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jeudi 25 janvier 2018

Brexit : l'ambiguïté du Labour de plus en plus critiquée


25 janvier 2018.

Brexit : l'ambiguïté du Labour de plus en plus critiquée

Les travaillistes pro-européens contestent la ligne de Jeremy Corbyn et souhaitent que le Royaume-Uni reste dans le marché unique européen

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LE CONTEXTE
Confusion
Six Britanniques sur dix pensent que la position des travaillistes sur le Brexit n'est" pas claire ", selon un sondage de l'institut YouGov publié fin décembre 2017. Même chez les électeurs travaillistes, la confusion règne : 31 % de ceux qui ont voté contre le Brexit pensent que le parti est " complètement contre le Brexit ", tandis qu'une proportion équivalente de ceux qui ont voté pour estiment que c'est " complètement " la politique de leur parti. En termes électoraux, cette ambiguïté a payé : tandis que Theresa May, partisane d'une rupture nette avec l'UE, perdait sa majorité aux législatives de juin 2017, le Labour ralliait 40 % des voix et gagnait 30 sièges aux Communes. Les LibDem, qui combattent ouvertement le Brexit, ont, eux, essuyé une défaite.
Dans la partie de poker menteur du Brexit, le Parti travailliste de Jeremy Corbyn n'est pas le dernier à jouer sur les mots. Logiquement, le Labour devrait se poser en grand parti anti-Brexit. Suivant sa consigne, les deux tiers de ses électeurs ont voté pour rester dans l'Union européenne au référendum de juin  2016 et l'immense majorité de ses députés pourfendent le Brexit. Pourtant, le parti est loin de s'y opposer frontalement, de peur de désespérer ses partisans pro-Brexit, souvent résidents des quartiers populaires dans les villes du nord de l'Angleterre.
De fait, les deux tiers des circonscriptions tenues par le Labour ont voté majoritairement pour le Brexit. " Nous ne pouvons pas contourner le résultat du référendum et dire aux gens que leur décision était stupide,explique Emily Thorn-berry, ministre des affaires étrangères du " cabinet fantôme " Labour. Notre devoir est maintenant d'unir le pays, de rassembler les 52  % et les 48  %. Nous devons quitter l'UE, mais nous n'avons pas besoin d'aller très loin. "
Pourtant, au sein même du Labour, des voix s'élèvent pour sortir de la confusion et infléchir le message de la formation dans un sens prœuropéen. Le dilemme se concentre sur la question du maintien ou non du Royaume-Uni dans le marché unique. Les prœuropéens y sont favorables, au nom de la préservation des liens avec le continent et de l'emploi, que l'instauration de droits de douane compromettrait.
Mais Jeremy Corbyn l'a répété sur ITV, le 14  janvier : pour lui, sortir de l'UE suppose de sortir du marché unique. Le vieux militant d'extrême gauche ne porte pas l'Union dans son cœur. Ambigu, il se pose en leader d'un parti qui accepte le Brexit, mais, s'il arrivait au pouvoir, négocierait un accord commercial offrant " exactement les mêmes avantages " que le marché unique après le Brexit.
CoupureLe rejet du marché unique par M. Corbyn a déclenché l'ire des prœuropéens du parti. Ils ont fait valoir que la Norvège, qui n'appartient pas à l'UE, bénéficie d'un libre accès à ce marché. Mais en contrepartie, Oslo contribue au budget européen et respecte la libre circulation des personnes, rejetée par les Britanniques et dont le Labour ne veut pas. Qu'à cela ne tienne : pour Emily Thornberry, le Labour obtiendra de l'UE une restriction de la libre circulation. " Bruxelles sera plus ouvert sur ce point, croit-elle, car le Brexit cause aussi un problème aux Vingt-Sept. "
Sur la question centrale du marché unique européen, la coupure entre l'opinion de gauche et la " ligne Corbyn " est de plus en plus perceptible. Selon des sondages, 56  % des électeurs travaillistes, et même 87  % des adhérents, souhaitent que Londres s'y maintienne. Chez les députés, ce taux atteint 90  %. Or ce sont eux qui approuveront ou rejetteront, cet automne, un accord sur les relations commerciales futures avec l'UE.
L'hypothèse d'un second référendum sépare, elle aussi, la base de la direction du Labour : formellement rejetée par M. Corbyn, elle est approuvée par 78  % des adhérents et 51  % des électeurs. " Le Brexit pose un défi aux dirigeants des deux grands partis, souligne Anand Menon, professeur de sciences politiques à King's College. Leurs positions contredisent ceux de leurs propres députés. " D'où de possibles surprises aux Communes, si les rebelles prœuropéens des conservateurs s'allient avec les élus du Labour.
Porte-voix travailliste officiel sur le Brexit et juriste subtil, le député Keir Starmer conduit la lente progression du parti vers une position plus ouverte à l'égard de l'UE, tout en tentant de calmer les impatients. " Notre programme, vient-il de rappeler,prévoit que nous demanderons la plus grande proximité possible avec le marché unique européen, sans atteinte ni aux droits, ni aux protections, ni aux normes. " A l'été 2017, il a discrètement fait prendre au parti un premier tournant : il défend désormais le maintien dans le marché unique pendant la " période de transition " qui doit séparer la sortie formelle de l'UE, le 29  mars 2019, du divorce effectif à la fin de 2021. Le pas suivant – la défense du maintien dans le marché unique après 2021 – pourrait être franchi si l'opinion évolue.
Limiter les dégâtsPour l'heure, la politique des petits pas et de l'ambiguïté tactique prévaut. Après tout, les électeurs britanniques sont loin d'avoir basculé : si 63  % d'entre eux désapprouvent la façon dont Theresa May mène les négociations avec Bruxelles, les partisans du Brexit – 45  % – pèsent un poids équivalent à celui des opposants (44  %). Ces derniers semblent d'ailleurs plus soucieux de limiter les dégâts du Brexit que de le contrecarrer.
Mais la négociation qui va s'ouvrir au printemps avec l'UE sur les futures relations commerciales soulèvera des questions d'emploi, de politique industrielle, d'environnement et de protection sociale sur lesquelles le Labour peut difficilement rester silencieux. Surtout au moment où les proches de Jeremy Corbyn, les militants très à gauche du mouvement Momentum, viennent de prendre le contrôle de la direction du parti. Et quand il s'agira d'approuver ou non à Westminster l'accord de rupture avec l'UE, personne n'imagine que le Labour puisse voter à l'unisson des tories.
Philippe Bernard
© Le Monde

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