Livres
Atroce guerre d’Espagne
L’historien Paul Preston décrit les exactions commises
entre 1936 et 1940, notamment par les franquistes
lancés dans une politique d’extermination.
LE MONDE DES LIVRES | • Mis à jour le | Par Michel Lefebvre
Une guerre d’extermination. Espagne, 1936-1940 (The Spanish Holocaust), de Paul Preston, traduit de l’anglais par Laurent Bury et Patrick Hersant, Belin, « Contemporaines », 892 p.,
29,90 €.
Un soldat nationaliste espagnol, en 1936. KEYSTONE-FRANCE
Le Britannique Paul Preston raconte dans son nouveau livre sur la guerre d’Espagne, Une guerre d’extermination, l’histoire suivante : quelques jours après le coup d’Etat militaire à Ubrique (Cadix), en juillet 1936, un groupe de phalangistes s’apprête à exécuter des prisonniers républicains dans la banlieue de la ville. Parmi les premières victimes figure le fils de 12 ans d’un gitan nommé Diego Flores. Un des phalangistes se moque du désarroi du garçon : « Et alors ? Tu vas nous lancer la malédiction du gitan ? » A quoi Flores réplique : « Oui, salaud. Je te maudis. Que ta chair tombe en morceaux et que tu meures dans d’atroces souffrances. »
Le meurtrier, qui s’enrichit par la suite en dérobant les biens de ses victimes, mourut à la fin des années 1970 d’une forme de la lèpre atrocement douloureuse. Cette anecdote macabre symbolise parfaitement la guerre civile espagnole (1936-1939), dont les plaies sont loin d’être cicatrisées. Chaque été, guidées par les familles, des équipes de légistes, aidés de volontaires venus du monde entier, ouvrent des fosses communes pour donner aux victimes des sépultures décentes.
Exactions commises contre la population civile
L’apport du livre de Paul Preston tient au prisme choisi, celui des exactions commises contre la population civile dans les deux camps, et à sa volonté de chiffrage précis. La politique d’extermination méthodique menée par le camp nationaliste ressort nettement : sur les 200 000 morts civils, les trois quarts sont le fait des franquistes, et 20 000 personnes trouvent encore la mort après la fin de la guerre, victimes d’une violente répression.
On ne trouvera pas, sous le plume de Preston, de comparatisme facile entre la « terreur rouge » et la « terreur blanche ». S’il détaille longuement les assassinats du côté républicain – qui sont le fait, enparticulier, des colonnes anarchistes –, il montre que, au bout de six mois de chaos, le gouvernement républicain y mettra de l’ordre, en réprimant les excès. Au passage, il égratigne la vision« romantique » de George Orwell.
Détaillant la grande violence à l’œuvre dans la société espagnole avant la guerre, il s’intéresse à l’émergence de théories fascisantes, en particulier dans le clergé catholique, chez qui s’implante l’idée d’éliminer « l’anti-Espagne ». La presse d’extrême droite, et notamment la revue Acción Española, créée à Madrid en 1931, se déchaîne contre la République et le « concubinage abject judéo-maçonnique et bolchevique ». Cette virulence se développe alors même qu’il y a très peu de juifs en Espagne et pas beaucoup de communistes.
L’autre point important soulevé par le livre est le rôle des militaires « africanistes » : les généraux Franco ou Mola, qui vont diriger le putsch de 1936, ont servi au Maroc espagnol où ils pratiquaient déjà, avec leurs légionnaires, assassinats systématiques, mutilations, viols et pillages.
Le terrible sort des femmes
Au terme d’une lecture parfois éprouvante, il ressort de cet imposant livre-réquisitoire que la politique de terreur des franquistes fut caractérisée par une répression extrajudiciaire féroce ; par le mépris absolu des victimes, qu’ils soient hommes, enfants ou femmes (Preston écrit des pages terribles sur le sort réservé à ces dernières) ; par la volonté de faire disparaître les traces par l’enfouissement des morts et la spoliation de leurs biens ; par, enfin, la destruction de catégories entières de populations : instituteurs, militants de gauche, francs-maçons.
Héritier des grands historiens britanniques de la guerre civile espagnole, comme le précurseur Hugh Thomas, Paul Preston a écrit une dizaine de livres sur la période, dont une brillante biographie de Franco (1995, non traduit). L’édition originale d’Une guerre d’extermination porte le titre The Spanish Holocaust, Inquisition and Extermination in Twentieth-Century Spain.
L’historien Denis Peschanski, qui inaugure avec ce livre la collection « Contemporaines » de Belin (codirigée avec Henry Rousso), n’a pas conservé le terme « holocauste », qui n’a pas la même signification en anglais et en français, tout en défendant l’idée d’une comparaison entre la « Shoah par balles » et les terribles exactions commises par la colonne de la mort franquiste dans son avancée vers Madrid.
Extrait d’« Une guerre d’extermination »
« Un des cas de remords les plus célèbres est celui du poète Dionisio Ridruejo, qui était l’ami à la fois de Serrano Suñer et de José Antonio Primo de Rivera, et qui fut l’un des fondateurs de la Phalange. A la fin des années 1940, dégoûté par la corruption du régime de Franco, il renia son passé. Dans les années 1960, il se mit à écrire des textes critiques sur ce qui s’était passé en Espagne pendant la guerre civile. Il forma alors une association politique, en timide opposition au régime. Un de ses anciens camarades, Eugenio Montes, déclara à Ridruejo : “Quand quelqu’un comme vous a conduit des centaines de ses compatriotes à la mort, et parvient à la conclusion que la combat fut une erreur, il ne suffit pas de fonder un parti politique. Un croyant devrait se faire moine ; un agnostique devrait se suicider.” »Une guerre d’extermination, page 721
- Michel Lefebvre
Journaliste au Monde
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