'autorité de l'Etat et les Français lui en sont redevables. Il ne faut pas donner l'impression d'un Etat faible qui cède dès les premières revendications ", abonde Gabriel Attal, député (LRM) des Hauts-de-Seine.
Au sommet de l'Etat, on relativise le scénario d'une agrégation des fronts sociaux, y voyant
" une construction journalistique "." Ce sont des choses de nature différente. Il faut prendre garde à ne pas mêler artificiellement les sujets et à les mettre sur le même plan ", répond un conseiller élyséen qui assure que le gouvernement est concentré à la fois sur les
" projets à long terme " et sur
" tous les problèmes liés à telle ou telle catégorie de Français ".
Mi-janvier, les stratèges de l'Elysée avaient d'ailleurs le sentiment que le plus dur était passé avec les décisions annoncées sur les migrants à Calais (Pas-de-Calais) et le casse-tête de Notre-Dame-des-Landes. Interrogé sur la suite, un conseiller n'anticipait pas d'autres risques dans les semaines à venir et avait le sentiment que tous les feux étaient au vert. C'était sans compter sur les débuts d'incendies que l'exécutif doit maintenant s'efforcer d'éteindre.
Bastien Bonnefous, Cédric Pietralunga et Solenn de Royer (avec Raphaëlle Besse Desmoulières)
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