Le Bundestag et l'Assemblée ont célébré, lundi 22 janvier, le 55e anniversaire du traité de l'Elysée. Pour leurs présidents respectifs, Wolfgang Schäuble (CDU) et François de Rugy (La République en marche), le rapprochement en cours entre la France et l'Allemagne peut permettre la relance du projet européen.
Ces derniers mois, l'initiative vient surtout de Paris ou de Bruxelles pour relancer l'Europe. L'Allemagne est-elle encore une force de proposition ?
Wolfgang Schäuble. Après d'intenses débats, le congrès du SPD a voté, dimanche, en faveur de négociations de coalition. Nous attendons avec confiance la formation d'un exécutif capable d'agir. La capacité d'initiative d'un gouvernement réduit à gérer les affaires courantes
est en effet limitée. Il est dès lors très bien qu'Emmanuel Macron ait pu assurer un leadership fort en France. La jalousie n'existe pas dans notre relation avec nos amis français. Notre conviction est la suivante : plus la France est forte, mieux c'est pour l'Allemagne et pour l'Europe. Je crois que l'inverse est vrai aussi. Cela a été un argument important pour convaincre le SPD de former le gouvernement.
François de Rugy. J'ai connu des périodes où le contraire prévalait. Nous ne pouvions pas aller de l'avant, car la France était trop faible, aussi bien économiquement que sur la scène européenne. Le président Macron dispose aujourd'hui d'une légitimité indiscutable, le débat sur l'Europe ayant été mené pendant la campagne électorale. Au second tour, il s'est imposé contre Marine Le Pen, qui défendait une vision diamétralement opposée. Même sans coalition, j'ai pu constater que les propositions faites à Paris influencent les discussions à Berlin. Je ne doute pas que nous recevrons une réponse positive de la part du prochain gouvernement. Le FDP
- le parti libéral allemand - était sur une ligne beaucoup plus prudente en tant que partenaire potentiel de coalition.
La France a-t-elle retrouvé sa crédibilité en Europe ?
W. S. La France a toujours été crédible. Mais il ne fait pas de doute qu'elle connaît depuis huit mois une relance remarquable sur le plan politique et économique. Ludwig Erhard
- chancelier de RFA de 1963 à 1966 - disait que la politique économique, c'est pour moitié de la psychologie. Il est très bénéfique de créer un climat de confiance dans l'avenir.
Comment expliquez-vous qu'en Allemagne, toute avancée européenne soit soupçonnée de viser à dépenser l'argent allemand ?
W. S. Un de mes prédécesseurs au ministère des finances, Hans Apel, a dit un jour que l'Allemagne était le " bailleur de fonds " de l'Europe. A la CDU, nous considérons que cela est faux, et je n'ai jamais utilisé cette expression. Nous savons que nous tirons un grand avantage économique et politique de l'Union européenne
- UE - . Mais il existe différentes opinions. L'AfD (extrême droite) affirme que les traités européens ne servent qu'à détourner l'argent allemand. Cela n'est la position ni de la grande majorité du Bundestag ni du gouvernement.
Le préaccord de coalition indique même que l'Allemagne veut contribuer davantage au budget de l'UE. Combien et pourquoi ?
W. S. Je me réjouis beaucoup de cette perspective, dont les détails doivent encore être précisés. Il s'agit d'avoir plus de moyens pour mener certains investissements en Europe. Cela n'est pas nouveau. Déjà, pendant le mandat de Nicolas Sarkozy, la chancelière Angela Merkel avait proposé une sorte de budget de la zone euro sur une base intergouvernementale. Il n'a pas vu le jour à l'époque. J'ai moi-même contribué à une initiative pour lutter contre le chômage des jeunes.
La France n'aurait-elle pas pu être davantage solidaire de l'Allemagne au plus fort de la crise migratoire ?
W. S. Non, chaque pays a ses problèmes. La question de la répartition des réfugiés en Europe – contestée à l'Est – n'est pas prioritaire. La priorité est plutôt de savoir comment contrôler les frontières extérieures, et de soutenir ceux qui en ont la charge. Nous avons besoin d'une procédure d'asile commune. Mais nous devons veiller à ne pas dilapider le grand acquis de l'UE : la fin de la division du continent européen telle que décidée à Yalta. Un interlocuteur polonais m'a un jour expliqué que les réfugiés ne veulent de toute façon pas venir dans son pays. Pour moi, une politique migratoire et d'intégration commune est plus importante que les quotas de répartition des demandeurs d'asile.
Doit-on renforcer le Parlement européen, comme le veulent la CDU et le SPD, ou plutôt créer un parlement de la zone euro, comme le suggère M. Macron ?
F. de R. Les deux sont nécessaires. La démocratie européenne, dont le cœur bat au Parlement européen, doit être encore développée. La zone euro a une problématique spécifique, car des députés venant de pays qui n'en sont pas membres siègent au Parlement européen. Nous avons appris par ailleurs que le fonctionnement actuel de l'union monétaire n'empêche pas l'émergence de crises, comme celle de la Grèce, puis des dettes souveraines. Nous sommes parvenus à les surmonter, même si ce fut dans la douleur. La solidarité européenne a prévalu.
W. S. Nous devons développer la démocratie au sein de l'UE si nous voulons éviter qu'elle soit la cible des critiques eurosceptiques. L'enjeu est de savoir qui est compétent pour telle ou telle décision. D'après les traités européens, les Etats membres, et donc les Parlements nationaux, sont responsables des questions budgétaires. C'est aussi le cas au sein de la zone euro, et notre Tribunal constitutionnel ne laisse aucun doute sur ce point. A terme, nous devrions changer les traités européens. Pendant une période transitoire, nous pourrions, sans changer les traités, former une chambre spécifique de députés européens ressortissants des pays de l'euro. Ce serait très pragmatique.
M. Schäuble, êtes-vous surpris des réserves que suscite en France votre idée de fonds monétaire européen ?
W. S. J'ai déjà parlé à plusieurs reprises avec Emmanuel Macron de la transformation du Mécanisme européen de stabilité
- le fonds de secours de la zone euro - en fonds monétaire européen. Je n'ai jamais entendu de sa part la moindre opposition de principe. Mais on doit bien sûr se mettre d'accord sur les détails de ce dispositif.
F. de R. Je ne suis pas le porte-parole de M. Macron ni son ministre des finances. A titre personnel, je milite pour la mise en place d'un certain nombre de mécanismes européens de solidarité et de mutualisation. Une meilleure coordination au sein de la zone euro, dotée d'un ministre des finances et d'un contrôle parlementaire, peut y contribuer.
Pourquoi avoir besoin d'un nouveau traité franco-allemand, étant donné que l'Allemagne et la France sont associées étroitement au sein de l'Union européenne ?
W. S. L'unité européenne se construit toujours à partir de la coopération entre la France et l'Allemagne. Certaines questions restent de compétence nationale et nous les abordons donc en bilatéral, comme l'enseignement des langues, le renforcement des régions frontalières et l'apprentissage. Si nous voulons aller plus vite en matière d'imposition des entreprises, il faudra aussi en passer par un accord franco-allemand.
F. de R. L'UE n'avance pas toute seule, mais par le biais des Etats-nations. Il est parfois impossible de faire des progrès si nous sommes dépendants d'un accord à vingt-sept. Les tentatives de constituer des axes alternatifs, franco-britannique ou méditerranéen, n'ont mené à rien.
A quel domaine pensez-vous ?
F. de R. La défense ne peut pas beaucoup avancer à vingt-sept, mais la coopération entre nos deux pays progresse dans ce domaine. Quand a commencé l'intervention française au Mali, voici cinq ans, j'ai parlé avec des députés écologistes allemands qui refusaient toute participation allemande, car l'opinion publique était contre. Par la suite, l'armée allemande a apporté un soutien important à la France. C'est la même chose dans l'industrie de l'armement, où il n'y avait presque aucun travail en commun. Il existe maintenant une entreprise commune de production de chars, un symbole fort vu notre histoire.
W. S. La défense est le défi du moment, mais ce n'est pas un sujet facile. En Allemagne, l'accord du Parlement est nécessaire pour tout engagement militaire. Cela fait partie des spécificités allemandes. Si nous voulons travailler de manière plus efficace en matière de défense dans un cadre franco-allemand ou au sein de l'Europe, cela doit donc passer par des relations plus étroites entre nos deux Parlements.
Avez-vous le sentiment que vos propositions de 1994, avec Karl Lamers, en vue d'aller vers un " noyau dur " européen, s'imposent désormais ?
W. S. L'idée de base reste valide : ceux qui veulent avancer doivent pouvoir le faire sur une base volontaire. L'Europe ne pourra fonctionner qu'ainsi. Nous avons appliqué ce principe pour créer l'espace Schengen, la zone euro et la coopération en matière de défense. Le plus lent ne doit pas être celui qui donne le tempo en Europe.
Propos recueillis par Philippe Ricard et Michaela Wiegel (" Frankfurter Allgemeine Zeitung ")
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