Les civils pris au piège de la Ghouta
Des milliers d'habitants de l'enclave assiégée par le régime syrien tentent de fuir
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| LE CONTEXTE |
Dialogue
Les violents combats dans la Ghouta orientale se produisent alors que la Russie entend toujours réunir à Sotchi, fin janvier, des représentants du régime et de l'opposition pour un " congrès de dialogue national ". On ignore encore quels groupes de l'opposition prendront part à cette réunion. Lundi 22 janvier, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a rencontré le négociateur en chef de l'opposition, Nasr Al-Hariri. Ce dernier a demandé des " précisions ". Signe des tensions croissantes entre Washington et Moscou, M. Lavrov a accusé, lundi, les Etats-Unis de soutenir en Syrie les combattants liés à Al-Qaida.
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Tandis que Youssouf -Ibrahim parle, on entend distinctement le bruit de bombardements. Ils se succèdent à quelques minutes d'intervalle dans la ville d'Harasta, où vit cet opposant au régime syrien. Depuis la fin décembre 2017, l'intensité des frappes aériennes et des combats a conduit des milliers d'habitants à fuir la ville. Pour Youssouf Ibrahim, membre du conseil civil local joint par -téléphone, Harasta est " l'endroit le plus dangereux de toute la Ghouta orientale ", l'enclave rebelle assiégée depuis 2013 par les forces du président Bachar Al-Assad, en lisière de Damas, la capitale.
C'est aussi sur les flancs d'Harasta qu'une attaque présumée " au moyen de substances toxiques " a eu lieu, le 13 janvier à l'aube, selon Syrians for Truth & Justice. Se basant sur des témoignages, cette ONG qui documente les violations dans le conflit syrien affirme que plusieurs obus contenant " des produits chimiques suspectés d'être du gaz chloreux " se sont abattus non loin de positions rebelles ; six civils souffrent de troubles respiratoires consécutifs à cette attaque, dans la localité voisine de Douma. Lundi 22 janvier, d'autres cas de suffocation y ont été enregistrés, après des frappes des forces prorégime : vingt et un patients, dont des enfants, ont été soignés à la suite de ce que des secouristes et des médecins sur place dénoncent comme une nouvelle attaque au chlore.
Sort " très précaire "Mais, dans la Ghouta orientale, c'est surtout le déluge de feu en cours, qui sème la mort. Dans la zone d'Harasta, les combats d'artillerie font rage entre, d'un côté, l'armée et ses alliés, et, de l'autre, combattants rebelles ou djihadistes. Nuit et jour, les avions russes ou syriens effectuent d'intenses frappes aériennes autour de la ligne de front. Celle-ci s'étend vers des localités voisines, dans le nord-ouest de la Ghouta orientale, d'où de nombreux civils partent également. D'autres affrontements se déroulent dans le sud-est du territoire rebelle, aux environs de Nachabiyé ; là aussi, les habitants fuient par milliers.
Sur ces deux fronts chauds, plus de 5 000 familles ont abandonné leur foyer au cours des dernières semaines, selon le Bureau de secours unifié de la Ghouta orientale, une association caritative. " Leur sort est très précaire, ils n'emportent rien avec eux ",insiste Mohammad Burghleh, un porte-parole de l'association, en contact quotidien, depuis la -Turquie où il vit en exil, avec ses collègues et sa famille restés dans la poche rebelle.
Les mouvements de civils au sein de la région ne sont pas nouveaux. Ils ont commencé dès 2012. En novembre, selon des estimations, les déplacés internes formaient déjà près de 25 % de la population de l'enclave rebelle. En 2017, les bombardements -aériens, mais aussi les combats internes entre factions anti-Assad, ont accru les départs.
Pour ceux qui fuient d'une ville à l'autre, sur des routes exposées aux tirs et jalonnées de barrages tenus par les rebelles, les conditions de vie sont tragiques : l'hiver rend plus dures encore les pénuries causées par le siège. Depuis fin novembre 2017, l'entrée de stocks de nourriture, convoyés par un commerçant local disposant de connexions avec le régime, a infléchi les prix, qui restent toutefois élevés. La spéculation va bon train et des chefs rebelles tirent aussi profit de cette économie de guerre.
La vie s'est arrêtéeSi certaines bourgades sont moins touchées par les raids, " il n'y a pas d'endroit sûr dans la Ghouta orientale ", affirme Mohammad Burghleh. Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme, plus de deux cents personnes ont été tuées dans l'enclave rebelle depuis la fin du mois de décembre, dont plus de cinquante enfants. Dans un décor d'apocalypse, des blessés sont hissés chaque jour hors des décombres.
Parmi les civils fuyant la nouvelle flambée de violence, ceux qui le peuvent trouvent refuge auprès de proches, d'autres doivent louer ou s'abriter dans des logements de fortune. " Certains s'installent dans les maisons laissées vacantes par ceux qui ont quitté la région ", ajoute Abou Ahed, un médecin de Kafr Batna, au centre de l'enclave. Le bureau de secours unifié tente notamment de convoyer pain et vêtements chauds aux déplacés à Kafr Batna et dans ses alentours.
Sans accalmie, tout acheminement d'aide humanitaire internationale, dont dépendent de nombreux civils, demeure impossible. Les autorités syriennes imposent déjà de dures restrictions : seuls quelques convois ont été autorisés à pénétrer depuis septembre 2017 dans la Ghouta orientale. Et, quand l'aide parvient, elle est insuffisante, sans compter qu'une partie est confisquée par les factions insurgées.
A Harasta, près du front, les civils encore présents sur place " se terrent dans des abris en sous-sol ", affirme Youssouf Ibrahim. La vie s'est arrêtée. Les écoles sont fermées depuis la mi-novembre. A cette date, plusieurs factions anti-Assad avaient lancé l'assaut contre une position militaire de l'armée dans cette zone. Depuis, attaques et contre-attaques se suivent sans relâche. Le régime semble déterminé à resserrer l'étau autour de l'enclave assiégée. Les groupes rebelles se battent avec acharnement et frappent aussi Damas, en tirant des obus meurtriers contre la capitale. Lundi 22 janvier, leurs obus de mortier se sont abattus à l'heure de la sortie des écoles contre le quartier de Bab Touma, dans la vieille ville, ainsi que dans d'autres faubourgs, faisant neuf morts et plus de vingt blessés selon les autorités.
Laure Stephan
© Le Monde
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La charge de Rex Tillerson contre Moscou et les armes chimiques
Paris a lancé, mardi, une initiative internationale contre l'usage de telles armes afin de sanctionner ceux qui en ont fait usage en Syrie
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Le décret gelant les avoirs de vingt-quatre entités et responsables d'entreprises basés en Syrie, au Liban, en Chine, aux Emirats arabes unis mais aussi en France, accusés d'alimenter l'arsenal chimique syrien a été publié au Journal officielfrançais, mardi 23 janvier, quelques heures avant l'ouverture à Paris d'une conférence réunissant les ministres des affaires étrangères de vingt-quatre pays afin de lutter contre l'impunité d'emploi de telles armes.
Ce sont des petites entreprises qui se présentent comme distributeurs de métaux ou d'électronique, voire de simples boîtes aux lettres. Aucun responsable politique syrien n'est cité.
La publication de cette liste noire, pour limitée qu'elle soit, est la première initiative du " Partenariat international contre l'impunité d'utilisation d'armes chimiques " lancé par la France afin de collecter et partager des informations pour permettre, à terme, de lancer des poursuites.
Nouvelle preuveUne convention internationale signée en 1993 et reconnue par 192 pays interdit ces armes, utilisées plus d'une centaine de fois dans le conflit syrien depuis 2012, le plus souvent par le régime syrien mais aussi par l'organisation Etat islamique.
" Il est impossible de nier que la Russie, en protégeant son allié syrien, a violé ses engagements ", a lancé le secrétaire d'Etat américain, Rex Tillerson, qui a dressé un véritable réquisitoire contre le Kremlin, estimant que son incapacité à faire respecter l'accord de 2013 encadrant la destruction de l'arsenal chimique de Damas remettait en cause son rôle dans la recherche d'un règlement global du conflit. " Depuis avril 2014, il y a des preuves supplémentaires indiquant que la Syrie possède des armes chimiques illicites et continue de les utiliser contre sa propre population ", a insisté le chef de la diplomatie américaine.
L'attaque chimique, vraisemblablement au chlore, contre Douma, dans la banlieue proche de Damas, en début de semaine, en est une nouvelle preuve. " Quels que soient les responsables de ces attaques, la Russie sera in fine tenue responsable des victimes de la Ghouta orientale et des innombrables Syriens victimes d'attaques chimiques depuis qu'elle s'est impliquée dans le conflit syrien ", a insisté le diplomate américain.
Son homologue français, Jean-Yves Le Drian, n'a pas mentionné Moscou, dénonçant seulement " l'obstruction de certains pays qui instaurent une espèce d'impunité de fait ".
" Chlore, sarin, gaz moutarde, VX : ces noms de mort sont revenus sur le devant de la scène internationale et, avec eux, les images terribles des victimes de ces armes de terreur ", a énuméré le ministre français. Il s'agit, pour Paris, de contourner le blocage au Conseil de sécurité où, par deux fois en novembre 2017, la Russie avait mis son veto à la reconduction de l'enquête sur l'attaque au sarin contre Khan Cheikhoun, localité rebelle du nord de la Syrie, qui avait fait 83 morts le 4 avril 2017.
Ecran de fuméeMoscou a annoncé le 23 janvier déposer un projet de résolution pour créer un nouveau mécanisme d'investigation " vraiment impartial et indépendant ". La représentante américaine, Nikki Haley, a rejeté cette initiative, la qualifiant d'écran de fumée " qui ne cherche qu'à faire diversion ".
La déclaration commune, signée par les ministres des 24 pays (les Etats-Unis, une dizaine d'Européens, la Turquie, l'Ukraine, la Corée, le Japon, le Sénégal et la Côte d'Ivoire, le Maroc et la Tunisie), promet " une réponse ferme s'appuyant sur des mesures nationales et internationales pour garantir que les responsables de l'utilisation d'armes chimiques rendent des comptes ".
A l'issue de cette conférence s'est tenue une réunion à huis clos des ministres des affaires étrangères français, américain, britannique, jordanien et saoudien afin de se concerter sur une action commune dans le dossier syrien et " remettre le processus diplomatique de Genève au centre de l'action diplomatique " avec la reprise des pourparlers sous l'égide de l'ONU à Vienne les 25 et 26 janvier et avant le Congrès du dialogue national syrien convoqué par la Russie à Sotchi à la fin du mois.
Marc Semo
© Le Monde
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