17
Juil
2016
Zone euro : un Eurogroupe impassible, par Romaric Godin
Des génies…
Source : La Tribune, Romaric Godin,
Les ministres des Finances des 19 pays de la zone euro n’entendent rien changer, Brexit ou pas, à leur politique. Leur vision reste celui du respect le plus strict possible des “règles”.
L’Eurogroupe affirme haut et fort sa volonté de maintenir le statu quo dans la zone euro après le vote britannique sur la sortie de l’Union européenne le 23 juin dernier. A l’issue de la réunion des ministres des finances des 19 pays de l’Union économique et monétaire, le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem a été on ne peut plus clair. Le Brexit et ses conséquences « ne changent pas notre engagement à poursuivre le travail pour une politique budgétaire saine et favorable à la croissance (« sound growth-friendly fiscal policy »), les réformes structurelles et la remise en ordre du secteur bancaire. Fondamentalement, notre agenda et notre engagement sur cet agenda est inchangé », a déclaré le ministre néerlandais des Finances.
Frapper l’Espagne et le Portugal
Tout est dans cette déclaration. La seule réponse au Brexit et à la montée du mécontentement vis-à-vis de l’UE ailleurs sera d’approfondir et de poursuivre la politique de la zone euro mise en œuvre depuis 2010 : la réduction des déficits et les réformes structurelles. Et pour ajouter les actes aux paroles, l’Eurogroupe a validé la conclusion de la Commission européenne sur le « manque de mesures efficaces » prises par le Portugal et l’Espagne pour rétablir l’équilibre budgétaire. Une démarche qui a été confirmée par le sommet Ecofin qui regroupe les ministres des Finances des 28 Etats membres, et ouvre la voie au pire à des sanctions, au mieux à de nouvelles mesures d’austérité budgétaire.
Pas de réforme de la zone euro
Cette politique est très clairement inspirée par Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, qui avait rejeté toute volonté d’introduire davantage de solidarité et de souplesse dans la gestion de la zone euro, comme l’avaient proposé les ministres allemand et français des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault et Frank-Walter Steinmeier dans une proposition qui a été rapidement écartée. Le « respect des règles » est la seule boussole de l’Eurogroupe, désormais rejoint sur ce plan par la Commission européenne qui, il est vrai, est sous une pression particulière depuis que Berlin a clairement mis en cause Jean-Claude Juncker, son président. Tout est donc fait à Bruxelles désormais pour prouver à Berlin que la Commission est un outil utile au « respect des règles ». Dans sa contre-proposition de réforme de la zone euro, Wolfgang Schäuble avait proposé de remplacer la Commission par une « instance indépendante » sur le respect des traités.
L’obsession de la règle
Tout a donc été remis en place après la secousse du Brexit. L’austérité budgétaire reste la seule politique économique dont est capable la zone euro au moment où de nouvelles turbulences apparaissent sur les marchés et dans l’économie et où la BCE est plus isolée que jamais pour faire face à ces vents contraires. On est loin de la réflexion japonaise actuelle où le gouvernement de Shinzo Abe est sur le point de concevoir un vrai plan de relance pour prendre le relais d’une politique monétaire qui a montré ses limites. Rien de cela en zone euro où le salut ne viendra que par le « respect des règles », la consolidation budgétaire et les « réformes ». L’Eurogroupe confirme qu’il est le gardien de l’orientation ordolibérale de la zone euro, puisque précisément ce courant de pensée s’appuie sur une vision juridique de l’économie où le marché libre est encadrée par des règles (d’où le terme « ordo- », qui signifie la règle en latin). Le rôle de la puissance publique est alors uniquement de faire respecter ces règles. C’est cette philosophie qui inspire Wolfgang Schäuble et l’Eurogroupe.
Aveuglement sur l’Italie
Cette position a également permis d’écarter toute avancée sur le dossier italien. Là encore, la seule position est celle du respect des règles. Jeroen Dijsselbloem ne voit aucune « crise grave » sur le secteur bancaire italien et Wolfgang Schäuble veut attendre le résultat des tests de résistance (« stress tests ») de cet automne avant de « spéculer ». Dans tous les cas, Jeroen Dijsselbloem entend ne pas sortir des « règles » de la résolution des crises bancaires qui comprend la contribution des créanciers, actionnaires et déposants, avant toute aide publique.
L’aveuglement de l’Eurogroupe est total. Les banques italiennes ont abandonné un tiers de leur valeur depuis le vote du 23 juin. La recapitalisation du secteur devient donc impossible par le marché. Or, elle est nécessaire, compte tenu du montant de 360 milliards d’euros de créances douteuses stockées dans leurs bilans dont 40 milliards au minimum seraient perdues. Sans action rapide, ce montant de créances douteuses irrécupérables risquent de s’alourdir, notamment parce que l’économie italienne reste confrontée à une faible croissance. Le FMI vient, du reste, de réviser à la baisse à « juste en dessous de 1 % » la croissance 2016 contre 1,1 % prévu. En 2017, la croissance sera du même ordre. Dans ce cadre, la récupération des créances, déjà structurellement difficiles en Italie, risque de devenir très délicate. Le temps joue donc contre les banques italiennes et l’Eurogroupe fait pourtant mine de disposer de temps. Quant à l’attente des « stress tests », ce n’est qu’une mesure dilatoire. Ces exercices n’ont jamais permis de réellement mesurer l’Etat des banques européennes. La situation des banques italiennes est connue et devrait faire l’objet d’une action prompte pour contenir la crise.
L’impossible bail-out
Seulement, l’Eurogroupe sait parfaitement qu’une telle action ne passerait que par un renflouement public des banques italiennes. L’Italie se caractérise en effet par une forte détention par les particuliers de la dette bancaire : 33 % de la dette prioritaire (« senior ») et 50 % de la dette subordonnée des banques sont détenues par les ménages. En cas de respect des règles européennes, la saignée pour les ménages italiens sera redoutable et l’impact sur la croissance très sensible. Rome ne saurait tolérer l’application des règles de résolution de l’union bancaire. D’autant qu’en octobre, Le président du conseil italien Matteo Renzi doit faire face à un référendum sur les réformes constitutionnelles où il joue son poste. L’Eurogroupe tente donc de gagner du temps et de reporter à après le référendum l’action sur les banques italiennes afin de pouvoir appliquer les règles. C’est un jeu dangereux qui risque de coûter cher à l’Italie et à l’Europe. Car si Matteo Renzi perd le référendum, l’Eurogroupe devra gérer une crise politique avec une crise bancaire aggravée. L’hôte du Palais Chigi le sait et c’est pourquoi il tente de convaincre ses partenaires de le laisser recapitaliser partiellement ses banques pour sauvegarder les économies de ses concitoyens. Pour l’instant, il se voit opposer un refus et un « rappel aux règles ».
La décision de l’Eurogroupe de ce 11 juillet est donc de mauvais augure. La volonté de résistance affichée notamment par les Français et les Grecs sur la question des déficits portugais et espagnol semblent ne pas avoir pesé lourd. La victoire du Brexit au Royaume-Uni n’aura pas pesé davantage. L’Eurogroupe, intraitable, entend mener sa politique économique, fondée sur les règles existantes et leur respect. Fût-ce au prix d’un déni complet de réalité.
Source : La Tribune, Romaric Godin,
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L’Espagne propose de relever l’impôt sur les sociétés pour éviter les sanctions européennes
Madrid espère glaner 6 milliards d’euros et convaincre rapidement la Commission d’abandonner les sanctions. A Lisbonne, on est plus attentiste et on dénonce une décision “politique”.
L’effet de la menace de sanctions sur l’Espagne et le Portugal, confirmé ce mardi 12 juillet par l’Ecofin, la réunion des ministres des Finances des 28 pays de l’UE, ne s’est pas fait attendre. Dans l’après-midi, le gouvernement espagnol – qui est toujours un gouvernement en fonction, sans appui du parlement – a annoncé qu’il augmentera l’impôt sur les sociétés espagnol pour récupérer 6 milliards d’euros et tenter de revenir en 2017 dans les clous des 3 % imposées par le traité de Maastricht.
8,5 milliards d’euros espérés
Selon le ministre des Finances du Royaume, Luis de Guindos, seules les plus grandes entreprises seront concernées, selon un système qui a déjà été appliqué en 2012 au plus fort de la crise espagnole. Le ministre calcule que l’Etat réalisera une économie de 1,5 milliard d’euros sur le service de la dette grâce à la baisse des taux et lèvera un milliard supplémentaire de la lutte contre la fraude fiscale.
En tout, ces 8,5 milliards d’euros devraient permettre à Madrid de rentrer dans les clous et d’apaiser la colère de la Commission. Pour encore plus plaire à cette dernière, Luis de Guindos envisage, selon le quotidien El País, de clôturer dès juillet les comptes des ministères pour empêcher ces derniers d’engager d’ici à la fin de l’année des dépenses exceptionnelles. Normalement, cette clôture intervient en novembre.
Convaincre la Commission
Madrid cherche donc à amener la Commission à proposer une sanction nulle pour l’Espagne compte tenu de sa bonne volonté. Le gouvernement de Mariano Rajoy veut en finir rapidement avec ce risque de sanctions et Luis de Guindos estime que ce serait un « paradoxe de sanctionner le pays qui a fait le plus d’efforts et le plus de croissance ». Mais il en est un autre que Luis de Guindos semble ne pas voir : proposer une ponction de 6 milliards d’euros sur l’économie espagnole pour éviter une sanction qui, au maximum, serait de 3 milliards d’euros si l’on prend en compte le gel de certains fonds européens…
Blocage politique
En attendant, cet épisode, s’il peut complaire à Bruxelles, ne va pas arranger la situation politique de Mariano Rajoy. Ce dernier a clairement gagné les élections du 26 juin dernier, mais ne dispose pas de la majorité nécessaire pour obtenir son élection par le Congrès des députés. Avec 137 députés sur 350, son parti, le Parti populaire (PP), ne dispose ni de la majorité absolue de 176 sièges, ni de la majorité relative nécessaire au second tour. Si, ce mardi 12 juillet, le parti libéral-centriste Ciudadanos (32 sièges) a refusé de participer au gouvernement, il a accepté de s’abstenir pour faciliter la nomination de Mariano Rajoy. Mais c’est encore insuffisant si tous les autres partis se coalisent contre le PP. La clé réside donc dans le comportement du parti socialiste, le PSOE, et de ses 85 députés. Sans leur abstention, Mariano Rajoy ne peut parvenir à son élection, même en cas d’abstention ou de soutien des nationalistes de droite canariens et basques.
Qui pour appliquer les hausses d’impôts ?
Le PSOE a d’ores et déjà rejeté tout soutien direct ou indirect à Mariano Rajoy. Nul doute qu’il hésitera encore davantage à le faire pour imposer de nouvelles hausses des taxes, même ciblées sur les grandes entreprises, qui pourraient affaiblir la croissance et conduire le gouvernement à prendre d’autres mesures sur les dépenses publiques pour éviter la colère bruxelloise. Pour le président du gouvernement, la situation est aussi très délicate, car il doit déjà abandonner ses promesses de baisses de taxes et d’impôts promis durant la campagne. Ceci devrait le faire hésiter à tenter une troisième élection consécutive en cas d’échec à construire une coalition. Une fois un candidat présenté au Congrès, les députés disposent de deux mois pour élire un nouveau président du gouvernement, faute de quoi le parlement est à nouveau dissout. La fermeté bruxelloise complique donc singulièrement l’équation politique espagnole qui n’en avait guère besoin.
Pas de mesures prévues à Lisbonne
Du côté du Portugal, le gouvernement socialiste entend ne prendre aucune mesure supplémentaire sur le budget 2016. Il avait déjà introduit en février, à la demande de Bruxelles, des mesures de baisses de dépenses et de nouvelles taxes. « Il n’y a rien que je puisse faire en 2016 pour changer l’exécution du budget de 2015 », s’est défendu le ministre des Finances portugais Mário Centeno devant ses pairs européens, faisant allusion au fait que les sanctions portent sur l’exécution des budgets 2014 et 2015. « Il n’y a pas de plan B », a-t-il ajouté, tout en indiquant qu’il « travaillait » cependant à un budget 2017 qui permettrait de respecter les engagements déjà pris dans le programme de stabilité du pays.
Décision « politique »
Le gouvernement portugais va devoir négocier ferme pour obtenir l’accord de ses appuis de gauche radicale au parlement, le Bloc de Gauche, les Verts et le Parti communiste. Le Bloc de Gauche avait demandé un référendum sur le maintien dans la zone euro en cas de sanctions et il n’est pas sûr que les trois partis soient prêts à accepter des « efforts » supplémentaires. Le premier ministre Antonio Costa avait, cependant, en février, réussi à construire un accord avec ses appuis parlementaires à sa gauche, tout en arrachant le feu vert à Bruxelles. Le risque d’une dissolution par le président de la République conservateur pourrait cependant être un facteur important de construction d’un compromis. Mais Mário Centeno ne s’y trompe pas : la procédure lancée par Bruxelles est un défi politique pour le Portugal, aussi a-t-il clairement dénoncé une décision « politique ». Et de dénoncer : « l’Europe ne peut pas prendre des décisions en oubliant les tensions immenses au sein de l’Europe auxquelles on doit apporter une réponse politique ». Lisbonne semble donc sur une autre longueur d’onde que Madrid. Les deux pays disposent de dix jours pour proposer des mesures correctives. La Commission proposera des sanctions ou non d’ici une vingtaine de jours.
Source : La Tribune, Romaric Godin, 12/07/2016
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