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“La Libye est devenue la plaque tournante d’un gigantesque trafic d’êtres humains”
Le centre de détention de Zawiyah, Libye.
© Narciso Contreras pour la Fondation Carmignac
Lauréat du prix Carmignac 2016 du photojournalisme, le Mexicain Narciso Contreras a séjourné entre février et juin dernier dans le nord-ouest de la Libye, d’où il a ramené des images saisissantes du trafic humain mené par les milices et les groupes armés. Son reportage est exposé à Paris jusqu'au 13 novembre.
La semaine dernière, près de 8 500 personnes ont été secourues au large des côtes libyennes alors qu’elles tentaient d’arriver en Europe. Si certains ont pu traverser la Méditerranée, plusieurs centaines de milliers d’autres migrants, réfugiés et demandeurs d’asile demeurent prisonniers de milices et groupes armés rivaux qui les exploitent à des fins commerciales.
Le photojournaliste mexicain Narciso Contreras (né en 1975) a réalisé un reportage dans les centres de rétention du nord-ouest de la Libye, où les migrants illégaux sont détenus dans des conditions de vie désastreuses liées à un manque d’infrastructures sanitaires et à des violences quotidiennes. Le prix Carmignac, dont il est le lauréat 2016, récompense des reportages photographiques sur les violations des droits humains et de la liberté d’expression dans le monde. Le travail de Contreras fait l’objet d’une exposition à Paris intituléeLibye : plaque tournante du trafic humain. Il explique comment ce pays, longtemps simple point de transit pour les migrants vers l’Europe, est devenu un lieu de trafic d’êtres humains.
Vous venez de passer 73 jours en Libye, un pays dont on ne reçoit presque plus d’image. Comment décririez-vous la situation là-bas ?
La Libye est un pays exsangue depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011. Il y règne un chaos généralisé marqué par une grave crise politique et humanitaire. Le gouvernement d’union nationale peine à s’imposer face aux factions rivales. Cette instabilité est renforcée par une économie et une administration inexistantes, doublées d'une crise migratoire sans précédent. Le pays connaît un afflux important de migrants. La position de Tripoli est de dire que la Libye n’est qu’un point de passage sur le chemin vers l’Europe. Or seulement 40 % des trois millions de migrants qui vivraient dans le pays cherchent à traverser la Méditerranée, le reste y vient pour s’installer. Mais presque tous deviennent les proies d’un trafic humain organisé par des milices et des groupes criminels. Car telle est la réalité : un véritable marché d’êtres humains s’y est installé et les centres de rétention, notamment dans le Nord-Ouest, servent en réalité de points de distribution ou de ravitaillement pour les trafiquants. Tous les jours, les gens sont achetés comme de la marchandise.
Dans quelles conditions avez-vous effectué ce photoreportage ?
J’ai rarement eu l’occasion de travailler dans un environnement aussi dangereux que la Libye. La moitié du temps que j’y ai passé entre février et juin était consacré à résoudre des questions logistiques, toujours cruciales en zone de conflit. Il a fallu beaucoup de patience et de tact pour garantir ma propre sécurité dans un contexte de corruption généralisée. Mais il m'a surtout fallu m’immerger dans la société afin de pouvoir communiquer avec des personnes dont je ne parlais pas la langue. C’est ainsi que j’ai pu traverser des zones de conflit afin d’accéder aux centres de rétention.
Les risques sécuritaires étaient d’autant plus grands que j’ai voulu m’éloigner de la voie officielle imposée par Tripoli. J’avais bien compris que cela ne mènerait à rien : les centres de rétention sont photographiés depuis longtemps, mais seulement les mieux entretenus et seulement dans le but de documenter la crise des migrants en Libye afin d’obtenir une aide internationale.
Le prix Carmignac m’a offert les moyens de pouvoir faire un pas de côté, de m’échapper des canaux officiels. Car ce n’est qu’en s’éloignant de la propagande gouvernementale que l’on s’aperçoit à quel point la Libye est devenue la plaque tournante d’un gigantesque trafic d’êtres humains. De manière générale, les migrants dans ces centres de rétention se sont laissés photographier assez facilement. Car ils ne souhaitent qu’une chose : que l’on parle d’eux, que l’on raconte au monde entier ce qu’ils vivent.
Y a-t-il une issue ? Pourquoi, selon vous, la communauté internationale a l’air de fermer les yeux ?
La Libye est hors de contrôle depuis plus de cinq ans. Et il semble très difficile d’entrevoir une solution à moyen terme. Des milliers de migrants illégaux se retrouvent pris dans la spirale des réseaux mafieux. La situation est d’autant plus grave que ceux qui sont chargés de trouver une solution à ce trafic d’êtres humains sont ceux-là mêmes qui organisent le business. Les milices et les groupes armés ne sont pas prêts à s’entendre. Vous ne pouvez réellement faire confiance à personne. De nombreuses ONG sont alertées de ce qui s’y passe. Mais jusqu’ici elles manquaient de preuves et la plupart sont dépourvues de moyens pour agir dans le contexte chaotique de la Libye.
De quelle façon pensez-vous que votre travail puisse aider ?
Ce type de projet n’a vraiment jamais pour but de résoudre quoi que ce soit. En revanche, les photos que j’ai pu faire se veulent un témoignage du drame du commerce des êtres humains qui est en cours dans cette partie du monde. Ce qui se passe en Libye est bien plus qu’une crise humanitaire. Il s’agit d’une catastrophe.
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