L'exercice démocratique est un pari risqué en Egypte. L'ancien chef d'état-major de l'armée Sami Anan l'a appris à ses dépens, mardi 23 janvier. Trois jours après avoir annoncé sa candidature à l'élection présidentielle du 26 mars, face au président sortant Abdel Fattah Al-Sissi, le général à la retraite a été arrêté, accusé par l'institution militaire d'incitation à la division entre les forces armées et le peuple, et de falsification de documents officiels. Débarrassé de ce rival, dont la popularité croissante auprès des déçus du pouvoir commençait à inquiéter,le président Sissi est plus que jamais assuré d'être reconduit pour un second mandat au terme d'une élection en forme de plébiscite.
Les ambitions présidentielles du général Anan, 69 ans, étaient connues depuis longtemps. Chef d'état-major de l'armée de 2005 jusqu'à sa mise à l'écart par le président islamiste Mohamed Morsi en 2012, M. Anan s'était porté candidat en 2014 avant de se retirer au profit d'Abdel Fattah Al-Sissi, qui lui avait succédé à la tête de l'armée. Bien des observateurs pensaient, jusqu'à sa déclaration de candidature, samedi, qu'il renoncerait cette fois encore.
" Intrusions "Avant lui, trois candidats à la présidentielle avaient déjà été écartés ou avaient dû renoncer à se présenter, dont l'ex-premier ministre et général de l'armée de l'air Ahmed Chafiq. Seuls le patron du club de football de Zamalek, Mortada Mansour, et l'avocat de gauche Khaled Ali, dont la candidature est incertaine en raison d'ennuis judiciaires, sont encore susceptibles de se présenter avant la date limite de dépôt des candidatures, le 29 janvier.
Dans sa vidéo de candidature, partagée sur Facebook, Sami Anan disait vouloir corriger
" les mauvaises politiques " menées depuis la destitution par M. Sissi, alors chef de l'armée, du président Morsi à l'été 2013. Il y dénonçait la détérioration des conditions de vie et
" l'érosion " des capacités de l'Etat dans la gestion des dossiers de politique intérieure et étrangère, critiquant l'implication croissante de l'armée dans la vie politique et économique. Il appelait l'armée et les institutions étatiques à rester neutres dans l'élection présidentielle.
Sami Anan aurait pu réunir un électorat non négligeable entre les nostalgiques de l'ère Moubarak et les déçus de la présidence Sissi. Ces derniers sont nombreux parmi les Egyptiens qui subissent l'inflation galopante consécutive aux réformes économiques mises en œuvre par le gouvernement Sissi. Par ses appels à l'ouverture et au respect des libertés, il suscitait un intérêt grandissant parmi les militants prodémocratie et les partisans des Frères musulmans, cibles d'une terrible répression sous la présidence Sissi. Lundi, Youssef Nada, un responsable en exil de la confrérie islamiste avait même publié une lettre pour lui offrir son soutien en échange de garanties, dont la libération de M. Morsi.
" Sami Anan a toujours été vu comme le partisan d'une cohabitation entre les Frères musulmans et l'armée ", explique Tewfik Aclimandos, historien de l'Egypte associé au Collège de France.
Proches des soufis, on lui prêtait également des soutiens en Arabie saoudite et au sein du régime égyptien.
" Le limogeage du chef des renseignements généraux, Khaled Fawzy, le 18 janvier, a suscité les rumeurs d'une rivalité entre ses services, dont M. Anan était proche, et les renseignements militaires, dont est issu M. Sissi. Les renseignements généraux, qui étaient responsables des affaires de politique intérieure et étrangère sous Moubarak, n'auraient pas supporté les intrusions de M. Sissi et des renseignements militaires qui ont étendu leur influence sous son règne ", explique Robert Springborg, spécialiste en sécurité nationale et auteur d'
Egypt (Polity Press, 2017, non traduit).
FébrilitéDepuis sa déclaration de candidature, M. Anan subissait les attaques répétées des médias aux ordres du pouvoir. Sa candidature risquait de saper l'apparente unité au sein de l'institution militaire, majoritairement acquise au président Sissi. Dans le communiqué, diffusé mardi à la télévision, l'armée a accusé M. Anan de vouloir créer la
" division " entre l'armée et le peuple et d'avoir annoncé sa candidature
" sans l'autorisation des forces armées et sans suivre les procédures requises pour mettre fin à son service actif dans l'armée ", en falsifiant des
" documents officiels pour affirmer que son service dans l'armée est terminé ". Au même moment, M. Anan a été arrêté et emmené au parquet militaire, selon son entourage, qui a annoncé qu'il renonçait à faire campagne. Le procureur militaire a imposé une censure sur l'affaire dans les médias.
" L'arrestation du général Anan va marquer les esprits, même s'il est difficile de dire dans quelle mesure ", dit Tewfik Aclimandos. L'homme est le plus haut gradé à faire les frais de la répression du président Sissi, qui a emprisonné des dizaines de milliers d'opposants. L'histoire égyptienne a connu des précédents de cet ordre, notamment lorsque Gamal Abdel Nasser, figure modèle du président Sissi, avait fait emprisonner, en 1954, le général Mohammed Naguib, le premier président égyptien, jugé trop favorable aux Frères musulmans.
" Sur le papier, le général Anan ne pouvait pas gagner, mais le régime a estimé que la menace était suffisamment sérieuse pour décider de le mettre hors d'état de nuire. Il a craint un effet boule de neige ", analyse M. Aclimandos. Le président Sissi pouvait pourtant compter sur des médias et une administration soumis pour empêcher que la campagne du général Anan ait une trop grande résonance. Mais cette dernière menaçait d'alimenter le débat et les critiques virulentes exprimées, sur les réseaux sociaux et dans la rue, à son encontre.
L'arrestation du général Anan traduit, aux yeux des experts, la fébrilité et le manque de confiance du président Sissi à l'approche de l'élection.
" Le président Sissi n'est pas un homme politique. Il n'est pas à l'aise avec la politique et n'est pas un bon meneur de campagne. M. Anan était plus à l'aise en politique et incarnait l'ouverture face à lui ",analyse le professeur Springborg. Cette fermeture du jeu ne semble toutefois pas, déplore-t-il, incommoder les chancelleries occidentales, dont la France, qui n'ont pas réagi à ce stade à l'arrestation du candidat Anan.
Hélène Sallon
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