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jeudi 11 janvier 2018

CULTURE - Les lettres d'André Breton en deux ouvrages

CULTURE



11 janvier 2018

Les lettres d'André Breton en deux ouvrages

Gallimard publie sa correspondance avec Benjamin Péret, Francis Picabia et Tristan Tzara

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Suite de la publication de la correspondance d'André Breton : après les lettres à Simone Kahn, sa première épouse, et celles à Jacques Doucet, son mécène des années 1920, paraissent deux nouveaux volumes. Le premier réunit les échanges avec Tristan Tzara et Francis Picabia entre 1919 et 1924, soit un tome placé surtout sous le signe de Dada, complété par des lettres plus tardives. Le deuxième est consacré à la conversation entre Breton et Benjamin Péret de 1920 à 1959, entrelacs de réflexions politiques, de confidences amicales et de chroniques du surréalisme au quotidien.
Entre Breton et Tzara se succèdent déclarations d'entente absolue et querelles. En  1919, Breton attend Tzara comme le messie de la révolution que celui-ci a fait éclater à Zurich et Tzara n'est pas en reste d'enthousiasme. L'année suivante, ce dernier arrive à Paris et le temps de l'entente lyrique prend fin. Plus de longues déclarations, mais des billets pour se donner rendez-vous, d'autres pour s'excuser de s'être manqué, d'autres encore pour s'expliquer sur des rumeurs de critique – souvent justifiées – de l'un envers l'autre. On se donne de l'" affectueusement " mais l'adverbe ne trompe personne : la fraternité était possible à distance seulement et elle a tourné à la rivalité, avec Paul Eluard, Louis Aragon ou Robert Desnos dans les seconds rôles.
Avec Picabia, même évolution, d'une admiration proche de la déférence du poète pour le peintre à des agacements qui s'enveniment. La dernière lettre de Breton à Picabia riposte vivement à ce qu'il perçoit comme une tentative de ce dernier d'usurper la dignité de directeur de conscience du surréalisme, quelques mois avant que Breton publie son premier Manifeste. Réplique publique de Picabia : " Quand j'ai fumé des cigarettes, je n'ai pas l'habitude de garder les mégots. " Bien plus tard, ils se sont réconciliés à peu près, sur fond de souvenirs communs.
Rien de tel avec Péret : amitié et confiance entières, pas de poses, pas de petites tactiques éditoriales. Quand Péret part en  1936 défendre la République espagnole en Catalogne, les lettres qu'il envoie à Breton sont des récits et des analyses d'une clarté exemplaire. Il a vite fait de comprendre que l'attitude de l'URSS – et donc des communistes espagnols – s'explique plus par la volonté de liquider trotskistes et anarchistes que par celle de vaincre les franquistes et leurs alliés fascistes et nazis : " Politique de bluff, d'intrigues et de lâcheté de l'Internationale communiste ", écrit-il le 29 octobre 1936. Mais les combats lui laissent peu de temps pour de longues pages.
Intrigues, jalousies, liaisonsA l'inverse, quand il se réfugie au Mexique en compagnie de Remedios Varo durant la seconde guerre mondiale, il n'a que trop le temps d'écrire, tant il a de mal à trouver de quoi payer loyer et nourriture. Breton, réfugié à New York, se trouve dans une situation matérielle moins difficile mais il a, lui aussi, du temps pour écrire. Leur correspondance de 1941 à 1945 est donc d'une importance centrale pour l'histoire du surréalisme en exil. Elle révèle, entre autres grands moments, des pages où Breton dépeint avec sévérité, avec dégoût parfois, les attitudes de nombre de ses plus proches amis, Yves Tanguy, André Masson, Max Ernst, etc. Intrigues, marchandages, jalousies, liaisons : il ne laisse rien passer. Un seul fait exception, Duchamp, " lui toujours le même, gardé par un scepticisme absolu de tout ce qui peut être incommodant, l'esprit toujours si éveillé, le grand sens de la liberté, de la nouveauté (…) ". Les chroniques de Péret, où apparaissent entre autres Leonora Carrington, Frida Kahlo, Diego Rivera et Victor Serge, sont d'une lucidité non moins désabusée. Leur restent à tous deux les découvertes de cultures qu'ils connaissaient auparavant mal, peuples précolombiens et indiens dont les mythes et les œuvres leur rendent le présent plus supportable.
Philippe Dagen

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