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vendredi 22 décembre 2017

Les Crises.fr - Jupiter et la fin de la politique africaine de la France ? Par Guillaume Berlat


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22
Déc
2017

Jupiter et la fin de la politique africaine de la France ? Par Guillaume Berlat

JUPITER ET LA FIN DE LA POLITIQUE AFRICAINE DE LA FRANCE ? Guillaume Berlat. Alors que l’Union européenne lui inflige un camouflet sur le glyphosate (grâce aux Allemands)1, que le pape François sillonne la Birmanie et le Bangladesh (pour s’informer sur le sort des Rohingyas2) et que la Corée du nord effectue un nouveau tir de missile intercontinental (elle déclare être puissance nucléaire)3, l’infatigable Emmanuel Macron arrive en Afrique (il avait rendu visite aux forces françaises au Mali au tout début de son mandat). Adresse à la jeunesse à Ouagadougou, « renouvellement du partenariat Europe-Afrique » au sommet d’Abidjan (écologie et sécurité) et incursion en Afrique anglophone pour faire bonne mesure à Accra sont au menu de la première tournée africaine du chef de l’Etat. Avant son arrivée au Burkina Faso, les forces françaises sont visées par une grenade. Ses communicants précisent, qu’une fois n’est pas coutume, le président adoptera une posture « d’humilité» dans son adresse à l’Afrique par laquelle il entend redorer l’image d’une France écornée4 et dont l’influence est partout en recul sur le continent5. Il est accompagné de trois ministres (Affaires étrangères, Éducation et Sports) ainsi que de sa représentante personnelle pour la Francophonie, Leïla Slimani6. Revenons sur les trois étapes de cette visite officielle !
LE DISCOURS DE OUAGADOUGOU : LA FIN DU NÉO-COLONIALISME ?
Le contexte général : une ambiance chaude. Arrivé à Ouagadougou le 27 novembre 2017, le président français s’entretient avec son homologue Roch Marc Christian Kaboré au palais de Kosyam. Il séjourne deux nuits dans ce pays qui n’est pas à l’abri du terrorisme islamiste7. Après son intervention à Ouagadougou, le président français inaugure à Zagtouli la plus grande centrale solaire d’Afrique de l’Ouest. Ce chantier a été financé par l’Union européenne (UE) et l’Agence française de développement (AFD). Il visite ensuite une start-up avant d’aller à la rencontre de la communauté française du Burkina Faso. Le président français a souhaité d’adresser à la jeunesse. Une demande qui a donné des sueurs froides aux autorités du pays. Le président burkinabè s’est rendu à plusieurs reprises sur le campus pour s’enquérir de l’organisation et de la sécurité en raison de l’agitation ambiante récurrente de la jeunesse. Tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes au Burkina-Faso. Comme dans bien d’autres pays africains.

Rappelons que lors de sa tournée, le chef de l’Etat a fait une série d’annonces, dont certaines étaient attendues de longue date par ses partenaires africains. Il s’est notamment engagé à déclassifier l’intégralité des documents français relatifs à l’assassinat de l’ancien président burkinabé Thomas Sankara. Il a également fait savoir qu’il ferait « tout pour faciliter » l’extradition au Burkina Faso de François Compaoré, le frère du président déchu burkinabé Blaise Compaoré, arrêté en octobre dernier en France dans l’enquête sur l’assassinat d’un journaliste en 1998. Autre mesure à forte portée symbolique, il a annoncé la restitution « temporaire » ou « définitive » dans les cinq ans d’œuvres d’art africaines, soulignant qu’il ne pouvait « accepter » qu’elles demeurent en France ou ailleurs en Europe.
Le long discours à l’université Joseph Ki-Zerbo : un image rajeunie de la France. Rien d’étonnant à ce qu’Emmanuel Macron ait insisté pour s’adresser à la jeunesse africaine dans l’enceinte même de l’université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou dans un discours présenté comme « fondateur » de sa politique africaine devant un millier d’étudiants triés sur le volet8. Discours interminable (deux heures trente avec étudiants assoupis), décomplexé par rapport à la décolonisation (critiquée mais assumée), appel à la responsabilisation (natalité, démocratie, immigration, sécurité…), impair avec son homologue (il encourage les élèves à se plaindre au président burkinabe du fonctionnement défectueux de la climatisation et frôle l’incident diplomatique)… La prestation est particulièrement réussie9. Elle s’organise autour des quelques axes suivants en guise des défis à relever par l’Afrique : lutte contre les routes de la nécessité (migrations) ; contre le terrorisme ; les conflits internes ; l’obscurantisme ; les changements climatiques ; contrôle de la démographie. Au titre des remèdes qu’il soumet à l’Afrique, figurent la culture, le sport et la langue française. Il en restera au moins une phrase : « je ne vous parlerai pas de la politique africaine de la France parce qu’il n’y a pas de politique africaine de la France »10. Emmanuel Macron se situe plus dans une logique de partenariat avec un continent que dans une logique de domination qu’il résume par la formule : « ni ingérence, ni indifférence ». Avec lui, la forme fait le fonds et l’on évolue entre idéal et réel.
L’UNION EUROPÉENNE À ABIDJAN : AU SECOURS DE L’AFRIQUE
A Abidjan, dès le lendemain, une intervention est prévue au sommet Union européenne (UE)-Afrique autour d’un partenariat « revisité ». Pour ce cinquième sommet (le premier s’est tenu au Caire en 2000) réunissant 83 chefs d’État et de gouvernement sont réunis pour traiter de plusieurs sujets : question migratoire ; sécurité, processus de paix ; gouvernance et jeunesse11. Mais, c’est surtout la question migratoire qui va principalement occuper les débats après les révélations de CNN qui étaient, faut bien le reconnaître, un secret de polichinelle tant la situation en Libye est chaotique. Il est évident que l’on ne peut traiter sérieusement de ce genre de sujets dans des formats aussi larges. L’important est la photo de famille qui sera prise à l’issue de la réunion. Elle fera un bon souvenir pour les participants lorsqu’ils écriront leurs Mémoires.
Mais, omniprésent, Emmanuel Macron annonce la décision de mener des « opérations d’évacuation d’urgence » des migrants victimes des trafiquants d’êtres humains ainsi que la création d’une « task force » avec partage « d’intelligence » (en français dans le texte, il aurait pu parler de partage de renseignement) pour lutter contre les passeurs avec l’aide de la Libye (de quoi parle-t-il avec des «évacuations d’urgence » ?12), à l’issue d’une réunion d’urgence en marge du sommet Union européenne-Union africaine à Abidjan13. Il fait un pas en avant et un pas en arrière14. Soulignons en passant que la problématique du traitement des personnes déplacées sur le territoire africain (de l’Afrique de l’ouest et de l’est vers la Libye) est avant tout un problème africain qui devrait en priorité être traité par les Africains dans le cadre de l’Union africaine. L’Union européenne devrait limiter son rôle à mieux calibrer son aide au développement pour fixer les populations sur leur territoire d’origine15. Elle n’a pas à prendre parti sur ces questions qui relèvent de la souveraineté des pays africains, souvent prompts à dénoncer le néo-colonialisme occidental. Elle ferait mieux d’adopter une approche globale et intégrée de la question de ses relations avec l’Afrique. Elle ferait mieux de se concentrer sur l’adoption d’une politique migratoire commune16. Ce qui constituerait déjà un excellent début ! Mais, l’Europe préfère l’approche procédurale à l’approche fonctionnelle, plus exigeante mais plus efficace sur le long terme.
LA CONCLUSION DE LA VISITE À ACCRA : UN PIED DE NEZ AUX ANGLOPHONES
Puis le Ghana le 30 novembre 2010, avant un retour en France. Outre célébrer le soixantième anniversaire de l’Alliance francophone, cette escale vise à sortir du pré-carré francophone et à saluer l’enracinement démocratique de ce pays17. Économie encore, pays incontournable en Afrique de l’Ouest, mais peu « familier » pour les Français. Emmanuel Macron l’a bien compris, pour reconquérir des parts de marché sur le continent africain, il faut avoir une approche continentale (toutes les études le disent, comme la dernière menée par l’AFD) et ne plus forcément dissocier anglophones et francophones, il faudrait même trouver des passerelles pour mieux profiter de ces immenses opportunités. Le président français est d’autant plus à l’aise au Ghana pour parler affaires que c’est un pays qui a démontré son ancrage démocratique en organisant la dixième élection présidentielle de son histoire ! Il parle de start-up et de sports.
Cette première tournée africaine de Jupiter, cette première épreuve du terrain18, peut sans conteste être qualifiée de succès surtout en termes de communication19. Il a parfaitement réussi à effacer de la mémoire de bien des Africains l’échappée du discours de « l’homme africain pas assez entré dans l’Histoire », de Nicolas Sarkozy en 2007. Le président de la République est un excellent acteur qui sait parfaitement se mettre en scène, excellant dans l’improvisation. Au fil des mois, Emmanuel Macron apparaît de plus en plus comme une sorte de « père spirituel de la diplomatie mondiale ». Il n’a pas les prudences verbales reprochées au pape lors de son voyage en Birmanie. Le 2 décembre 2017, le chef de l’État déjeunera avec Barack Obama à Paris20. Dès le 7 décembre 2017, la diplomatie économique retrouvera ses droits. Jupiter arrivera au Qatar (qui vient d’acheter 12 Rafale pour plus de 6 milliards d’euros), État accusé de financer le terrorisme par l’Arabie saoudite. Délicate visite dans le climat de tension actuel entre Riyad21 et Doha au moment où la France se qualifie de médiateur dans le différend entre Chiites et Sunnites et organisera en avril 2018 à Paris une conférence sur le financement du terrorisme !22 Vaste programme… Pour ce qui est du continent africain, Jupiter annonce implicitement la fin de la Françafrique ou de la politique africaine de la France. Reste désormais à passer des bonnes et fortes paroles aux actes ! Mais, cela, c’est une autre histoire.

1 Glyphosate : un scandale européen, Le Monde, 28 novembre 2017, pp. 1-6-7.
2 En Birmanie et au Bangladesh, le pape François veut promouvoir le dialogue, La Croix, 27 novembre 2017, p. 4.
3 Philippe Mesmer/Gilles Paris, La Corée du nord défie de nouveau Washington, Le Monde, 30 novembre 2017, p. 5.
4 Ava Djamshidi, La tournée initiatique de Macron, Le Parisien, 27 novembre 2017, p. 4.
5 Rachdia El Azzouzi, Achille Mbembe : « L’influence française est partout en recul », www.mediapart.fr , 28 novembre 2017.
6 Notons que la secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF qui a son siège à Paris), la canadienne Michaëlle Jean est régulièrement soupçonnée d’effectuer des dépenses somptuaires.
7 Antoine d’Abbundo, Au Burkina, Ouahigouya sous la menace islamiste, La Croix, 30 novembre 2017, pp. 28-29.
8 Discours du président de la République, Emmanuel Macron à l’université Ouga I, professseur Joseph Ki-Zerbo, Ouagadougou, www.elysee.fr , 28 novembre 2017.
9 Laurent Larcher, Emmanuel Macron en Afrique, un style et des propositions, La Croix, 1er décembre 2017, p. 11.
10 François Bonnet, À Ouagadougou, Macron veut une rupture, mais les difficultés sont toujours là, www.mediapart.fr , 28 novembre 2017.
11 Amélie Poinsot, Sommet Afrique-UE : il manque « une cohérence d’ensemble », www.mediapart.fr , 28 novembre 2017.
12 Jean-Baptiste François/Marie Verdier, « Vers des « évacuations d’urgence en Libye », La Croix, 1erdécembre 2017, p. 11.
13 Cyril Bensimon/Jean-Pierre Stroobants, L’UE et l’UA veulent agir sur l’esclavage en Libye, Le Monde, 1er décembre 2017, p. 3.
14 Carine Fouteau, Migrants : Macron prône une action militaire en Libye, puis recule, www.mediapart.fr , 1er décembre 2017.
15 Martine Baumard, Dans un Tchad ruiné, le mirage européen, Le Monde, 29 novembre 2017, p. 2.
16 Jean-Pierre Stroobants, Entre l’Europe et l’Afrique, la sécurité conditionne le développement, Le Monde, 29 novembre 2017, p. 2.
17 Diplomatie. Afrique. Tournée d’Emmanuel Macron : La Lettre du Continent, n° 765, 22 novembre 2017, p. 2.
18 Viviane Forson, Tournée africaine d’Emmanuel Macron : l’épreuve du terrain, www.LePoint.fr , 27 novembre 2017.
19 Éditorial, Macron et l’Afrique : les promesses d’un discours, Le Monde, 30 novembre 2017, p. 27.
20 Richard casse la Barack, Le Canard enchaîné, 29 novembre 2017, p. 1.
21 Ludovic Lamant, Les eurodéputés pour un embargo des ventes d’armes à l’Arabie saoudite, www.mediapart.fr , 1er décembre 2017.
22 Claude Angeli, Macron bien vu au Qatar et mal vu au Burkina, Le Canard enchaîné, 29 novembre 2017, p. 3
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14 réponses à Jupiter et la fin de la politique africaine de la France ? Par Guillaume Berlat

Commentaires recommandés

Julie PéréaLe 22 décembre 2017 à 09h57
Qualifiée de “succès” cette tournée de Macron relève du foutage de gueule.
Le débat brulant aujourd’hui en Afrique francophone est celui du Franc CFA. Sujet abordé par Macron uniquement suite à une question d’étudiant. Sa réponse : “c’est un non-sujet pour la France”.
C’est d’autant plus scandaleux que dans la foulée Kako Nubukpo a été virée de son poste à l’Organisation internationale de la Francophonie qualifiant les propos de Macron de “déshonorants pour les dirigeants africains”.
Je soutiens sa réintégration => http://jacquescheminade.fr/Franc-CFA-appel-a-la-reintegration-de-M-Kako-Nubukpo
Tant que la France (et l’UE) contrôlera la monnaie de pays indépendants politiquement, Macron ne sera pas sorti de la Françafrique.
http://jacquescheminade.fr/Apres-le-voyage-de-Macron-Jacques-Cheminade-rappelle-qu-il-faut?var_mode=calcul

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